Cour d’appel administrative de Toulouse, le 8 avril 2025, n°24TL01236

Par un arrêt en date du 8 avril 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée sur la valeur probante des actes d’état civil étrangers face aux données issues de fichiers européens dans le cadre d’une demande de titre de séjour.

En l’espèce, un ressortissant ivoirien, se déclarant mineur à son arrivée en France, a été confié au service de l’aide sociale à l’enfance. Devenu majeur, il a sollicité une carte de séjour temporaire sur le fondement de l’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, disposition applicable aux jeunes étrangers pris en charge par cette institution entre seize et dix-huit ans. À l’appui de sa demande, il a produit des documents d’état civil et d’identité jugés authentiques par les services de la police aux frontières. Toutefois, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer le titre de séjour et a assorti sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. L’autorité préfectorale fondait son refus sur des informations issues du fichier Eurodac, lesquelles révélaient que l’intéressé était connu sous d’autres identités et dates de naissance en Italie, remettant ainsi en cause sa minorité lors de sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance. Saisi par l’étranger, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’arrêté préfectoral par un jugement du 25 avril 2024, estimant la condition d’âge remplie. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement.

Il convenait donc pour la cour de déterminer si des données issues du fichier Eurodac, révélant des déclarations d’identité antérieures divergentes, sont suffisantes pour renverser la présomption de véracité attachée à des actes d’état civil étrangers dont l’authenticité formelle est par ailleurs établie.

La cour administrative d’appel rejette la requête du préfet. Elle juge que les éléments issus du fichier Eurodac, bien qu’ils attestent d’une présence antérieure de l’intéressé en Italie sous d’autres identités, « ne sont suffisantes par elles-mêmes pour caractériser l’incohérence alléguée par l’autorité préfectorale » et ne peuvent, dans ces conditions, remettre en cause la valeur probante des documents d’état civil produits. La cour confirme ainsi l’analyse des premiers juges et l’existence d’une erreur de fait commise par le préfet.

La décision de la cour administrative d’appel consacre une interprétation rigoureuse des règles de preuve relatives à l’état civil des étrangers, réaffirmant la primauté des documents authentifiés (I), tout en délimitant la portée du contrôle exercé par le juge sur les investigations de l’administration (II).

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I. La réaffirmation de la primauté des actes d’état civil authentifiés

La cour rappelle avec fermeté le principe de la force probante des actes d’état civil étrangers (A) et juge que les éléments issus du fichier Eurodac sont, en l’espèce, insuffisants pour y déroger (B).

A. Le principe de la force probante des actes d’état civil

La solution de l’arrêt s’ancre dans les dispositions de l’article 47 du code civil, auquel renvoie le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte dispose que tout acte de l’état civil étranger fait foi en France s’il a été rédigé selon les formes en usage dans le pays d’origine. Cette présomption de validité n’est cependant pas irréfragable. Le juge administratif, comme le précise la cour, peut l’écarter si « d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».

Pour apprécier si cette preuve contraire est rapportée, le juge administratif forge sa conviction au vu de l’ensemble des pièces du dossier. La cour énonce ainsi que pour juger un acte dépourvu de force probante, le juge « doit, par suite, se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l’instruction du litige qui lui est soumis ». Ce faisant, elle rappelle que l’appréciation de la validité d’un acte d’état civil ne relève pas d’un système de preuve légale, mais d’une intime conviction fondée sur un faisceau d’indices concordants. L’enjeu est de concilier la nécessaire confiance accordée aux documents officiels étrangers et l’indispensable lutte contre la fraude documentaire.

B. L’insuffisance des données du fichier Eurodac comme preuve contraire

Appliquant ce principe au cas d’espèce, la cour examine les éléments avancés par le préfet pour contester la minorité de l’intéressé au moment de sa prise en charge. L’administration se prévalait exclusivement de la consultation du fichier Eurodac, qui associe les empreintes digitales d’un demandeur d’asile ou d’un étranger en situation irrégulière à des données déclarées. Or, la cour considère que ces informations ne permettent pas de renverser la présomption attachée aux actes d’état civil de l’intéressé.

Plusieurs raisons motivent cette conclusion. D’une part, les documents produits, notamment un extrait d’acte de naissance, une carte consulaire et un passeport, avaient été formellement authentifiés par le service spécialisé de la police aux frontières. D’autre part, la cour relève que les données du fichier Eurodac, si elles établissent une présence antérieure en Italie, ne sauraient à elles seules prouver que l’âge déclaré en France est frauduleux. Le simple fait que l’étranger ait « déclaré d’autres identités aux autorités de cet Etat » n’est pas jugé déterminant. La cour souligne surtout que « l’administration n’a par ailleurs procédé à aucune vérification particulière auprès des autorités ivoiriennes ». Cette absence de diligence complémentaire affaiblit considérablement la position du préfet et conduit la cour à écarter l’argumentation fondée sur les seules données du fichier européen.

II. La portée et la valeur du contrôle du juge administratif

Au-delà de son apport sur la hiérarchie des modes de preuve, l’arrêt se distingue par la protection qu’il accorde à la sécurité juridique de l’administré (A) et par le rappel implicite des diligences qui incombent à l’administration lorsqu’elle entend contester un état civil (B).

A. Une protection de la sécurité juridique de l’administré

La solution retenue par la cour administrative d’appel de Toulouse participe au renforcement de la sécurité juridique pour les étrangers qui sollicitent un titre de séjour. En exigeant des éléments probants et circonstanciés pour écarter des documents jugés authentiques, la cour limite le risque d’une remise en cause de l’état civil sur la base de simples soupçons ou d’incohérences non corroborées. Un étranger qui présente des documents officiels, dont l’intégrité a été vérifiée par les services de l’État, doit pouvoir raisonnablement s’attendre à ce que ceux-ci soient pris en compte.

Admettre que des données issues d’un fichier déclaratif tel qu’Eurodac puissent, à elles seules, anéantir la force probante d’un passeport ou d’un acte de naissance authentifiés créerait une précarité administrative importante. La décision s’inscrit ainsi dans une logique de juste équilibre, reconnaissant la légitimité du contrôle de l’administration tout en le subordonnant au respect de garanties procédurales et à l’exigence d’une preuve suffisamment solide. Elle protège l’administré contre une décision qui, en l’espèce, s’analysait en une erreur de fait fondée sur des déductions insuffisamment étayées.

B. Un rappel des diligences incombant à l’administration

L’arrêt, s’il censure la décision du préfet, ne prive pas pour autant l’administration de tout moyen pour contester un acte d’état civil qui lui paraîtrait frauduleux. Au contraire, en soulignant l’absence de « vérification particulière auprès des autorités ivoiriennes », la cour dessine en creux la marche à suivre. Elle suggère que l’administration, face à des doutes sérieux nés d’éléments extérieurs comme les données Eurodac, se doit d’engager des investigations complémentaires pour les confirmer. Ces diligences peuvent prendre la forme d’une demande de vérification d’authenticité de l’acte auprès des autorités consulaires du pays d’origine ou d’une saisine du procureur de la République.

La portée de cet arrêt n’est donc pas de sanctuariser de manière absolue les actes d’état civil étrangers, mais de discipliner la méthode de leur contestation par l’administration. Il s’agit moins d’un arrêt de principe modifiant l’état du droit que d’une décision d’espèce pédagogique. Elle rappelle que le renversement de la présomption de l’article 47 du code civil est un processus exigeant qui ne saurait reposer sur la seule exploitation d’un fichier administratif, mais doit s’appuyer sur une instruction rigoureuse et contradictoire des faits. Le contrôle du juge administratif porte ainsi autant sur la matérialité des faits que sur la qualité des diligences accomplies par l’administration pour les établir.

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