Cour d’appel administrative de Toulouse, le 6 février 2025, n°23TL01077

Par un arrêt en date du 6 février 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée sur les conditions de retrait d’un titre de séjour fondé sur l’existence d’une menace à l’ordre public. En l’espèce, une ressortissante étrangère, titulaire d’un titre de séjour depuis 2006, a fait l’objet d’une condamnation pénale en 2019 pour des faits commis en 2016. Postérieurement à cette condamnation, l’autorité préfectorale lui a renouvelé sa carte de séjour pluriannuelle. Cependant, par un arrêté du 18 mai 2021, ce même préfet a procédé au retrait de ce titre, se fondant sur ladite condamnation pour caractériser une menace à l’ordre public.

Saisie d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de l’intéressée par un jugement du 9 mars 2023. L’étrangère a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que les faits reprochés ne constituaient pas une menace à l’ordre public et que l’administration avait commis une erreur manifeste d’appréciation. Il revenait donc à la cour de déterminer si une condamnation pénale unique et ancienne, connue de l’administration au moment du renouvellement d’un titre de séjour, pouvait ultérieurement fonder le retrait de ce même titre au motif d’une menace à l’ordre public.

À cette question, la cour administrative d’appel répond par la négative. Elle annule le jugement de première instance ainsi que l’arrêté préfectoral, considérant que les faits, « qui présentent un caractère ancien et isolé, ne sauraient suffire à caractériser une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l’ordre public ». La solution, qui réaffirme l’exigence d’une appréciation rigoureuse de la menace à l’ordre public (I), illustre l’intensité du contrôle opéré par le juge sur les décisions préfectorales en la matière (II).

I. La réaffirmation d’une conception stricte de la menace à l’ordre public

La cour administrative d’appel rappelle que le retrait d’un titre de séjour pour ce motif est subordonné à une appréciation concrète des faits (A), laquelle doit établir le caractère actuel de la menace (B).

A. Une appréciation *in concreto* des antécédents de l’étranger

Le juge administratif exerce un contrôle de l’erreur d’appréciation sur la qualification de menace à l’ordre public retenue par l’administration. Cette dernière ne peut se fonder sur la seule existence d’une condamnation pénale pour justifier le retrait d’un titre de séjour. En l’espèce, la cour ne se limite pas à constater l’existence d’une condamnation à une peine de deux ans d’emprisonnement, dont six mois avec sursis. Elle prend soin de contextualiser les faits en relevant que le casier judiciaire de l’intéressée était vierge jusqu’alors.

En procédant ainsi, la cour rappelle que la gravité intrinsèque d’une infraction ne suffit pas à elle seule. L’administration doit se livrer à un examen complet de la situation personnelle de l’étranger, incluant son comportement général et l’ensemble de son parcours. La décision souligne que les faits sanctionnés, bien que réels, constituent un événement unique dans le parcours de l’intéressée, ce qui tend à en diminuer la portée pour l’appréciation future de son comportement. Cette approche globale est une garantie essentielle contre des décisions de retrait qui seraient quasi automatiques.

B. L’exigence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave

La Cour rappelle la jurisprudence constante selon laquelle la menace à l’ordre public doit être « réelle, actuelle et suffisamment grave ». Le simple renvoi à une condamnation passée ne satisfait pas à cette triple exigence. En l’espèce, le juge relève que les faits ont été commis en 2016, soit cinq ans avant la décision de retrait, et que la condamnation elle-même datait de près de deux ans. Ce laps de temps est déterminant pour écarter le caractère actuel de la menace.

De plus, la cour observe que l’administration avait elle-même relativisé la portée de cette condamnation en renouvelant le titre de séjour de l’intéressée le 15 octobre 2019, soit postérieurement au jugement pénal. Cet acte positif de l’administration vient contredire l’idée qu’elle percevait alors la présence de l’étrangère comme une menace. En se contredisant ainsi plusieurs mois plus tard, sans élément nouveau, le préfet ne pouvait valablement établir le caractère actuel et suffisamment grave du trouble. C’est donc logiquement que la Cour conclut que les faits « présentent un caractère ancien et isolé ».

Cette analyse factuelle minutieuse révèle en creux la portée du contrôle exercé par le juge sur la cohérence de l’action administrative.

II. La portée du contrôle juridictionnel sur l’appréciation préfectorale

La décision de la cour administrative d’appel sanctionne une incohérence de l’administration (A) et aboutit à une solution d’espèce qui réaffirme les principes directeurs du droit des étrangers (B).

A. La censure d’une appréciation administrative incohérente

L’un des apports implicites mais puissants de l’arrêt réside dans la prise en compte du comportement antérieur de l’administration. En renouvelant le titre de l’intéressée après sa condamnation, le préfet avait porté une appréciation qui, en l’absence de faits nouveaux, ne pouvait être remise en cause ultérieurement sans justification. Le retrait opéré en 2021 apparaît dès lors comme un revirement difficilement explicable, que le silence du préfet en défense ne vient pas éclaircir. L’administration ne peut ignorer ses propres décisions antérieures pour fonder une nouvelle mesure défavorable sur des faits qu’elle a déjà, en quelque sorte, « purgés ».

La cour renforce son raisonnement en se référant à une autre décision de justice, qui a annulé un arrêté de retrait pris à l’encontre du fils de la requérante, « condamné aux mêmes peines pour les mêmes faits ». Le fait que l’administration n’ait pas fait appel de ce jugement, le rendant définitif, est interprété comme un acquiescement à l’analyse du premier juge selon laquelle les faits n’étaient pas suffisants pour caractériser une menace à l’ordre public. En relevant ce point, la cour met en exergue une seconde incohérence : celle de l’administration qui s’acharne sur un individu alors qu’elle a renoncé à poursuivre une situation identique.

B. Une solution d’espèce réaffirmant les garanties procédurales

Si l’arrêt est solidement motivé, sa portée doit être nuancée. Il s’agit avant tout d’une décision d’espèce, dont la solution est fortement dictée par un faisceau d’indices concordants : l’ancienneté des faits, leur caractère isolé, le renouvellement du titre après la condamnation, et l’existence d’une décision de justice favorable dans un cas similaire. L’absence d’observations en défense de la part du préfet a sans doute également pesé dans la balance, le juge n’ayant « aucune argumentation contraire » à examiner.

Toutefois, en censurant une erreur d’appréciation dans un tel contexte, la cour rappelle avec fermeté que le pouvoir de retrait conféré à l’administration par l’article L. 432-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’est pas discrétionnaire. Elle réaffirme que le contrôle du juge est entier et qu’il porte sur l’ensemble des circonstances de fait et de droit. Cette décision constitue un rappel salutaire à l’administration de l’obligation de motiver ses décisions non seulement en droit, mais aussi avec une cohérence factuelle et temporelle rigoureuse, protégeant ainsi les administrés contre l’arbitraire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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