Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Versailles précise les conséquences de l’annulation juridictionnelle d’une obligation de quitter le territoire français sur les pouvoirs d’injonction du juge administratif. En l’espèce, un ressortissant étranger avait fait l’objet de deux arrêtés préfectoraux lui imposant de quitter le territoire français sans délai et lui interdisant le retour pour une durée de vingt-quatre mois. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, par un jugement du 6 février 2025, a annulé ces deux décisions mais a toutefois rejeté ses conclusions complémentaires tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration de lui délivrer un titre de séjour ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation. Le requérant a donc interjeté appel de ce jugement en tant qu’il rejetait ses conclusions à fin d’injonction, tandis que le préfet soutenait que l’annulation prononcée n’impliquait nullement la délivrance d’un titre et qu’il n’était pas territorialement compétent pour un réexamen. Il appartenait ainsi au juge d’appel de déterminer si l’annulation d’une mesure d’éloignement, non fondée sur un refus de séjour préalable, oblige l’administration à délivrer un titre de séjour ou simplement à réexaminer la situation de l’étranger. La cour administrative d’appel répond que si une telle annulation n’emporte pas nécessairement la délivrance d’un titre de séjour, elle impose en revanche à l’autorité administrative, en vertu de la loi, de procéder au réexamen du cas de l’intéressé et de lui fournir entre-temps une autorisation provisoire de séjour. La juridiction d’appel, en opérant une distinction claire dans la portée de ses injonctions, circonscrit les effets de l’annulation à la seule sphère de compétence de l’administration (I), tout en garantissant l’effectivité des droits de l’administré par une application rigoureuse de la loi (II).
I. Une délimitation stricte des conséquences de l’annulation quant au droit au séjour
La cour administrative d’appel, en confirmant le rejet de la demande de délivrance d’un titre de séjour, rappelle que l’annulation d’un acte administratif n’ouvre pas droit, par elle-même, à l’octroi d’une décision favorable que l’administration n’a pas encore prise. Elle réaffirme ainsi la portée limitée de l’annulation contentieuse (A) qui découle du respect de la séparation des compétences entre le juge et l’administration (B).
A. Le caractère non automatique de la délivrance d’un titre de séjour
Le juge d’appel écarte la prétention du requérant à se voir délivrer un titre de séjour de manière directe. Il constate que les arrêtés annulés par le tribunal administratif portaient uniquement sur des mesures d’éloignement forcé et non sur un refus d’admission au séjour. La cour en déduit que « l’annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français, refus de délai de départ volontaire, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français n’impliquent pas nécessairement la délivrance d’un titre de séjour ». Ce raisonnement s’inscrit dans une logique juridique orthodoxe : l’autorité de la chose jugée de l’annulation ne s’attache qu’à l’acte qui a été censuré et ne saurait, en principe, contraindre l’administration à prendre une décision nouvelle de sens contraire sur une question qu’elle n’a pas encore tranchée. L’office du juge de l’annulation est de supprimer un acte illégal de l’ordonnancement juridique, non de se substituer à l’administration dans l’exercice de ses prérogatives.
B. Le respect de la compétence de l’autorité administrative
En refusant d’enjoindre la délivrance d’un titre de séjour, la cour préserve la compétence de droit commun de l’administration en matière de police des étrangers. C’est en effet à l’autorité préfectorale qu’il appartient d’examiner une demande de titre de séjour, d’apprécier les conditions légales et réglementaires et de prendre une décision sur le fond. Le juge administratif, en se limitant à censurer la mesure d’éloignement, ne préjuge pas de l’issue d’une éventuelle demande d’admission au séjour que l’étranger pourrait former. Cette solution est une illustration du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, interdisant au juge de faire acte d’administrateur. La décision commentée confirme donc que si le juge peut annuler une décision illégale, il ne peut, sauf disposition législative expresse, dicter à l’administration la conduite à tenir lorsque celle-ci dispose d’un pouvoir d’appréciation.
Si la cour refuse de transformer l’annulation d’une mesure de police en un droit automatique au séjour, elle ne laisse cependant pas le justiciable dans une incertitude juridique. Elle s’attache au contraire à tirer toutes les conséquences que la loi attache à sa décision.
II. L’affirmation de l’obligation de réexamen comme garantie légale
La cour administrative d’appel ne se contente pas de rejeter une partie des prétentions du requérant ; elle censure également le jugement de première instance pour avoir omis de prononcer une injonction de réexamen. Elle fonde cette obligation sur une disposition législative précise (A), offrant ainsi à l’étranger une protection effective en attendant une nouvelle décision administrative (B).
A. L’application impérative des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
Le cœur de l’arrêt réside dans l’application de l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La cour rappelle que, selon ce texte, l’annulation d’une obligation de quitter le territoire français a pour corollaire l’obligation pour l’administration de statuer à nouveau sur le cas de l’étranger. Elle souligne qu’« il résulte des dispositions de l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précitées que l’annulation d’une décision portant obligation de quitter le territoire français implique nécessairement le réexamen de la situation de l’intéressé ». La cour ne fait ici qu’appliquer une conséquence expressément prévue par le législateur. L’injonction de réexamen n’est donc pas une création prétorienne mais la mise en œuvre d’une obligation légale qui s’impose à l’administration et que le juge se doit de faire respecter. Cette solution démontre que le pouvoir d’injonction du juge est particulièrement affirmé lorsqu’il s’appuie sur un fondement textuel clair et impératif.
B. La protection de la situation administrative de l’étranger
En enjoignant à l’autorité administrative compétente de réexaminer la situation de l’intéressé et, dans cette attente, de lui délivrer « sans délai une autorisation provisoire de séjour », la cour assure la pleine effectivité de l’annulation prononcée. Cette double injonction est fondamentale pour la sécurité juridique de l’administré. D’une part, elle contraint l’administration à une nouvelle diligence, l’empêchant de laisser la situation en suspens après la censure juridictionnelle. D’autre part, la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour confère un statut régulier à l’étranger pendant la durée de ce réexamen, lui permettant de demeurer légalement sur le territoire et de faire valoir ses droits. La décision commentée, bien que d’espèce, réaffirme ainsi avec force que l’annulation d’un acte d’éloignement n’est pas une victoire symbolique mais doit produire des effets concrets et protecteurs, conformément à la volonté du législateur.