Par un arrêt en date du 6 mars 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur l’étendue de la réparation des préjudices consécutifs à une faute médicale ayant entraîné une perte de chance de survie pour un enfant à naître. En l’espèce, le suivi d’une grossesse au sein d’un centre hospitalier a été marqué par une prise en charge défaillante, aboutissant au décès in utero du fœtus à vingt-huit semaines d’aménorrhées. Les parents ont alors saisi la juridiction administrative afin d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices. Par un jugement du 3 octobre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a reconnu la responsabilité pour faute de l’établissement mais n’a que partiellement fait droit à la demande indemnitaire des requérants. Ces derniers ont interjeté appel de cette décision, contestant l’évaluation de leur préjudice d’affection ainsi que le refus d’indemniser les souffrances endurées par la mère et une partie des frais d’obsèques. La question de droit qui se posait à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si des souffrances physiques et morales, distinctes du préjudice d’affection, peuvent être indemnisées sur le fondement d’un faisceau d’indices factuels, nonobstant les lacunes d’un rapport d’expertise. D’autre part, la cour devait statuer sur le point de savoir si le principe de réparation intégrale commande le remboursement de frais funéraires acquittés par un tiers à l’instance. La juridiction d’appel répond de manière différenciée à ces interrogations. Elle admet que la réalité des souffrances endurées « peut être admise en considération des examens et des hospitalisations subis par l’intéressée », infirmant ainsi l’appréciation des premiers juges. En revanche, elle confirme l’exclusion des frais d’obsèques non personnellement supportés par les demandeurs. Par conséquent, la cour réforme le jugement de première instance en majorant l’indemnité allouée aux parents.
La solution retenue par la cour administrative d’appel témoigne d’une approche duale, conjuguant une stricte orthodoxie dans l’appréciation du préjudice patrimonial (I) à une reconnaissance plus pragmatique et compréhensive du préjudice personnel des victimes (II).
I. L’application rigoureuse des principes de la réparation patrimoniale
La cour administrative d’appel, tout en actant la faute de l’établissement et la perte de chance qui en découle, applique avec une grande rigueur les conditions de l’indemnisation des préjudices patrimoniaux. Elle confirme d’abord l’évaluation de la perte de chance qui n’est pas remise en cause (A), avant de rejeter fermement la prise en charge de frais non acquittés personnellement par les requérants (B).
A. La confirmation d’une perte de chance non contestée
Le raisonnement des juges d’appel s’ancre sur un socle de responsabilité qui n’est plus discuté par les parties. La faute commise par le centre hospitalier, consistant en un défaut de suivi et de prise en charge ayant empêché le diagnostic d’un retard de croissance intra-utérin, est tenue pour acquise. De même, la conséquence directe de cette faute, à savoir une perte de chance pour l’enfant d’échapper à son décès, est établie.
Le tribunal administratif avait fixé le taux de cette perte de chance à 25 %, se fondant sur l’état d’hypoxie antérieur du fœtus et suivant en cela les conclusions de l’expertise judiciaire. L’arrêt d’appel prend soin de relever que « ce taux, correspondant d’ailleurs à celui retenu par l’expert judiciaire dans ses conclusions, n’est pas contesté par les parties ». Cette absence de contestation dispense la cour d’un nouvel examen sur ce point, lui permettant de concentrer son analyse sur l’évaluation des préjudices consécutifs, lesquels doivent tous être affectés de cet abattement de 75 %.
B. L’exigence d’un préjudice personnel pour l’indemnisation des frais
Concernant les frais d’obsèques, la cour fait preuve d’une orthodoxie juridique sans faille. Les requérants sollicitaient le remboursement d’une facture de pompes funèbres ainsi que des frais liés à l’acquisition d’une concession funéraire. Or, les pièces du dossier révélaient que cette concession avait été acquittée par un autre membre de la famille, non partie à l’instance.
La cour confirme le raisonnement des premiers juges en énonçant clairement que les requérants « n’établissent pas s’être acquittés personnellement de tels frais, qui ne peuvent donc être pris en compte dans l’évaluation de ce poste de préjudice ». Cette position réaffirme un principe cardinal du droit de la responsabilité, selon lequel la réparation ne peut viser qu’un préjudice personnel, certain et direct. Le seul fait qu’une dépense ait été engagée par l’entourage de la victime ne suffit pas à créer un droit à créance à son profit. La solution, quoique rigoureuse, est juridiquement imparable et prévient tout risque d’enrichissement sans cause pour les demandeurs.
II. La reconnaissance pragmatique des souffrances endurées
Si la cour se montre stricte sur le terrain du préjudice patrimonial, elle adopte une posture plus souple s’agissant du préjudice personnel. Elle censure le formalisme excessif des premiers juges pour reconnaître l’existence de souffrances endurées (A), avant de procéder à une évaluation souveraine de ce chef de préjudice, distinct du préjudice d’affection (B).
A. La censure du formalisme des premiers juges
Le tribunal administratif avait écarté l’indemnisation des souffrances endurées par la mère au motif qu’elles n’avaient pas été décrites et quantifiées avec précision par l’expert. La cour administrative d’appel infirme cette analyse en des termes particulièrement nets. Elle juge que, « contrairement à ce que fait valoir le centre hospitalier et à ce qu’a jugé le tribunal, la réalité de ces souffrances endurées peut être admise en considération des examens et des hospitalisations subis par l’intéressée ».
Ce faisant, la cour se dégage d’une stricte dépendance aux conclusions expertales. Elle considère que la succession d’examens, d’hospitalisations, l’anxiété qui en résulte, ainsi que les symptômes physiques subis par la mère, constituent un faisceau d’indices suffisant pour établir la matérialité de souffrances distinctes de la seule douleur morale liée à la perte de l’enfant. Cette démarche pragmatique permet de corriger les éventuelles lacunes d’un rapport d’expertise, en rappelant que le juge conserve son plein office dans l’appréciation des préjudices à partir des faits qui lui sont soumis.
B. Une évaluation souveraine d’un préjudice distinct
Une fois la réalité du préjudice admise, la cour procède à sa propre évaluation. Elle relève d’ailleurs que l’expert, bien que peu disert, avait tout de même « retenu un « pretium doloris », expression latine désignant le chef de préjudice en litige et l’a évalué à 3 sur une échelle allant de 1 à 7 ». Cet élément, ignoré en première instance, conforte la cour dans sa décision d’allouer une indemnité à ce titre.
Elle procède alors à une juste appréciation des souffrances endurées en les fixant, après application du taux de perte de chance, à la somme de 1 000 euros. Ce montant, bien que modeste, a une portée symbolique et juridique importante. Il consacre l’autonomie du poste de préjudice des souffrances endurées par rapport au préjudice d’affection, lequel avait déjà été indemnisé. L’arrêt souligne ainsi que la victime d’une faute médicale peut subir un préjudice composite, dont chaque élément doit, pour assurer le respect du principe de réparation intégrale, faire l’objet d’une juste et distincte indemnisation.