Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Versailles s’est prononcée sur les conséquences de l’annulation d’une délibération municipale fixant les indemnités de fonction d’une élue locale. En l’espèce, une conseillère municipale s’était vu verser des indemnités sur le fondement d’une délibération du 31 mars 2011. Saisi par le préfet, le tribunal administratif de Versailles avait annulé cette délibération par un jugement du 3 juillet 2014, au motif que le plafond légal des indemnités avait été dépassé. En conséquence, la commune avait émis un titre exécutoire le 13 mai 2016 pour obtenir le remboursement de l’intégralité des sommes perçues par l’élue entre 2011 et 2014. L’élue a contesté ce titre. Par un jugement du 25 octobre 2018, le tribunal administratif de Versailles a annulé le titre, mais en se fondant sur un moyen soulevé d’office jugé par la suite irrégulier. Saisie sur renvoi après cassation, la cour administrative d’appel de Versailles a annulé ce jugement et statué au fond. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si l’annulation d’une délibération indemnitaire autorise une commune à réclamer la totalité des sommes versées sur son fondement et, subsidiairement, si le titre de recettes émis respectait les conditions de forme prévues par la loi. La cour a jugé que l’annulation de la délibération de 2011 avait pour effet de remettre en vigueur les délibérations antérieures de 2008, limitant ainsi la créance de la commune à la seule différence entre les montants perçus et ceux qui étaient dus. Elle a en outre annulé le titre exécutoire pour un vice de forme. La solution retenue par la cour administrative d’appel présente un double intérêt. Elle précise d’une part l’étendue de la créance d’une collectivité à la suite de l’annulation d’une délibération (I), et rappelle d’autre part les règles de compétence formelle gouvernant l’émission des titres de recettes (II).
I. La portée de l’annulation d’une délibération indemnitaire : une remise en vigueur des actes antérieurs
La cour administrative d’appel a d’abord dû se prononcer sur le bien-fondé de la créance réclamée par la commune. Elle a, à ce titre, rejeté la prétention de la collectivité à une répétition intégrale des sommes versées (A) pour ne consacrer qu’une créance partielle correspondant au surplus illégalement perçu (B).
A. Le rejet de l’obligation de répétition intégrale des sommes versées
En application du principe de légalité, l’annulation contentieuse d’un acte administratif est en principe rétroactive, l’acte annulé étant réputé n’être jamais intervenu. C’est sur ce fondement que la commune entendait obtenir le remboursement de la totalité des indemnités versées à l’élue sur la base de la délibération du 31 mars 2011, jugée illégale. Une telle approche aurait toutefois conduit à considérer que l’élue n’aurait dû percevoir aucune indemnité pour la période concernée, ce qui contreviendrait au principe de gratuité des fonctions électives locales, tempéré par le droit à indemnisation prévu par le code général des collectivités territoriales.
La cour écarte ce raisonnement en s’appuyant sur la théorie de la reviviscence des actes administratifs. Elle considère que la délibération annulée de 2011 n’a pas créé un vide juridique, mais a eu pour effet de faire renaître les actes antérieurs qu’elle avait pour objet de remplacer. La cour juge ainsi que « l’annulation de la délibération du 31 mars 2011 a eu pour effet de remettre en vigueur celles du 2 avril 2008 et du 19 mai 2008 ». Ce faisant, elle applique une solution classique visant à assurer la continuité du droit et à préserver les droits des administrés face aux conséquences potentiellement rigoureuses d’une annulation rétroactive. La logique est que, sans l’intervention de l’acte illégal, l’ancienne réglementation aurait continué à produire ses effets.
B. La consécration d’une créance partielle de la collectivité
La remise en vigueur des délibérations de 2008 a pour conséquence directe de limiter le montant de la créance de la commune. L’élue n’était pas sans droit à indemnité, mais son droit était encadré par ces textes antérieurs et non par la délibération annulée. Par conséquent, l’indu ne correspond pas à la totalité des sommes versées, mais uniquement à l’excédent perçu en application de l’acte annulé. La cour en déduit que la créance de la commune est « entaché d’illégalité, mais en tant seulement qu’elle porte sur une somme excédant la différence entre le montant des indemnités nettes qu’elle a perçues sur le fondement de la délibération annulée du 31 mars 2011 et le montant des indemnités nettes qu’elle aurait perçues sur le fondement de la délibération […] du 19 mai 2008 ».
Cette solution pragmatique permet de concilier le respect de la chose jugée, qui impose de tirer les conséquences de l’illégalité de la délibération de 2011, et le droit de l’élue à percevoir les indemnités qui lui étaient légitimement dues en vertu d’un cadre juridique valide. En ne validant qu’une répétition partielle de l’indu, le juge administratif fait preuve de mesure et évite de faire peser sur l’élue, qui a perçu de bonne foi ces sommes, une charge manifestement excessive. Après avoir ainsi déterminé le montant exact de la créance, la cour s’est attachée à vérifier la régularité formelle de l’acte de recouvrement.
II. Le rappel des exigences formelles du titre exécutoire : une censure pour vice de procédure
Au-delà de la question du bien-fondé de la créance, la cour administrative d’appel annule le titre de recettes pour un motif de pure forme, tiré de la méconnaissance des règles de compétence applicables. Cette censure repose sur l’exigence d’une identité stricte entre l’émetteur du titre et le signataire du bordereau (A), dont le non-respect constitue une irrégularité substantielle protégeant le redevable (B).
A. L’exigence d’identité entre l’émetteur du titre et le signataire du bordereau
La cour examine avec attention les conditions d’émission du titre exécutoire au regard des dispositions de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales. Ce texte prévoit que si seul le bordereau de titres de recettes doit être signé pour être produit en cas de contestation, le titre individuel adressé au redevable doit quant à lui mentionner les nom, prénoms et qualité de la personne qui l’a émis. La cour en déduit une règle de parallélisme des compétences : l’auteur mentionné sur le titre individuel doit être le même que celui qui signe le bordereau récapitulatif.
En l’espèce, le titre de recettes notifié à l’élue mentionnait comme émetteur le maire adjoint chargé des finances. Or, le bordereau de titres de recettes correspondant avait été signé par le maire lui-même, en sa qualité d’ordonnateur. Le juge constate cette divergence et conclut que le titre est « entaché d’une irrégularité, dès lors que le signataire du bordereau de titre de recettes diffère de l’émetteur du titre exécutoire en litige ». Cette interprétation stricte des textes garantit la cohérence de la chaîne de décision et de recouvrement au sein de la collectivité.
B. La sanction d’une irrégularité substantielle et la protection du redevable
En censurant cette discordance, la cour ne relève pas un simple oubli matériel mais bien un vice de compétence. La mention de l’auteur de l’acte et sa signature ne sont pas de pures formalités, mais des garanties qui permettent au redevable d’identifier avec certitude l’autorité qui décide de la créance et d’apprécier sa compétence. Le formalisme en matière de finances publiques constitue une protection fondamentale pour le contribuable ou le débiteur d’une collectivité. En jugeant que le non-respect de cette règle de compétence entache le titre d’illégalité, la cour rappelle que les procédures de recouvrement forcé doivent être menées avec la plus grande rigueur.
L’annulation du titre pour ce motif de forme a pour effet d’éteindre la procédure de recouvrement engagée, même si elle n’éteint pas la créance elle-même, que la commune pourrait tenter de recouvrer à nouveau par un titre régulier. Cette décision illustre ainsi parfaitement la dualité du contrôle du juge administratif en matière de titres exécutoires, qui porte à la fois sur le droit de l’administration à réclamer une somme et sur la régularité de la procédure qu’elle emploie pour y parvenir.