Par un arrêt en date du 8 avril 2025, une cour administrative d’appel a précisé les modalités de computation du délai de déclaration d’un accident de service. En l’espèce, une agente territoriale a été victime d’une chute sur le trajet entre son domicile et un rendez-vous professionnel le 3 juillet 2020. Cet événement, signalé le jour même à sa hiérarchie, n’a pas entraîné d’arrêt de travail initial, les examens médicaux d’urgence n’ayant révélé aucune incapacité de travail. Souffrant de douleurs persistantes, l’agente s’est vu prescrire un arrêt de travail à compter du 18 août 2020. Elle a alors déposé une première déclaration d’accident de service le 2 septembre 2020. Ultérieurement, un nouvel examen en date du 9 décembre 2020 a diagnostiqué une fracture qui n’avait pas été identifiée auparavant, conduisant l’agente à effectuer une seconde déclaration le 10 décembre 2020.
L’employeur public a rejeté ces deux déclarations au motif de leur tardiveté, estimant que le délai de quinze jours imparti pour la déclaration courait à compter de la date de l’accident lui-même, soit le 3 juillet 2020. L’agente a contesté ces décisions de rejet. Le tribunal administratif, saisi en première instance, a annulé un premier refus pour incompétence de son auteur mais a rejeté les demandes dirigées contre les décisions de l’autorité compétente, validant ainsi l’argumentation de l’administration sur la tardiveté de la déclaration. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer le point de départ du délai de quinze jours prévu par les textes pour la déclaration d’un accident imputable au service. Plus précisément, la question se posait de savoir si ce délai devait être décompté à partir de la date du fait accidentel ou à partir de la date de la constatation médicale de l’incapacité de travail ouvrant droit à un congé pour invalidité.
La cour administrative d’appel censure le raisonnement des premiers juges et de l’administration. Elle juge que le délai de déclaration ne court qu’à compter de la date du certificat médical établissant une lésion et une incapacité de travail justifiant l’octroi du congé sollicité. Par conséquent, elle annule les décisions de rejet de l’employeur.
Cette décision clarifie de manière pragmatique le régime de la déclaration d’accident de service en liant fermement le point de départ du délai à l’ouverture effective du droit à congé (I). La solution adoptée, fondée sur une interprétation finaliste des textes, renforce ainsi la protection des agents victimes d’accidents dont les conséquences se révèlent de manière différée (II).
***
I. La réaffirmation du lien entre la déclaration d’accident et l’ouverture du droit à congé
La cour d’appel, pour juger les déclarations de l’agente recevables, écarte une application littérale du délai de déclaration qui aurait pour effet de le faire courir dès la survenance de l’accident (A). Elle consacre au contraire une approche fonctionnelle en retenant comme point de départ la date de la constatation médicale de l’incapacité, moment où la demande de congé devient fondée (B).
A. Le rejet d’une computation du délai à compter du fait accidentel
L’administration, suivie en cela par le tribunal administratif, s’était fondée sur une lecture stricte des dispositions réglementaires pour opposer un refus à l’agente. Selon cette analyse, la déclaration d’accident doit intervenir dans les quinze jours suivant le fait générateur. En l’espèce, l’accident ayant eu lieu le 3 juillet 2020, la déclaration du 2 septembre 2020 apparaissait manifestement tardive. Cette position, si elle bénéficie d’une apparente simplicité, méconnaît cependant la finalité même de la procédure de déclaration, qui est d’obtenir le bénéfice d’un congé pour invalidité temporaire imputable au service. Le juge d’appel prend soin de relever que, le jour de l’accident, l’agente ne pouvait se prévaloir d’un tel droit.
En effet, le juge souligne que le premier examen médical n’a donné lieu « qu’à un certificat médical d’accident du travail mentionnant seulement des soins sans arrêt de travail, de sorte qu’elle n’était pas fondée à cette date à adresser une déclaration d’accident en vue de l’obtention d’un congé d’invalidité temporaire imputable au service ». Exiger de l’agent qu’il accomplisse une démarche en vue de l’obtention d’un droit qu’il ne peut encore solliciter constituerait une rigueur excessive et juridiquement incohérente. L’arrêt écarte donc logiquement cette interprétation pour privilégier une solution qui ancre la procédure dans la réalité de la situation médicale de l’agent.
B. La consécration de la constatation médicale comme point de départ
En contrepoint de l’analyse qu’il censure, le juge d’appel établit que le point de départ du délai de déclaration doit coïncider avec l’événement qui rend la demande de congé pertinente. Cet événement est le certificat médical qui, le premier, constate l’existence d’une lésion et d’une incapacité de travail en lien avec l’accident. En l’espèce, c’est le certificat du 18 août 2020 qui, en prescrivant un arrêt de travail, a matérialisé pour l’agente le droit de solliciter un congé pour invalidité. La cour en déduit que l’intéressée « disposait d’un délai de 15 jours à compter de l’émission de ce certificat pour adresser une déclaration d’accident de trajet ».
Le même raisonnement est appliqué à la seconde déclaration, déposée à la suite de la découverte d’une fracture. Le certificat du 9 décembre 2020 constitue une nouvelle constatation médicale, portant sur une lésion qui « n’avait pas été constatée antérieurement ». Il ouvre donc un nouveau délai de déclaration pour cette affection spécifique. Cette application distributive de la règle démontre la cohérence de la solution, qui s’adapte à l’évolution de l’état de santé de l’agent. Le point de départ du délai n’est donc pas figé à la date de l’accident, mais peut être reporté, voire se présenter à plusieurs reprises, au gré des diagnostics médicaux qui révèlent l’étendue des préjudices subis.
II. La portée d’une solution pragmatique protectrice des droits de l’agent
La valeur de cet arrêt réside dans son interprétation téléologique des textes, qui favorise la substance du droit sur le formalisme de la procédure (A). Sa portée pratique est considérable, notamment pour la gestion des accidents dont les séquelles ne sont pas immédiatement apparentes, offrant une sécurité juridique accrue aux agents publics (B).
A. La valeur d’une interprétation finaliste des textes
En refusant de s’en tenir à la lettre du décret, la cour administrative d’appel procède à une interprétation finaliste, c’est-à-dire guidée par l’objectif poursuivi par la norme. La déclaration d’accident n’est pas une fin en soi ; elle est l’instrument qui permet à l’agent de faire valoir ses droits à un congé spécifique et à la prise en charge qui en découle. L’arrêt aligne ainsi la procédure sur le droit substantiel. Cette approche pragmatique prévient des situations inéquitables où un agent diligent, qui informe sa hiérarchie et se soumet à un examen médical immédiat, serait privé de ses droits au motif que les conséquences de son accident ne se sont manifestées que tardivement.
Cette solution présente également une valeur en termes de bonne administration. Elle évite d’inciter les agents à multiplier les déclarations de précaution pour chaque incident mineur, par crainte de la forclusion. La démarche est ainsi réservée aux seules situations où un enjeu d’incapacité de travail est médicalement avéré, ce qui allège la charge administrative pour les services gestionnaires. Le juge assure de la sorte un juste équilibre entre la nécessité pour l’administration d’être informée dans un délai raisonnable et le droit légitime de l’agent à la protection de sa santé.
B. La portée de la décision pour les accidents à évolution lente ou différée
Au-delà du cas d’espèce, la portée de cet arrêt est significative pour toutes les situations où les conséquences d’un accident de service ou de trajet se révèlent progressivement. Il peut s’agir de lésions physiques dont la gravité n’est pas immédiatement décelée, comme une fracture non diagnostiquée initialement, ou de troubles psychologiques post-traumatiques qui peuvent n’émerger qu’après une période de latence. En liant le délai de déclaration à la constatation médicale de l’incapacité, la jurisprudence offre une réponse adaptée à la complexité de ces tableaux cliniques évolutifs.
La décision précise implicitement mais nécessairement la notion de « première constatation médicale ». Il ne s’agit pas du premier examen réalisé après l’accident, mais du premier certificat qui établit un lien entre l’accident et une incapacité de travail. Cette nuance est fondamentale car elle garantit que le droit de l’agent n’est pas périmé par un premier diagnostic incomplet ou rassurant. L’arrêt apporte ainsi une clarification bienvenue et renforce la sécurité juridique des agents face aux aléas de leur état de santé consécutif à un accident subi dans le cadre de leurs fonctions.