Cour d’appel administrative de Toulouse, le 5 juin 2025, n°23TL01444

Par un arrêt en date du 5 juin 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la régularité et le bien-fondé d’un redressement de taxe sur la valeur ajoutée opéré à l’encontre d’une entreprise de BTP. Cette société, ayant fait l’objet d’une vérification de comptabilité pour la période du 1er janvier 2015 au 28 février 2018, s’est vue notifier un complément de taxe après que l’administration fiscale a écarté sa comptabilité comme n’étant pas probante. La situation se complexifiait par le fait que l’entreprise avait été placée en procédure de redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 4 avril 2018, soit durant les opérations de contrôle.

Saisi d’une demande en décharge, le tribunal administratif de Montpellier a, par un jugement du 17 avril 2023, rejeté les prétentions de la société. Celle-ci a interjeté appel de cette décision, soulevant une pluralité de moyens portant tant sur des vices de procédure que sur le bien-fondé de l’imposition et des pénalités appliquées. La société soutenait notamment que la procédure de contrôle était irrégulière, arguant du défaut de participation de l’administrateur judiciaire désigné dans le cadre de son redressement. Elle contestait également la méthode de reconstitution de son chiffre d’affaires et le caractère délibéré du manquement retenu par l’administration pour justifier l’application d’une majoration de quarante pour cent.

Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire affectait la régularité des opérations de vérification de comptabilité menées par l’administration fiscale, et plus largement, de se prononcer sur la validité de l’ensemble de la procédure d’imposition et des redressements opérés. Par la décision commentée, la cour administrative d’appel rejette l’ensemble des moyens de la société requérante et confirme le jugement de première instance. Elle estime notamment que la procédure a été menée de manière régulière nonobstant l’absence de l’administrateur judiciaire, et valide tant la méthode de reconstitution employée que la qualification de manquement délibéré.

La solution rendue, si elle s’inscrit dans une application classique des règles de procédure fiscale, présente un intérêt particulier en ce qu’elle précise la portée des garanties du contribuable lorsque celui-ci se trouve en situation de procédure collective. La cour opère une stricte délimitation entre les règles du droit des entreprises en difficulté et l’autonomie de la procédure fiscale, confirmant la plénitude des pouvoirs de l’administration (I), avant de valider sans réserve le bien-fondé des rectifications et des sanctions infligées à la société (II).

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I. La confirmation rigoureuse de la régularité de la procédure d’imposition

La cour administrative d’appel écarte méthodiquement les arguments de la société requérante visant à démontrer un vice de procédure. Elle juge d’une part que l’ouverture de la procédure collective était sans incidence sur la conduite du contrôle fiscal (A), et d’autre part que les garanties procédurales offertes au contribuable ont été correctement mises en œuvre par l’administration (B).

A. Le rejet des moyens tirés de l’ouverture de la procédure collective

La société soutenait que l’administrateur judiciaire, désigné pour l’assister dans tous les actes de gestion, aurait dû être associé à la procédure de vérification. Cependant, la cour écarte ce moyen en s’appuyant sur une lecture combinée des dispositions du code de commerce et de la conduite effective des opérations. Elle rappelle que la mission de l’administrateur judiciaire était une mission d’assistance et non de représentation, le co-gérant de la société conservant ses pouvoirs de direction et de gestion. Le juge en déduit que dès lors que ce dernier a participé activement au contrôle, assisté de son expert-comptable, les droits de la société ont été pleinement respectés. L’arrêt précise que dans ces conditions, le fait de ne pas associer l’administrateur judiciaire ne saurait « priver la société de débat oral et contradictoire ». Cette solution réaffirme une séparation nette entre la gestion de l’entreprise, même assistée, et la conduite d’un contrôle fiscal qui relève des prérogatives du représentant légal tant que celui-ci n’en est pas dessaisi.

La cour écarte également avec la même fermeté l’argument selon lequel l’existence d’une créance de la société sur l’État aurait dû conduire à la suspension du contrôle. Elle juge qu’une telle circonstance « n’était pas de nature à impliquer la suspension des opérations de vérification et est sans incidence sur la régularité de la procédure d’imposition ». Le juge refuse ainsi de créer un lien entre les obligations contractuelles de l’État et ses prérogatives de puissance publique en matière fiscale, consacrant une autonomie stricte des deux domaines.

B. L’application stricte des garanties offertes au contribuable

Au-delà des questions liées à la procédure collective, la requérante invoquait la violation de plusieurs garanties prévues par le livre des procédures fiscales et la charte des droits et obligations du contribuable vérifié. La cour procède à un examen factuel précis pour rejeter chaque argument. Concernant la saisine de l’interlocuteur départemental, elle relève que la société s’est elle-même soustraite au processus. Après avoir manqué un premier rendez-vous avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, elle a expressément indiqué par courrier ne pas « entendre, en l’état, persister dans le recours hiérarchique et d’interlocution ». La cour conclut que l’administration ne peut se voir reprocher une méconnaissance de la garantie, le contribuable ayant lui-même fait obstacle à sa mise en œuvre.

De même, sur la compétence territoriale de la commission des impôts, le juge note le caractère équivoque de la demande de la société. Celle-ci avait sollicité une commission autre que celle de son siège social « pour la sauvegarde du secret des affaires et de sa confidentialité », sans toutefois formuler une demande de dépaysement en bonne et due forme ni préciser les motifs de confidentialité en jeu. Pour la cour, ces termes ne suffisaient pas à caractériser une demande fondée sur l’article 1651 G du code général des impôts, rendant le moyen inopérant. Cette analyse démontre que la mise en œuvre des garanties procédurales suppose une démarche claire et non ambigüe de la part du contribuable, qui supporte la charge de formuler ses demandes de manière précise.

II. La validation du bien-fondé du redressement et de ses conséquences

Après avoir écarté les moyens de procédure, la cour confirme le bien-fondé des impositions et des pénalités. Elle valide la méthode de reconstitution employée par l’administration fiscale malgré les critiques de la société (A) et justifie l’application de la majoration pour manquement délibéré au regard des faits constatés (B).

A. L’appréciation de la méthode de reconstitution et du bien-fondé de la créance

La société contestait le principe même de la méthode de reconstitution de son chiffre d’affaires, au motif qu’elle reposait sur un rapprochement global annuel alors que ses déclarations de taxe étaient mensuelles. La cour juge que cette seule circonstance « ne permet pas de regarder cette méthode comme radicalement viciée dans son principe ». Ce faisant, elle admet une marge d’appréciation pour l’administration dans le choix de sa méthode dès lors que la comptabilité a été rejetée, pourvu que la méthode ne soit pas entachée d’une erreur manifeste ou d’une incohérence fondamentale. La solution est pragmatique et s’inscrit dans une jurisprudence constante qui n’exige pas de l’administration une reconstitution d’une exactitude absolue, mais une évaluation cohérente et justifiée.

Par ailleurs, la cour écarte comme étant sans incidence sur le bien-fondé de l’impôt la question du respect des délais de déclaration de créance prévus par le code de commerce. Cette affirmation est une manifestation claire du principe de l’autonomie du droit fiscal, selon lequel les règles de procédure commerciale relatives au traitement du passif dans une procédure collective sont inopposables à l’administration pour l’établissement et le recouvrement de l’impôt. La créance fiscale existe et son bien-fondé s’apprécie au regard des seules règles fiscales.

B. La justification du manquement délibéré et de la sanction appliquée

Enfin, l’arrêt se prononce sur la majoration de quarante pour cent pour manquement délibéré, prévue à l’article 1729 du code général des impôts. La cour valide l’application de cette sanction en se fondant sur un faisceau d’indices précis. Elle relève que la vérificatrice a constaté une « comptabilisation systématique d’une taxe à régulariser » et des minorations de déclarations à la clôture de chaque exercice. L’importance de la fraude est également soulignée, la taxe éludée pour le seul exercice 2017 s’élevant à 423 627 euros, soit une minoration de chiffre d’affaires de 38,56 %.

Le juge retient surtout l’argument du service selon lequel il était impossible pour l’entreprise, « compte tenu de son activité de prestataire de services, d’ignorer cette situation, qui apparaissait clairement dans ses écritures comptables ». Cet élément, combiné à « la répétition des manquements », suffit à établir la volonté délibérée d’éluder l’impôt. La décision offre ainsi une illustration concrète de ce qui caractérise l’élément intentionnel du manquement délibéré. Elle rappelle que ni les difficultés économiques d’une entreprise ni d’éventuelles erreurs comptables ne sauraient suffire à écarter la qualification de manquement délibéré lorsque les faits révèlent une sous-estimation systématique, significative et prolongée de l’impôt dû.

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