Par un arrêt en date du 4 mars 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée sur les modalités d’avancement de grade à l’ancienneté au sein du corps des ingénieurs des études et techniques de l’armement. En l’espèce, un ingénieur en chef de deuxième classe, estimant remplir les conditions statutaires pour être promu à la première classe de son grade au titre de l’année 2019, avait sollicité cette promotion. Face à un refus implicite de l’administration, il avait saisi la commission des recours des militaires, puis, suite au rejet de son recours par la ministre des armées, le tribunal administratif de Toulouse. Le tribunal ayant rejeté sa demande, le militaire a interjeté appel, soutenant que la décision ministérielle était irrégulière et entachée d’erreurs de droit et d’appréciation, au motif que son avancement aurait dû être automatique. La question de droit posée à la cour était donc de déterminer si le fait de remplir les conditions d’ancienneté pour un avancement de grade confère un droit automatique à cette promotion, ou si l’administration conserve une marge d’appréciation pour départager les candidats lorsque leur nombre excède le contingent de promotions autorisées. En réponse, la cour juge que l’avancement à l’ancienneté, étant soumis à un quota, ne présente aucun caractère automatique et que, par conséquent, l’administration est fondée à comparer les militaires éligibles en se basant sur leur ancienneté précise dans le grade et, subsidiairement, sur leurs mérites respectifs.
La solution retenue par la cour administrative d’appel clarifie le régime juridique de l’avancement à l’ancienneté en confirmant sa nature non automatique (I), ce qui justifie en conséquence la mise en œuvre de critères de sélection pour départager les candidats promouvables (II).
I. La confirmation du caractère non automatique de l’avancement à l’ancienneté
L’arrêt fonde sa solution sur une interprétation stricte des textes réglementaires qui encadrent les promotions (A), ce qui conduit la cour à relativiser la portée des irrégularités de procédure qui étaient soulevées par le requérant (B).
A. L’interprétation des textes à la lumière du contingentement
La cour prend soin de rappeler le cadre juridique applicable, notamment l’article 25 du décret du 12 septembre 2008. Ce texte dispose que « Le nombre d’ingénieurs en chef de 2e classe promus chaque année à l’ancienneté au grade d’ingénieur en chef de 1ère classe ne peut excéder 25% du nombre de militaires promus à ces grades la même année ». Il résulte de cette disposition qu’un quota limite le nombre de promotions possibles à l’ancienneté pour une année donnée. La juridiction en déduit logiquement que si le nombre de militaires remplissant les conditions d’ancienneté requises est supérieur au nombre de postes ouverts à la promotion, une sélection devient inévitable.
Dès lors, la promotion ne saurait être un droit acquis du seul fait d’atteindre l’ancienneté de grade prévue par les statuts. L’avancement à l’ancienneté s’inscrit en réalité « dans le cadre d’une opération d’avancement unique, commune à l’avancement au choix, et ne présente aucun caractère d’automaticité ». En affirmant cela, la cour rejette l’argument central de l’appelant et conforte la position de l’administration, qui doit gérer un flux de promotions dans les limites d’une enveloppe budgétaire et réglementaire contrainte. Cette analyse réaffirme que le pouvoir d’appréciation de l’administration demeure, même dans un mécanisme d’avancement fondé sur un critère a priori objectif comme l’ancienneté.
B. La portée limitée du vice de procédure allégué
Le requérant soutenait également que la procédure était viciée, car la commission chargée d’examiner les promotions au choix avait aussi examiné les candidatures pour l’avancement à l’ancienneté. La cour écarte cet argument en soulignant que l’avis de cette commission n’est que consultatif et ne lie pas l’autorité ministérielle, qui reste seule compétente pour décider des promotions. Elle précise qu’aucune disposition n’interdit au ministre de solliciter un tel avis pour « distinguer les mérites des militaires promouvables à l’ancienneté ».
Plus encore, la cour considère qu’à le supposer établi, un tel vice de procédure « est sans incidence sur la légalité de la décision en litige ». Cette formule classique du contentieux administratif montre que le juge ne sanctionne que les irrégularités qui ont une influence concrète sur le sens de la décision prise ou qui privent l’administré d’une garantie. En l’espèce, la consultation de la commission n’ayant pas porté atteinte aux droits du militaire et n’ayant pas lié la ministre, elle ne peut entraîner l’annulation de la décision de refus de promotion.
Ayant ainsi écarté l’idée d’un avancement automatique et validé la procédure suivie, la cour se penche ensuite sur la méthode de sélection employée par l’administration pour départager les candidats.
II. La validation d’une sélection opérée entre les militaires promouvables
La décision de la cour légitime le processus de sélection mis en place par l’administration en confirmant la primauté du critère de l’ancienneté de grade (A), tout en admettant le recours subsidiaire à l’évaluation du mérite des candidats (B).
A. L’application rigoureuse du critère de l’ancienneté de grade
Puisque la promotion à l’ancienneté n’est pas automatique en raison du quota, l’administration doit opérer un choix. La cour vérifie alors que ce choix a bien été opéré sur la base de critères objectifs et pertinents. Elle constate que l’administration s’est d’abord fondée sur le critère premier et le plus logique : l’ancienneté exacte des candidats dans leur grade. Le juge relève que le requérant « a été promu pour prendre rang dans le grade d’ingénieur en chef de deuxième classe des études et techniques de l’armement seulement à compter du 1er avril 2009 ».
Or, les trois militaires qui ont été promus à l’ancienneté au titre de l’année 2019 avaient, quant à eux, une ancienneté supérieure, ayant pris rang dans ce même grade dès le 1er février 2009. Cette différence de deux mois, bien que minime, suffit à établir une hiérarchie objective entre les candidats. En se fondant sur ce seul critère, la décision de la ministre des armées n’était donc entachée d’aucune erreur. L’arrêt démontre ainsi que dans le cadre d’un avancement à l’ancienneté, c’est l’ancienneté elle-même, mesurée avec précision, qui doit servir de premier instrument de départage.
B. L’admission subsidiaire du critère du mérite
De manière surabondante mais significative, la cour ajoute une seconde couche de justification à la décision administrative. Elle observe que, outre leur ancienneté supérieure, les officiers promus présentaient également « des mérites et qualités professionnelles supérieurs ». Le juge prend la peine de citer les évaluations comparées : « le potentiel professionnel des trois officiers précités a été évalué à la lettre L et leur niveau moyen respectif fixé à 9, 9 et 9,5 tandis que le potentiel professionnel de M. B… a été évalué à la lettre K et son niveau moyen à 7,5 ».
Cette mention n’est pas neutre. Elle valide l’idée que même pour un avancement dit « à l’ancienneté », le mérite ne disparaît pas complètement du processus d’appréciation de l’administration. Il peut légalement être utilisé comme un critère subsidiaire, soit pour départager des candidats à l’ancienneté parfaitement égale, soit, comme ici, pour conforter une décision déjà justifiée par une différence d’ancienneté. La décision commentée offre ainsi un éclairage précieux sur la gestion des carrières militaires, en consacrant une approche pragmatique qui articule le respect du principe d’ancienneté avec la nécessaire prise en compte de la valeur professionnelle des agents.