Cour d’appel administrative de Toulouse, le 6 février 2025, n°23TL00613

Par une décision en date du 6 février 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conséquences fiscales d’une rectification opérée sur une société par actions simplifiée unipersonnelle. En l’espèce, l’associé unique et président d’une entreprise de construction de maisons individuelles a fait l’objet d’un rehaussement d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2016. Cette imposition supplémentaire résultait de la réintégration, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, de sommes considérées comme des distributions occultes. L’administration fiscale avait remis en cause la déductibilité de charges comptabilisées par la société, correspondant à de prétendues prestations de parrainage dans le sport automobile, au motif que leur réalité et leur engagement dans l’intérêt de l’exploitation n’étaient pas prouvés, les pièces justificatives s’étant révélées être des factures fictives.

Saisi d’une demande en décharge par le contribuable, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête par un jugement du 20 janvier 2023. Le contribuable a interjeté appel de ce jugement, contestant tant la régularité de la procédure d’imposition que le bien-fondé des redressements. Il soutenait principalement que les dépenses de parrainage étaient effectives, qu’il n’avait pas personnellement appréhendé les sommes litigieuses et que les pénalités pour manœuvres frauduleuses n’étaient pas justifiées. À titre subsidiaire, il arguait que le montant des revenus distribués ne pouvait inclure le rappel de taxe sur la valeur ajoutée.

Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si des charges, dont la réalité n’est pas établie, peuvent être qualifiées de revenus distribués et être imposées entre les mains de l’associé unique en sa qualité de maître de l’affaire. Se posait également la question de savoir si l’assiette de cette distribution devait intégrer le montant du rappel de taxe sur la valeur ajoutée afférent à ces mêmes charges. La cour administrative d’appel confirme la qualification de distribution occulte et valide l’application de la majoration pour manœuvres frauduleuses, mais elle censure le jugement de première instance en ce qu’il n’a pas déduit de l’assiette imposable le montant du rappel de taxe. La solution adoptée réaffirme ainsi avec fermeté les principes régissant l’appréhension des bénéfices par le maître de l’affaire (I), tout en apportant une clarification technique sur les modalités de calcul de l’assiette de ces revenus distribués (II).

I. La consolidation de la théorie du maître de l’affaire face à des charges fictives

La cour confirme la position de l’administration fiscale en s’appuyant sur une double démonstration. Elle valide d’abord le rejet des charges en l’absence de justification probante (A), ce qui la conduit ensuite à imputer la distribution occulte à l’associé unique, seul maître de l’affaire (B).

A. Le rejet d’une charge dépourvue de justification probante

Conformément à l’article 39 du code général des impôts, une charge n’est déductible du résultat imposable que si elle est exposée dans l’intérêt direct de l’exploitation et si sa réalité est dûment justifiée. En l’espèce, le contribuable peinait à démontrer la matérialité des prestations de parrainage. Les juges du fond relèvent avec une particulière sévérité les incohérences du dossier présenté par la société. Celle-ci a d’abord soutenu que les factures correspondaient à des commissions d’apporteur d’affaires avant de changer de version pour invoquer des dépenses de parrainage.

De surcroît, la cour souligne que la société a admis avoir elle-même établi les factures litigieuses, imitant celles d’un de ses fournisseurs, ce qui anéantissait leur force probante. Les contrats de partenariat produits, non signés et pour des montants non concordants, ainsi que des attestations jugées de pure complaisance, n’ont pas suffi à convaincre les magistrats. Face à l’accumulation de ces éléments, incluant le revirement de la société après la découverte des fausses factures, la cour conclut que « l’administration doit être regardée comme établissant que la réalité des prestations de parrainage correspondant aux factures en cause et de leur intérêt pour l’exploitation n’était pas justifiée ». Cette analyse, classique dans son principe, illustre la rigueur attendue du juge de l’impôt face à des manœuvres destinées à minorer le résultat fiscal.

B. L’imputation de la distribution à l’associé unique

Une fois les charges rejetées, celles-ci sont réintégrées au bénéfice de la société. N’ayant été ni mises en réserve, ni incorporées au capital, ces sommes sont considérées comme des revenus distribués en vertu du 1° du 1 de l’article 109 du code général des impôts. La question se déplace alors vers l’identification du bénéficiaire de cette distribution. Le contribuable soutenait ne pas avoir appréhendé les fonds, mais la cour écarte cet argument en recourant à la théorie jurisprudentielle du maître de l’affaire.

Elle constate que le requérant, en tant que président et unique associé, « dispose sans contrôle des fonds sociaux et bénéficie seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société ». Il était donc le seul à pouvoir décider du paiement de ces factures fictives. Dans ces conditions, la cour estime que « c’est à bon droit que l’administration l’a regardé comme le bénéficiaire des revenus distribués par la société Accessis en 2016 », et ce, « alors même qu’il n’aurait pas effectivement appréhendé les sommes correspondant aux factures en cause ou qu’elles auraient été versées à des tiers ». Cette solution confirme une jurisprudence constante qui présume l’appréhension par le dirigeant qui contrôle entièrement la société. De manière tout aussi logique, la cour valide l’application de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses, le recours à de fausses factures et la dissimulation caractérisant une volonté d’éluder l’impôt.

II. La nécessaire précision de l’assiette du revenu distribué

Si la cour se montre intraitable sur le principe de la distribution et sur la sanction de la fraude, elle fait preuve d’une orthodoxie juridique rigoureuse quant au calcul de l’assiette taxable. Elle prononce ainsi l’exclusion du rappel de taxe sur la valeur ajoutée du montant de la distribution (A), une censure dont la portée, bien que techniquement juste, demeure limitée au regard du maintien du redressement sur le fond (B).

A. L’exclusion du rappel de taxe sur la valeur ajoutée du montant de la distribution

Le contribuable soutenait à titre subsidiaire que le montant des revenus réputés distribués ne pouvait englober le profit réalisé sur le Trésor. La cour accueille favorablement ce moyen en se fondant sur une lecture combinée des articles L. 77 du livre des procédures fiscales et 110 du code général des impôts. Selon ce dernier, les bénéfices distribués s’entendent de ceux retenus pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Or, l’article L. 77 prévoit que le supplément de taxe sur la valeur ajoutée est déduit des résultats de l’exercice pour le calcul de cet impôt.

Le montant de la taxe sur la valeur ajoutée indûment déduite par la société, bien que réintégré dans les bases de l’impôt sur les sociétés, a été simultanément déduit du résultat de ce même exercice. Par conséquent, cette somme ne constitue pas un élément du bénéfice distribuable. La cour énonce clairement que « Cette somme, qui n’a pu donner lieu à une appréhension par M. B…, ne peut être regardée comme distribuée sur le fondement des dispositions du 1° du 1 de l’article 109 du code général des impôts ». En d’autres termes, le profit réalisé sur le Trésor par la déduction d’une taxe qui n’aurait pas dû l’être ne peut être confondu avec un bénéfice appréhendé par l’associé. L’arrêt procède ainsi à une distinction bienvenue entre le bénéfice social et l’avantage fiscal indu.

B. La portée limitée de la censure : une mesure corrective sans absolution

En réduisant les bases d’imposition du contribuable de la somme de 21 252 euros, la cour réforme le jugement de première instance et accorde une décharge partielle au requérant. Cette décision a le mérite de rappeler que le principe de la distribution occulte ne saurait justifier une imposition sur des sommes qui, par leur nature fiscale, ne constituent pas un revenu dont l’associé a eu la disposition. La solution garantit la cohérence entre l’assiette de l’impôt sur les sociétés et celle de l’impôt sur le revenu du bénéficiaire de la distribution.

Néanmoins, la portée de cette censure est à relativiser. Le redressement est maintenu dans son principe, tout comme la lourde majoration pour manœuvres frauduleuses, qui vient sanctionner un comportement jugé intentionnellement frauduleux. La victoire du contribuable n’est que partielle et purement technique. L’arrêt illustre parfaitement le rôle du juge de l’impôt, qui, tout en réprimant la fraude avec sévérité, doit veiller scrupuleusement au respect des règles de détermination de l’assiette. La décision ne constitue pas une remise en cause de la qualification des faits, mais un simple ajustement du calcul de l’impôt dû, rappelant que la justice fiscale réside aussi dans l’exactitude des chiffres.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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