Cour d’appel administrative de Toulouse, le 8 avril 2025, n°24TL02993

Par un arrêt en date du 8 avril 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée sur les conditions de recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre une décision de non-renouvellement d’un contrat de la fonction publique. En l’espèce, un agent contractuel employé par une université s’est vu notifier le non-renouvellement de son engagement à son échéance. L’agent a saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de cette décision et de réparation de ses préjudices. Par une ordonnance, le tribunal a rejeté sa demande comme étant irrecevable, au motif principal que le recours avait été introduit au-delà du délai raisonnable. L’agent a interjeté appel de cette ordonnance, soutenant notamment que le délai de recours n’avait pu courir en raison d’une notification irrégulière de la décision initiale. Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si la connaissance acquise de la décision par d’autres voies pouvait suppléer une éventuelle irrégularité de la notification postale et ainsi faire courir le délai de recours raisonnable. La cour a confirmé l’irrecevabilité du recours en annulation, considérant que l’agent avait eu connaissance de la décision plus d’un an avant d’introduire sa requête. Elle a également jugé irrecevables les conclusions indemnitaires en l’absence de demande préalable liant le contentieux.

La solution retenue par la cour administrative d’appel illustre l’application rigoureuse du principe de sécurité juridique à travers le délai de recours raisonnable (I), tout en réaffirmant une condition procédurale classique pour les demandes indemnitaires (II).

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I. L’application rigoureuse du délai raisonnable de recours contentieux

La cour fonde sa décision sur une appréciation extensive du point de départ du délai de recours (A), ce qui la conduit à constater sans surprise la tardiveté de la requête (B).

A. La détermination extensive du point de départ du délai

L’enjeu principal du litige portait sur le commencement du délai dans lequel l’agent pouvait contester la décision de non-renouvellement. L’administration soutenait que la notification avait été régulièrement effectuée par un pli recommandé présenté à l’adresse de l’agent puis retourné avec la mention « Pli avisé et non réclamé ». La cour relève que de telles mentions « établissent qu’à la date de sa présentation, le destinataire du pli a bien été avisé de sa mise en instance au bureau de poste ». Cette approche confirme une jurisprudence constante qui fait peser sur le destinataire la responsabilité de retirer les courriers qui lui sont adressés. La cour ne s’est toutefois pas limitée à cette seule analyse de la notification postale.

Elle ajoute en effet un motif subsidiaire décisif, en relevant que, « à supposer que cette notification ne puisse être regardée comme ayant été régulière, la requérante admet dans sa requête d’appel, qu’elle a été rendue destinataire de la décision litigieuse par un courriel adressé le 4 juillet 2022 ». En s’appuyant sur cet aveu, la cour juge que l’agent est « réputée en avoir eu connaissance dès le 4 juillet 2022 ». Cette méthode démontre que la preuve de la connaissance acquise d’un acte administratif prime sur les éventuels vices formels de sa notification. Le juge administratif recherche la réalité de l’information du destinataire, peu important le canal par lequel cette information lui est parvenue. Cette solution pragmatique empêche qu’un administré puisse se prévaloir indéfiniment d’un défaut de notification alors même qu’il est établi qu’il connaissait la substance et la date de la décision le concernant.

B. Le rejet classique de la tardiveté de la requête

Une fois la date de connaissance de la décision fixée, la cour procède à une application mécanique du principe de sécurité juridique dégagé par le Conseil d’État dans sa décision *Czabaj* de 2016. Ce principe impose que, même en l’absence de mention des voies et délais de recours, une décision individuelle ne peut être contestée au-delà d’un délai raisonnable, lequel est en principe d’un an. En l’espèce, la décision attaquée ne comportait pas ces mentions obligatoires, ouvrant ainsi la voie à l’application de ce délai jurisprudentiel.

La cour constate que la requête a été « enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nîmes le 3 août 2023, soit un délai d’un an et un mois, au-delà du délai raisonnable d’un an ». L’agent n’invoquant aucune circonstance particulière qui aurait pu justifier une prorogation de ce délai, sa requête est jugée tardive et, par conséquent, irrecevable. Cette solution, bien que sévère pour l’agent, est une confirmation de la portée du principe de sécurité juridique, qui vise à stabiliser les situations juridiques et à protéger les décisions administratives contre des remises en cause indéfinies. Le caractère non prolongeable du délai raisonnable, sauf circonstances exceptionnelles, est ici réaffirmé avec force, rappelant aux justiciables la nécessité d’agir avec diligence.

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Après avoir écarté les conclusions en annulation pour des motifs de recevabilité, la cour s’est penchée sur le sort des demandes indemnitaires qui leur étaient associées.

II. La confirmation de l’irrecevabilité des conclusions indemnitaires

La cour rappelle l’exigence procédurale d’une demande préalable pour lier le contentieux indemnitaire (A), ce qui entraîne logiquement le rejet des conclusions de l’agent sur ce point (B).

A. Le rappel de l’exigence d’une liaison préalable du contentieux

Le rejet des conclusions indemnitaires repose sur un fondement distinct de celui appliqué aux conclusions en annulation. La cour s’appuie sur les dispositions de l’article R. 421-1 du code de justice administrative. Ce texte dispose que « Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle ». Cette règle, fondamentale en contentieux administratif, impose au créancier d’une administration de solliciter le paiement de sa créance avant de pouvoir saisir le juge.

Le but de cette procédure précontentieuse est double. D’une part, elle permet d’informer l’administration de l’existence et du montant de la réclamation dirigée contre elle, lui donnant l’opportunité d’y faire droit sans qu’un procès soit nécessaire. D’autre part, elle a pour effet de « lier le contentieux », c’est-à-dire de fixer les termes du litige sur lequel le juge sera appelé à se prononcer, la décision de rejet de l’administration constituant l’acte attaquable. La cour rappelle ainsi qu’une requête indemnitaire présentée directement au juge, sans demande préalable, est par nature irrecevable.

B. L’irrecevabilité manifeste en l’absence de demande préalable

En l’espèce, l’application de cette règle ne soulevait aucune difficulté. La cour note que l’agent « ne conteste pas le motif de l’ordonnance qui, pour rejeter de telles prétentions, a retenu […] l’absence de demande préalable d’indemnisation ». L’agent elle-même, dans ses écritures, s’en était rapportée à la décision de la cour sur ce point, ce qui s’analyse comme une reconnaissance implicite du manquement à cette obligation procédurale. Face à ce constat, la cour n’avait d’autre choix que de confirmer le jugement de première instance et de rejeter les conclusions indemnitaires.

Cette partie de l’arrêt, si elle est moins riche en enseignements que celle relative au délai raisonnable, constitue une illustration pédagogique d’une règle procédurale de base. Elle démontre que les différentes conclusions d’une requête obéissent à des régimes de recevabilité propres. La recevabilité d’une demande d’annulation n’emporte pas celle d’une demande indemnitaire, et inversement. La solution est une décision d’espèce qui ne fait qu’appliquer une règle bien établie, mais elle souligne l’importance pour les justiciables et leurs conseils de maîtriser les subtilités de la procédure administrative contentieuse, sous peine de voir leurs prétentions, même potentiellement fondées au fond, rejetées pour un simple motif de forme.

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