Cour d’appel administrative de Toulouse, le 4 mars 2025, n°23TL00143

L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Toulouse le 4 mars 2025 précise les contours de la résiliation unilatérale pour faute dans les contrats administratifs. En l’espèce, une autorité régionale a conclu un marché de prestations de services portant sur l’exécution du service public des transports scolaires au sein d’un département. Dès le lendemain de la rentrée scolaire, l’administration a prononcé la résiliation du lot concerné aux torts exclusifs du titulaire en invoquant une maîtrise insuffisante du français. La société évincée a alors saisi la juridiction administrative afin d’obtenir la condamnation de la personne publique à l’indemniser des préjudices résultant de cette éviction hâtive. Le tribunal administratif de Montpellier a, par un jugement du 17 novembre 2022, condamné la région à verser une indemnité tout en laissant une part de responsabilité. Saisie par les deux parties, la cour administrative d’appel devait déterminer si l’emploi de personnels non francophones constituait une faute d’une gravité suffisante pour justifier une résiliation. Les juges d’appel confirment le caractère infondé de la sanction mais procèdent à une évaluation restrictive du manque à gagner sur la base du bénéfice réel. L’examen de cette décision conduit à analyser l’appréciation de la gravité des manquements contractuels (I) avant d’envisager les modalités rigoureuses de l’indemnisation du titulaire (II).

**I. L’appréciation de la gravité des manquements contractuels du titulaire**

**A. L’absence d’obligation explicite relative à la maîtrise de la langue française**

La cour relève d’abord qu’« aucune stipulation contractuelle n’imposait au titulaire du marché de recruter du personnel de conduite francophone » pour assurer le transport des élèves. Si le cahier des clauses administratives particulières prévoyait l’usage du français pour les documents administratifs, cette exigence ne s’étendait pas explicitement aux relations orales avec les usagers. L’administration ne pouvait donc pas reprocher au titulaire d’avoir recruté temporairement des conducteurs hispanophones pour pallier une pénurie de main-d’œuvre locale dûment établie. La société avait d’ailleurs mis en œuvre des mesures palliatives, comme l’établissement d’un lexique et le déploiement de référents, pour garantir la sécurité des jeunes passagers.

**B. Le caractère disproportionné d’une résiliation prononcée dès le début de l’exécution**

Les juges soulignent que les incidents constatés par les services régionaux lors de la première journée d’exploitation revêtaient un caractère isolé et non structurel. Ces difficultés passagères, communes à tout démarrage de service public complexe, « n’étaient pas d’une gravité telle qu’ils étaient de nature à justifier la résiliation » immédiate. En agissant seulement vingt-quatre heures après la mise en demeure, le pouvoir adjudicateur n’a laissé aucun délai raisonnable au titulaire pour remédier aux attentes formulées. Cette précipitation administrative entache la validité de la décision de rupture contractuelle, ouvrant ainsi droit à la réparation des préjudices subis par l’entreprise injustement évincée.

**II. La détermination rigoureuse de l’indemnisation du préjudice subi**

**A. L’exigence de preuves probantes pour l’indemnisation des dépenses utiles**

Le droit à l’indemnisation intégrale du cocontractant suppose que ce dernier apporte la preuve certaine de la réalité et de la consistance de ses dommages. La cour rejette les demandes liées à la dépréciation de la flotte de véhicules car la société ne produit « aucune facture d’achat ou pièce comptable probante ». De même, les frais de location d’un dépôt et les coûts salariaux de licenciement sont écartés faute de justificatifs de paiement attestant de leur acquittement effectif. La juridiction administrative rappelle ainsi que de simples tableaux de synthèse ou simulations financières sont insuffisants pour établir un lien de causalité direct avec la résiliation.

**B. Le recalibrage du manque à gagner sur la base du bénéfice net réel**

La cour réforme le jugement de première instance en refusant l’application du forfait de cinq pour cent prévu en cas de résiliation pour motif d’intérêt général. Le titulaire est seulement fondé à obtenir l’indemnisation de la marge nette qu’il aurait réellement dégagée si le contrat s’était poursuivi jusqu’à son terme normal. Après analyse des documents comptables, les juges fixent ce taux de bénéfice net à un peu moins de deux pour cent du montant total du marché. L’indemnité finale est également réduite pour tenir compte de la part de responsabilité de cinq pour cent laissée à la charge du titulaire par les premiers juges.

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Hassan KOHEN
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