Cour d’appel administrative de Toulouse, le 5 février 2025, n°24TL01146

Par une ordonnance en date du 5 février 2025, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcé sur les conditions d’octroi d’une provision à un agent public s’estimant victime de fautes de son employeur. En l’espèce, un agent technique principal, placé en disponibilité pour convenances personnelles depuis plusieurs années, avait sollicité sa réintégration. Face à l’inexistence déclarée de poste vacant, l’autorité territoriale l’a placé en disponibilité d’office par un arrêté qui n’a pas fait l’objet d’un recours contentieux. L’agent a par la suite perçu l’allocation d’aide au retour à l’emploi avec un retard notable. S’estimant lésé par une série de manquements de son employeur, notamment un refus de réintégration fautif, un défaut de transmission de son dossier au centre de gestion, un retard dans le versement de ses allocations et une perte de droits à la retraite, il a saisi le juge des référés d’une demande de provision.

Saisi en première instance, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. L’agent a interjeté appel de cette ordonnance, maintenant que les fautes de la collectivité engageaient sa responsabilité et rendaient sa créance non sérieusement contestable. Il chiffrait ses préjudices liés à la perte de rémunération, au versement tardif des allocations, à la perte de chance de cotiser pour sa retraite et à son préjudice moral, sollicitant une provision totale de 20 000 euros. La collectivité défenderesse concluait au rejet, soulevant à titre principal l’irrecevabilité et la tardiveté de la demande, et subsidiairement, l’absence de toute faute de sa part. Elle soutenait que le retard dans le paiement des allocations était imputable à l’agent et que les autres préjudices découlaient directement de la situation de disponibilité d’office, laquelle résultait d’une décision administrative devenue définitive.

Il revenait donc au juge d’appel des référés de déterminer si les manquements allégués par l’agent à l’encontre de son employeur public suffisaient à caractériser l’existence d’une obligation non sérieusement contestable, au sens de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, justifiant l’octroi d’une provision.

À cette question, le juge des référés répond par la négative. Il examine successivement chaque faute invoquée par le requérant et constate qu’aucune ne permet d’établir, avec le degré de certitude requis en référé, l’existence d’une obligation à la charge de la collectivité. En conséquence, il estime que la créance dont se prévaut l’agent demeure sérieusement contestable dans son principe même, ce qui fait obstacle à l’octroi d’une provision, et rejette la requête.

Cette décision illustre l’appréciation stricte par le juge du référé-provision de la condition d’obligation non sérieusement contestable (I), une approche qui révèle en creux les conséquences de l’absence de contestation de la décision administrative à l’origine du litige (II).

***

I. L’appréciation restrictive de l’obligation non sérieusement contestable face aux fautes alléguées de l’employeur public

Le juge des référés, pour refuser la provision, procède à une analyse méthodique des différents griefs de l’agent, écartant systématiquement l’existence d’une faute certaine tant dans la gestion de la demande de réintégration (A) que dans le traitement des préjudices financiers et moraux qui en auraient découlé (B).

A. Le rejet des fautes liées à la gestion de la demande de réintégration

Le cœur du litige reposait sur le refus de réintégration opposé à l’agent, que ce dernier jugeait fautif. Toutefois, le juge des référés relève que les arguments de la collectivité suffisent à rendre l’obligation contestable. Il souligne d’une part que, la demande de réintégration ayant été formulée plus de trois ans après la mise en disponibilité, l’agent ne bénéficiait plus d’un droit prioritaire à réintégration. D’autre part, il constate que « aucun poste correspondant aux exigences de l’intéressé quant à sa localisation géographique n’a pu lui être proposé ». Face à ces éléments, le juge conclut qu’« aucune faute n’apparaît, en l’état du dossier, de nature à engager la responsabilité de la communauté d’agglomération ». L’existence d’une justification plausible de l’employeur suffit donc à faire échec à la demande de provision.

De même, le juge écarte la faute alléguée concernant le défaut de transmission du dossier au centre de gestion de la fonction publique territoriale. L’agent y voyait une perte de chance d’obtenir un poste dans une autre collectivité. Le juge balaie cet argument par un raisonnement pragmatique, considérant qu’« il n’est pas établi qu’il aurait postulé à un emploi éloigné de son domicile eu égard au fait que cette restriction avait déjà fait obstacle à sa réintégration effective ». En l’absence de certitude sur le lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice de perte de chance, l’obligation qui en découlerait ne peut être regardée comme non sérieusement contestable.

B. L’impossibilité de retenir une créance certaine au titre des préjudices financiers et moraux

Le juge des référés applique la même logique rigoureuse aux préjudices financiers invoqués. Concernant le retard dans le versement de l’allocation d’aide au retour à l’emploi, il retient la version de la collectivité, non sérieusement contredite par l’agent. Le juge note que ce retard est « uniquement imputable au requérant qui a initialement refusé de les percevoir, craignant de devoir rembourser les sommes perçues, ce qu’il admet lui-même ». La reconnaissance par l’agent de son rôle dans le retard de paiement suffit à rendre l’obligation de réparation de ce chef sérieusement contestable.

Quant à la perte de droits à cotisation de retraite, le juge la rattache directement au statut de l’agent. Il énonce que, du fait de son placement en disponibilité d’office par un arrêté qu’il n’a pas contesté, « il a perdu ses droits à cotisation de retraite ». Par conséquent, cette perte n’est pas la conséquence d’une faute de l’employeur, mais l’effet juridique d’une décision administrative. La demande d’indemnisation « ne se rattache à aucune faute qu’aurait commise la communauté d’agglomération ». Enfin, et logiquement, « en l’absence de faute démontrée », la demande d’indemnisation du préjudice moral ne peut prospérer. Cette analyse séquentielle, où chaque préjudice est privé de son fait générateur, conduit inéluctablement au rejet global de la demande de provision.

***

II. La portée de la solution : le rappel des limites du référé-provision et de l’importance du contentieux de l’annulation

Au-delà de l’espèce, l’ordonnance rappelle avec force le rôle spécifique du juge du référé-provision, dont l’office est pragmatique et limité à l’évidence (A). Elle souligne surtout l’effet dirimant de l’absence de contestation de la décision administrative initiale, qui conditionne l’issue de toute action indemnitaire ultérieure (B).

A. L’office pragmatique du juge du référé-provision face à une situation complexe

L’article R. 541-1 du code de justice administrative impose au juge des référés de s’assurer que l’existence de l’obligation « n’est pas sérieusement contestable ». La présente décision illustre que cette condition ne s’accommode pas d’un débat complexe sur l’existence de fautes et d’un lien de causalité. Le juge ne tranche pas le litige au fond, mais évalue si les éléments fournis par les parties établissent l’obligation avec « un degré suffisant de certitude ».

En l’espèce, chaque argument du requérant se heurte à une défense plausible de la collectivité. Le juge ne cherche pas à savoir qui, au final, a raison, mais constate simplement l’existence d’une contestation sérieuse. La multiplicité des fautes alléguées ne suffit pas à créer une obligation évidente si chacune d’entre elles peut être raisonnablement discutée. Cette ordonnance confirme que le référé-provision n’est pas la voie appropriée pour trancher des litiges nécessitant une instruction approfondie sur les agissements respectifs des parties. Il est réservé aux cas où la créance est quasi certaine, ce qui n’était manifestement pas la situation en l’espèce.

B. L’effet dirimant de l’absence de contestation de la décision initiale de placement en disponibilité

L’élément le plus déterminant de l’affaire, bien que traité de manière incidente par le juge des référés, est l’absence de recours de l’agent contre l’arrêté du 23 août 2021 l’ayant placé en disponibilité d’office. En ne contestant pas cet acte dans le délai de recours contentieux, l’agent a laissé la décision devenir définitive. Or, c’est cette décision qui constitue le fait générateur de plusieurs de ses préjudices, notamment l’absence de réintégration et la perte des droits à la retraite qui en découle.

En soulignant que l’agent « n’a pas contesté » l’arrêté, le juge met en lumière la pierre d’achoppement de toute sa démarche indemnitaire. Le principe de la stabilité des situations juridiques empêche de remettre en cause, à l’occasion d’un recours indemnitaire, la légalité d’une décision administrative devenue définitive. L’agent ne peut obtenir réparation d’un préjudice découlant d’une situation qu’il a lui-même implicitement acceptée en s’abstenant de la contester en temps utile par la voie du recours pour excès de pouvoir. Cette décision, bien qu’étant une simple ordonnance de référé, porte ainsi la marque d’un principe fondamental du contentieux administratif et sert de leçon sur la nécessité de contester les actes administratifs défavorables avant de pouvoir espérer en obtenir réparation.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture