L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Toulouse le 8 juillet 2025 apporte des précisions essentielles sur le régime de la garantie des vices cachés. Une commune avait acquis quarante-huit vélos à assistance électrique entre 2013 et 2016 dont les cadres se sont rompus lors de deux incidents ultérieurs. Une expertise ordonnée par le juge des référés a révélé que ces désordres provenaient d’un défaut de conception et de fabrication des structures métalliques. L’acheteur public a saisi le tribunal administratif afin d’obtenir la résolution de la vente ainsi que la réparation de préjudices financiers et d’image.
Les premiers juges ont condamné la société venderesse au remboursement intégral du prix de vente mais ont écarté les demandes indemnitaires complémentaires de la collectivité. Le vendeur professionnel interjette appel en soutenant que l’action est prescrite par le délai quinquennal et conteste la réalité technique du vice de conception. La commune forme un appel incident pour obtenir l’indemnisation de l’atteinte à sa réputation et du préjudice résultant de l’immobilisation prolongée de son parc. Le litige porte sur l’articulation des délais de prescription et sur l’étendue des obligations de restitution pesant sur le vendeur en cas d’action rédhibitoire. La juridiction administrative confirme la condamnation au remboursement sans réduction pour usure mais maintient une exigence probatoire stricte concernant les dommages et intérêts sollicités.
I. L’affirmation d’un régime de garantie protecteur de l’acheteur public
A. L’éviction de la prescription commerciale de droit commun
La société appelante prétendait que l’action devait être intentée dans le délai de cinq ans courant à compter de la vente initiale du matériel défectueux. La Cour administrative d’appel de Toulouse rejette cette argumentation en rappelant que « la prescription prévue par l’article L. 110-4 du code de commerce n’est pas applicable ». Les obligations nées des marchés publics échappent ainsi au délai de droit commun commercial même lorsque le cocontractant de l’administration possède la qualité de commerçant.
Seules les dispositions spéciales du code civil régissent le délai d’exercice de la garantie pour les défauts occultes de la chose vendue par l’administration. L’action doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice conformément aux exigences de l’article 1648 du code civil. Le point de départ de ce délai est fixé au jour où l’acheteur possède une « connaissance de la nature exacte et du degré de gravité du vice ». En l’espèce, le dépôt du rapport d’expertise constitue l’événement déclencheur permettant à la collectivité d’agir valablement contre son fournisseur de vélos électriques.
B. La caractérisation souveraine du défaut de conception
L’expertise judiciaire a démontré que la rupture du cadre résultait d’une « fatigue anormale du cadre liée à sa géométrie et un défaut d’alignement du gousset ». Ce désordre structurel rend le matériel « impropre à l’usage auquel on le destine » car il expose les usagers de la voie publique à des risques graves. Le juge administratif valide les conclusions techniques du rapport d’expertise malgré les critiques de la société venderesse portant sur les normes de soudure appliquées. Les investigations microscopiques ont révélé une microfissuration incompatible avec une utilisation normale et un entretien régulier du matériel par les services techniques municipaux.
L’existence d’un vice caché est étendue à l’ensemble du lot livré dès lors que le défaut de conception affecte la géométrie commune des cadres. La société ne parvient pas à établir que les autres vélos fournis seraient pourvus d’une structure différente de celle des exemplaires expertisés par le laboratoire. La Cour estime que l’acheteur rapporte la preuve suffisante de la dangerosité latente pesant sur l’intégralité du parc de cycles affectés à ce service public. Cette dangerosité intrinsèque justifie le prononcé de la résolution de la vente pour l’ensemble des quarante-trois vélos encore détenus par la personne publique.
II. Les conséquences de l’action rédhibitoire et la rigueur du droit à réparation
A. L’automatisme du remboursement intégral du prix de vente
L’action rédhibitoire emporte l’annulation rétroactive du contrat de vente ce qui impose la restitution mutuelle du prix perçu et de la chose vendue défectueuse. La Cour précise que « cette action n’ouvre droit, au profit du vendeur, à aucune indemnité liée à l’utilisation de cette chose ou à l’usure ». Le vendeur professionnel ne peut donc pas solliciter de réduction du montant du remboursement en invoquant la dépréciation du matériel ou son usage prolongé. L’obligation de restituer l’intégralité du prix de vente demeure ferme même si les vélos ont été utilisés par la collectivité pendant plusieurs années.
Le montant de la condamnation correspond au prix unitaire de chaque vélo multiplié par le nombre total d’appareils livrés et encore en possession de l’acheteur. La circonstance que la commune ait lancé un nouvel appel d’offres pour renouveler son parc est jugée sans incidence sur le droit au remboursement. Le vendeur doit reprendre les biens en l’état sans pouvoir exiger de garantie quant aux conditions de conservation des batteries durant la période de stockage. La résolution contractuelle replace ainsi les parties dans la situation initiale sans tenir compte de la vétusté acquise par le bien depuis sa livraison.
B. La persistance de l’exigence de preuve des préjudices annexes
Le vendeur professionnel est soumis à une « présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue » selon le code civil. Cette présomption l’oblige en théorie à réparer l’intégralité des dommages subis par l’acquéreur public au-delà de la simple restitution du prix de vente initial. La collectivité peut donc solliciter des dommages et intérêts pour les troubles subis dans l’organisation de ses services ou pour l’atteinte portée à son image. Toutefois, la Cour administrative d’appel de Toulouse rappelle que l’existence de ces préjudices doit être solidement étayée par des pièces probantes précises.
La demande indemnitaire de la commune est rejetée car elle n’établit pas la réalité matérielle de l’atteinte à sa réputation auprès des administrés de la cité. Les juges considèrent que l’inutilisation des vélos et leur stockage ne constituent pas en eux-mêmes un préjudice financier certain et évaluable pour la personne publique. L’absence de démonstration d’un coût financier supplémentaire ou d’un désordre social concret empêche la condamnation du vendeur à verser les sommes réclamées au titre de l’indemnisation. La rigueur probatoire s’impose donc comme une limite nécessaire aux conséquences déjà lourdes de la garantie des vices cachés pesant sur le professionnel.