Par un arrêt rendu le 6 mai 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’une sanction disciplinaire infligée à un haut fonctionnaire, offrant un éclairage sur les conséquences procédurales de la reconnaissance récente du droit de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire.
En l’espèce, un administrateur des finances publiques, occupant des fonctions de direction et de commissaire du gouvernement auprès d’un ordre professionnel, a fait l’objet de poursuites pénales et, parallèlement, d’une procédure disciplinaire. L’administration lui reprochait d’avoir communiqué des informations à un contribuable faisant l’objet d’une vérification de comptabilité et de l’avoir assisté dans la rédaction d’un courrier destiné au service vérificateur. Par un arrêté du 6 juillet 2021, le ministre compétent a prononcé à son encontre une sanction d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux mois. Le fonctionnaire a saisi le tribunal administratif de Toulouse afin d’obtenir l’annulation de cette décision. Par un jugement du 7 mars 2023, sa demande a été rejetée. L’agent a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant notamment l’irrégularité de la procédure disciplinaire au motif qu’il n’avait pas été informé de son droit de se taire, ainsi que l’inexistence d’une faute et la disproportion de la sanction.
Il revenait ainsi au juge d’appel de déterminer si l’omission d’informer un agent public de son droit de se taire, garantie nouvelle issue d’une décision du Conseil constitutionnel, entache systématiquement d’illégalité la sanction prononcée. Il lui fallait également apprécier si les faits reprochés à l’agent étaient constitutifs d’une faute disciplinaire et si la sanction retenue était proportionnée.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que l’irrégularité procédurale tirée de l’absence d’information du droit de se taire n’entraîne l’annulation de la sanction que si cette dernière repose de manière déterminante sur les déclarations de l’agent. Par ailleurs, elle confirme que les agissements du fonctionnaire constituent bien une faute de nature à justifier une sanction et que la mesure prise par l’administration n’est pas disproportionnée.
La décision de la cour administrative d’appel précise ainsi l’application d’une garantie procédurale nouvelle en matière disciplinaire (I), tout en réaffirmant avec fermeté l’étendue du pouvoir de contrôle et de sanction de l’administration sur ses agents (II).
I. Une application conditionnée de la garantie du droit au silence en matière disciplinaire
La cour administrative d’appel prend acte de la consécration du droit pour un agent public de garder le silence lors d’une procédure disciplinaire (A), mais elle en limite immédiatement la portée pratique en conditionnant les conséquences de sa méconnaissance (B).
A. La consécration du droit de se taire comme exigence procédurale
L’arrêt commenté applique pour la première fois les conséquences d’une décision du Conseil constitutionnel du 4 octobre 2024, qui a étendu le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser au champ du droit disciplinaire de la fonction publique. La cour rappelle qu’en vertu de cette décision, « le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire ». Cette exigence, qui découle de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, s’impose désormais à l’autorité disciplinaire.
Le juge administratif précise le champ d’application de cette nouvelle garantie. Il énonce que l’agent doit être avisé de ce droit « avant d’être entendu pour la première fois », et que cette information vaut « pour l’ensemble de la procédure disciplinaire ». Cette clarification établit un cadre clair pour l’administration, qui doit intégrer cette information dès l’engagement des poursuites. L’arrêt étend même cette obligation aux enquêtes administratives diligentées à l’encontre d’un agent déjà sous le coup d’une procédure disciplinaire, afin d’éviter tout contournement. En l’espèce, la cour constate sans difficulté que l’administration n’a pas informé l’agent de son droit, la procédure étant antérieure à la décision du Conseil constitutionnel mais l’instance n’étant pas définitivement jugée. L’irrégularité de la procédure est donc reconnue sur ce point.
B. La neutralisation des effets de l’irrégularité procédurale
Cependant, la cour administrative d’appel ne tire pas de cette irrégularité une conséquence automatique d’annulation. Elle crée un mécanisme de régulation qui subordonne l’annulation de la sanction à une condition stricte. Le vice de procédure « n’est susceptible d’entraîner l’annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l’agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l’intéressé n’avait pas été informé de ce droit ».
Ce faisant, le juge s’inspire de solutions existantes en contentieux administratif, où tous les vices de procédure n’ont pas la même portée. En l’espèce, il constate que les griefs retenus contre l’agent reposent non pas sur ses auditions, au cours desquelles il a d’ailleurs nié les faits, mais sur des « courriers et courriels saisis dans le cadre de la procédure de visite et de saisie ». Dès lors, puisque l’agent ne s’est pas auto-incriminé, l’absence d’information sur son droit de se taire est jugée sans influence sur la décision finale. Cette solution pragmatique évite une annulation purement formelle, mais elle réduit considérablement la portée de la nouvelle garantie, la rendant inopérante lorsque l’administration dispose d’autres preuves matérielles.
II. La confirmation de l’autonomie et de la rigueur du pouvoir disciplinaire
Au-delà de la question procédurale, l’arrêt réaffirme avec force l’autonomie de l’action disciplinaire par rapport à l’action pénale (A) et valide une appréciation sévère de la faute commise par un haut fonctionnaire (B).
A. L’indépendance de la qualification disciplinaire des faits
Le requérant soutenait que la sanction était infondée au motif que les poursuites pénales engagées contre lui n’avaient pas abouti à une condamnation. La cour écarte cet argument en rappelant le principe de l’indépendance des procédures pénales et administratives. Elle souligne que l’autorité disciplinaire peut qualifier des faits de faute disciplinaire sans attendre l’issue d’une procédure pénale et même si celle-ci n’aboutit pas. En l’occurrence, le renvoi du dossier au ministère public par le tribunal correctionnel pour complément d’enquête n’éteignait pas l’action publique et, en tout état de cause, ne privait pas l’administration de son pouvoir de sanctionner des manquements déontologiques.
Cette position classique réaffirme que la faute disciplinaire obéit à sa propre logique, fondée sur le respect des obligations statutaires. L’arrêt précise que les faits reprochés, à savoir la fourniture à un contribuable contrôlé « des éléments lui permettant de faire face au contrôle », sont constitutifs de « manquements à l’obligation de discrétion professionnelle, de neutralité et d’impartialité et au devoir de loyauté ». La cour valide ainsi la qualification juridique retenue par l’administration, considérant que le comportement de l’agent a rompu le lien de confiance qui doit l’unir à sa hiérarchie.
B. Une appréciation mesurée de la proportionnalité de la sanction
Enfin, la cour exerce son contrôle sur la proportionnalité de la sanction infligée. Bien que le juge de l’excès de pouvoir effectue un contrôle normal en la matière, il fait preuve d’une certaine retenue lorsqu’il examine les choix de l’administration. En l’espèce, le juge estime qu’une exclusion temporaire de fonctions de deux mois n’est pas disproportionnée. Pour ce faire, il prend en considération plusieurs éléments aggravants.
Il retient d’abord « la nature des responsabilités exercées par l’agent », signifiant qu’un cadre supérieur est soumis à des obligations déontologiques renforcées. Ensuite, il considère le caractère « inapproprié de sa relation avec un contribuable », incompatible avec ses devoirs. Fait notable, la cour admet que l’autorité disciplinaire pouvait légalement prendre en compte « le retentissement de ces faits dans la presse locale et l’atteinte à la réputation des services qu’elle induit », et ce, même si le fonctionnaire n’est pas à l’origine de cette médiatisation. La protection de l’image de l’administration devient ainsi un critère pertinent dans l’appréciation de la gravité d’une faute, justifiant une sanction qui, au regard des seuls faits, aurait pu paraître sévère.