Cour d’appel administrative de Toulouse, le 4 février 2025, n°23TL02014

Par un arrêt du 4 février 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour à un étranger se déclarant ancien mineur confié à l’aide sociale à l’enfance. En l’espèce, un individu se présentant comme un ressortissant malien, entré en France en 2019 alors qu’il aurait été mineur, a été pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance. Après avoir atteint sa majorité supposée, il a sollicité une admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le préfet a rejeté sa demande, considérant que les documents d’état civil fournis ne permettaient pas d’établir avec certitude son identité et notamment sa minorité lors de sa prise en charge. Cette décision préfectorale était assortie d’une obligation de quitter le territoire français. Le requérant a saisi le tribunal administratif, qui a rejeté son recours par un jugement du 4 avril 2022. Il a interjeté appel de ce jugement, soutenant la validité de ses documents d’état civil et le caractère sérieux de son parcours d’intégration. La question de droit posée à la cour était de déterminer si l’administration pouvait légalement écarter des documents d’état civil étrangers pour refuser l’application du dispositif d’admission au séjour prévu pour les jeunes majeurs, au motif que la condition d’âge n’était pas remplie. La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance. Elle estime que le préfet a pu, sans commettre d’erreur, considérer que l’intéressé ne justifiait pas de son état civil et, par conséquent, ne remplissait pas la condition d’avoir été confié à l’aide sociale à l’enfance entre seize et dix-huit ans, au vu de plusieurs éléments concordants remettant en cause la force probante des pièces produites.

La décision de la cour administrative d’appel illustre la mise en œuvre rigoureuse des conditions posées par le législateur pour l’admission exceptionnelle au séjour des jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance (I). Cette rigueur se manifeste principalement à travers un contrôle approfondi de la valeur probante des actes d’état civil, qui conditionne l’accès même au dispositif (II).

I. L’application stricte des conditions d’une admission au séjour dérogatoire

L’octroi d’une carte de séjour sur le fondement de l’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est subordonné à des critères cumulatifs que le juge examine de manière rigoureuse. La décision commentée rappelle que la condition tenant à la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance durant une période précise de la minorité est un prérequis essentiel (A), dont l’absence rend inopérant l’examen des autres critères (B).

A. L’exigence d’une prise en charge établie en tant que mineur

Le dispositif de l’article L. 435-3 vise spécifiquement l’étranger « qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans ». Cette condition d’âge et de prise en charge constitue le fondement de ce droit dérogatoire, destiné à ne pas interrompre un parcours d’intégration entamé sous la protection de l’enfance. Le juge administratif vérifie donc en premier lieu si le demandeur apporte la preuve qu’il se trouvait bien dans cette situation. En l’espèce, le préfet, puis les juges, ont concentré leur analyse sur ce point précis. L’enjeu n’est pas la prise en charge en elle-même, qui était factuellement établie, mais la qualité de mineur de l’intéressé durant cette période. La charge de la preuve de l’état civil, et donc de l’âge, pèse sur le demandeur au titre de séjour. La cour valide la démarche de l’administration qui a estimé que cette preuve n’était pas rapportée, faisant ainsi obstacle à l’application du texte.

L’arrêt confirme que l’appréciation de cette condition est un préalable absolu, car elle détermine la recevabilité même de la demande au regard de l’objectif de la loi. Faute de pouvoir établir avec certitude sa minorité entre seize et dix-huit ans, le requérant ne peut se prévaloir du mécanisme d’insertion professionnelle protégé par ces dispositions.

B. La neutralisation des autres critères d’appréciation

La nature cumulative des conditions de l’article L. 435-3 a pour conséquence que la défaillance d’une seule d’entre elles suffit à justifier un refus, sans que l’administration ou le juge n’aient à se prononcer sur les autres. L’arrêt l’illustre parfaitement en ce qui concerne le caractère réel et sérieux de la formation suivie par le requérant. Les premiers juges avaient estimé ne pas avoir à examiner cet élément dès lors que la condition de prise en charge en tant que mineur n’était pas satisfaite. La cour valide ce raisonnement : « les premiers juges (…) n’étaient pas tenus de se prononcer sur les autres conditions prévues par ces dispositions, notamment sur le caractère réel et sérieux de la formation de l’intéressé ».

Cette approche procédurale, bien que rigoureuse, est une application logique du texte. Le suivi d’une formation qualifiante, la nature des liens avec la famille ou encore l’avis de la structure d’accueil sont des éléments d’appréciation qui ne sont pertinents que si le demandeur entre bien dans le champ d’application de la loi. La décision de la cour réaffirme ainsi que le large pouvoir d’appréciation dont dispose le préfet pour évaluer la situation globale de l’étranger ne s’exerce que lorsque les conditions liminaires, objectives, sont remplies.

II. Le contrôle juridictionnel de la force probante des actes d’état civil

La question centrale de l’arrêt réside dans l’appréciation des preuves de l’état civil. La cour administrative d’appel confirme une méthode d’analyse désormais classique, qui permet à l’administration de contester la validité des actes étrangers (A), en se fondant sur un faisceau d’indices que le juge contrôle souverainement (B).

A. Le renversement de la présomption de validité des actes étrangers

Conformément à l’article 47 du code civil, « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi ». Ce principe pose une présomption de validité. Toutefois, le même article prévoit que cette force probante peut être écartée si « d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent (…) que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». En l’espèce, le préfet a utilisé cette faculté en s’appuyant sur des rapports de la police aux frontières. Ces derniers relevaient des incohérences au regard du droit malien, notamment le non-respect d’un délai pour la transcription d’un jugement supplétif d’acte de naissance et l’usage de cachets non conformes.

La cour entérine cette démarche. Elle considère que de tels éléments, même s’ils ne prouvent pas une falsification au sens pénal, sont suffisants pour créer un doute sérieux et ainsi combattre la présomption de validité. L’authentification des documents par une autorité consulaire ou la relaxe prononcée par un tribunal correctionnel pour usage de faux ne suffisent pas à rétablir cette présomption, le juge administratif n’étant pas lié par ces éléments et procédant à sa propre appréciation.

B. L’appréciation souveraine du juge fondée sur le faisceau d’indices

Face à la contestation de l’administration, il appartient au juge de « former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties ». L’arrêt montre que le juge ne se fonde pas sur un seul élément, mais sur un faisceau d’indices concordants. Dans cette affaire, la cour a pris en compte non seulement les irrégularités formelles des documents d’état civil, mais également des éléments extérieurs. Elle relève ainsi les résultats d’examens osseux qui concluaient à la majorité de l’intéressé, mais aussi les déclarations contradictoires faites par celui-ci aux services de police concernant sa date de naissance. C’est la convergence de ces divers facteurs qui a fondé la décision du préfet, puis celle des juges.

La cour conclut que, « compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le préfet des Pyrénées-Orientales a pu légalement estimer que [l’intéressé] ne pouvait être regardé comme justifiant de son état civil ». Cette approche pragmatique et globale confère au juge un rôle central dans l’appréciation de la crédibilité des documents et des situations individuelles. Elle confirme une jurisprudence constante en matière de droit des étrangers, où la preuve de l’identité demeure une pierre angulaire du droit au séjour.

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