Par cet arrêt rendu le 10 juillet 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour sollicité à titre exceptionnel par un ressortissant étranger et sur l’étendue des garanties procédurales qui lui sont attachées. En l’espèce, un individu de nationalité turque, affirmant être présent en France depuis août 2010, avait déposé une demande d’admission exceptionnelle au séjour en novembre 2022. Il se prévalait notamment de sa vie familiale, étant père d’un enfant né en 2020 de sa relation avec une compatriote également présente sur le territoire.
Le préfet du Val-d’Oise a, par un arrêté du 18 juillet 2023, rejeté sa demande et l’a assortie d’une obligation de quitter le territoire français. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a rejeté son recours par un jugement du 31 janvier 2024. C’est dans ces circonstances que l’intéressé a interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’arrêté préfectoral était insuffisamment motivé, qu’il résultait d’un examen non sérieux de sa situation, qu’il était entaché d’un vice de procédure et qu’il portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Il convenait donc pour la cour administrative d’appel de déterminer si l’administration était tenue de saisir la commission du titre de séjour au seul motif qu’un étranger allègue une résidence de plus de dix ans sans en apporter une preuve continue et exhaustive. En outre, il lui appartenait de juger si le refus de séjour opposé au père d’un jeune enfant, dont la conjointe est elle-même en situation irrégulière, caractérisait une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale.
À ces deux interrogations, la juridiction d’appel répond par la négative. Elle juge d’une part que la charge de la preuve d’une résidence habituelle et ininterrompue pèse exclusivement sur le demandeur et que, faute d’éléments probants suffisants, l’obligation de consultation de la commission n’est pas constituée. D’autre part, elle estime que le refus de titre de séjour n’est pas disproportionné, dès lors que la cellule familiale peut se reconstituer dans le pays d’origine et que la situation administrative précaire de la conjointe affaiblit la stabilité des liens familiaux invoqués en France. La cour valide ainsi la démarche du préfet, qui a fait une stricte application des textes en écartant les arguments du requérant.
Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif contrôle les garanties procédurales liées à l’admission exceptionnelle au séjour (I), tout en confirmant une approche restrictive du droit au respect de la vie privée et familiale pour les personnes en situation irrégulière (II).
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I. La rigueur de l’appréciation des garanties procédurales en matière d’admission exceptionnelle au séjour
La cour administrative d’appel, en confirmant le jugement de première instance, adopte une lecture stricte des conditions de mise en œuvre des protections procédurales prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle fait peser sur le seul ressortissant étranger la charge d’une preuve complète de sa résidence habituelle (A) et exerce un contrôle restreint sur l’examen de la situation individuelle mené par l’autorité préfectorale (B).
A. L’exigence d’une preuve complète et continue de la résidence habituelle
La décision commentée réaffirme un principe constant en droit des étrangers : il appartient au demandeur d’un titre de séjour de fournir les pièces justifiant sa situation. Le requérant soutenait que sa résidence de plus de dix ans aurait dû conduire le préfet à saisir pour avis la commission du titre de séjour, conformément à l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Or, la cour écarte ce moyen en relevant que l’intéressé « n’établit pas la réalité de cette affirmation par les quelques pièces qu’il produit, notamment en ce qui concerne l’année 2014, pour laquelle il ne verse au dossier qu’un duplicata de relevé d’intérêts de livret A sollicité auprès de la Banque postale en 2023 ».
Ce faisant, le juge administratif précise que la simple allégation d’une longue résidence ne suffit pas à déclencher la garantie procédurale. La preuve doit être non seulement apportée par l’étranger mais également être suffisamment dense et continue pour couvrir l’ensemble de la période revendiquée. Une seule année non documentée, ou documentée par une pièce jugée non probante car établie a posteriori, suffit à faire échec à l’obligation de consultation. Cette approche pragmatique confère à l’administration une marge d’appréciation significative, le juge se limitant à vérifier que le faisceau d’indices présenté par le requérant n’était pas manifestement suffisant pour établir la continuité de sa présence.
B. La portée limitée du contrôle sur l’examen de la situation individuelle
Au-delà de la question de la preuve, le requérant contestait la qualité même de l’examen de son dossier par les services préfectoraux. La cour rejette cet argument de manière lapidaire, estimant qu’« il ne ressort ni des termes de l’arrêté attaqué, ni d’aucune autre pièce du dossier, que le préfet du Val-d’Oise n’aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation de M. A… ». Cette formulation révèle l’étendue limitée du contrôle exercé par le juge sur ce point.
Sauf à ce que l’arrêté soit entaché d’une erreur de fait matérielle ou que le dossier contienne des éléments démontrant une absence manifeste d’analyse, la seule mention des faits pertinents dans la décision suffit à purger le grief. De même, la motivation de l’arrêté est jugée suffisante dès lors qu’il vise les textes applicables et les considérations de fait, sans que le préfet soit tenu « d’énoncer l’ensemble des éléments relatifs à la situation personnelle et professionnelle » de l’intéressé. Cette position pragmatique renforce l’idée que, sur le terrain procédural, le juge administratif se cantonne à un contrôle de l’apparence de légalité, laissant au préfet son plein pouvoir d’appréciation quant au fond du dossier.
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II. La confirmation d’une conception restrictive du droit au respect de la vie privée et familiale
L’arrêt applique les dispositions de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme d’une manière qui subordonne clairement le droit au séjour à la régularité de la situation administrative de l’ensemble de la cellule familiale. Il en résulte une relativisation des liens familiaux établis en France (A) qui consacre la primauté des objectifs de maîtrise des flux migratoires sur la stabilité de la vie familiale (B).
A. La relativisation des liens familiaux face à l’irrégularité du séjour
Pour contester le refus de séjour, le requérant mettait en avant la présence en France de ses parents, de ses sœurs, de sa compagne et surtout de sa fille née sur le territoire national en 2020. La cour prend en compte ces éléments mais les minimise aussitôt en opposant la situation administrative des proches. Elle souligne que « la conjointe de l’intéressé, également de nationalité turque, est en situation irrégulière au regard du séjour ». Cet élément devient un facteur déterminant dans l’appréciation de la proportionnalité de l’ingérence.
L’irrégularité du séjour de la mère semble ainsi fragiliser le droit au séjour du père, la précarité de l’un rejaillissant sur l’autre et, par conséquent, sur l’ensemble de la cellule familiale. La naissance d’un enfant en France et la présence d’autres membres de la famille en situation régulière ne suffisent pas à contrebalancer ce point. L’intensité des liens personnels et familiaux, critère pourtant central de l’article L. 423-23, se voit ainsi conditionnée par la conformité de ces liens avec la législation sur le séjour des étrangers, opérant une forme de hiérarchisation où la régularité administrative prime sur la réalité affective et matérielle de la vie familiale.
B. La primauté de la maîtrise des flux migratoires sur la stabilité de la cellule familiale
L’argument final de la cour, qui achève de sceller le sort du requérant, est particulièrement révélateur de la balance des intérêts opérée. Le juge considère en effet qu’« il n’établit aucune circonstance qui ferait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstruise en Turquie ». Cette assertion, classique dans le contentieux du droit des étrangers, postule que la vie familiale n’est pas nécessairement liée au territoire français et peut être transférée dans le pays d’origine du requérant.
En raisonnant ainsi, la cour fait prévaloir l’objectif de l’État de contrôler l’immigration sur l’intérêt de l’enfant à grandir dans son pays de naissance et sur la stabilité de la cellule familiale. Le jeune âge de l’enfant est ici un argument à double tranchant : s’il peut susciter une attention particulière, il est aussi interprété par le juge comme un facteur de mobilité, l’enfant étant présumé plus adaptable. La décision s’inscrit donc dans une jurisprudence bien établie qui, tout en se défendant de toute automaticité, tend à considérer que tant que la vie familiale peut se poursuivre ailleurs, le refus de séjour et l’obligation de quitter le territoire ne constituent pas une atteinte disproportionnée au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.