Cour d’appel administrative de Versailles, le 11 février 2025, n°20VE02033

La cour administrative d’appel de Versailles a rendu, le 11 février 2025, une décision fondamentale relative à la responsabilité de la puissance publique en matière de police sanitaire. Le litige concerne l’indemnisation des préjudices subis par deux enfants exposés in utero au valproate de sodium, une molécule utilisée pour traiter l’épilepsie maternelle. La requérante, traitée par ce médicament depuis 1995, a poursuivi son traitement durant ses deux grossesses débutées en 2005 et 2007, ignorant alors les risques encourus. Le tribunal administratif de Montreuil avait initialement condamné l’Etat à verser diverses indemnités, mais les parents ont relevé appel pour obtenir une réparation plus substantielle des dommages. La juridiction d’appel devait déterminer si l’absence d’information sur les risques du produit dans les notices officielles constituait une faute engageant la responsabilité exclusive de l’autorité. La cour confirme l’existence d’une carence fautive de l’agence sanitaire nationale tout en limitant l’indemnisation globale à une perte de chance de se soustraire au risque. Cette analyse impose d’étudier la caractérisation de la faute de l’Etat avant d’envisager les modalités spécifiques de l’indemnisation des préjudices subis par les victimes.

I. La caractérisation d’une faute de l’Etat dans l’exercice de sa mission de vigilance La responsabilité de la puissance publique est engagée en raison d’un manquement aux obligations de police sanitaire et de l’absence de causes exonératoires valables.

A. Une méconnaissance fautive de l’état des connaissances scientifiques L’autorité sanitaire dispose de pouvoirs étendus pour évaluer les risques des produits de santé et doit modifier les autorisations de mise sur le marché sans délai. En l’espèce, les risques de malformations physiques étaient documentés dès les années 1980 et les troubles neuro-développementaux étaient suffisamment caractérisés dès l’année 2003. Pourtant, pour la première grossesse, la notice ne comportait aucune information sur ces dangers, ce qui ne reflétait aucunement l’état des connaissances de la science. La cour souligne qu’en ne faisant pas modifier ces documents, l’agence « a manqué à ses obligations de contrôle, et, ce faisant, commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». Cette négligence se retrouve lors de la seconde grossesse, où la notice restait muette malgré les mentions plus précises portées dans le résumé des caractéristiques du produit.

B. L’éviction des fautes de la société productrice et des prescripteurs L’Etat tentait de s’exonérer de son obligation de réparation en invoquant les fautes commises par la société pharmaceutique ainsi que par les médecins ayant assuré le suivi. La cour rejette toutefois cette argumentation en relevant que la société avait formulé des demandes de modification de l’information dès le mois de mai 2003. Concernant les médecins, la juridiction estime qu’aucune faute ne peut leur être reprochée puisque ces praticiens avaient sollicité des avis spécialisés et respecté les protocoles. Il en résulte qu’« aucune faute exonératoire de la responsabilité de l’Etat ne peut être retenue à l’encontre des médecins ou de la société ». La puissance publique demeure donc l’unique responsable des carences constatées dans l’information délivrée aux patientes par le biais des notices de médicaments.

II. Une indemnisation des victimes restreinte par l’application de la perte de chance Si le lien entre l’exposition au traitement et les dommages est établi, la cour limite la portée de la condamnation par le mécanisme de l’aléa.

A. Une causalité établie pour les troubles spécifiques liés au valproate de sodium La cour valide le lien de causalité entre l’imprégnation in utero et la majorité des troubles dont souffrent les deux enfants de la famille requérante. Les rapports d’expertise confirment que les malformations morphologiques et les retards dans l’acquisition du langage sont directement imputables à la molécule active du traitement prescrit. Cependant, les juges excluent certains chefs de préjudice, comme les troubles ORL ou les angiomes cutanés, au motif que leur lien avec le médicament n’est pas certain. L’arrêt précise que ces pathologies sont très fréquentes dans la population générale et ne présentent pas de caractère spécifique à l’exposition prolongée au valproate. La réparation se concentre donc exclusivement sur les dommages dont l’imputabilité est scientifiquement démontrée par les experts judiciaires mandatés lors de l’instruction du dossier.

B. La réduction de l’indemnisation par la fixation d’un taux de perte de chance Malgré la faute avérée de l’Etat, la cour considère que le défaut d’information n’a entraîné pour les victimes qu’une « perte de chance de se soustraire aux risques ». Les juges fondent cette analyse sur l’absence d’alternatives thérapeutiques viables pour la mère, dont l’épilepsie était particulièrement sévère avant la mise en place du traitement. Un arrêt brutal ou un changement de médication aurait exposé la patiente à des risques de décès subit ou à des crises majeures également délétères. L’arrêt fixe ainsi le taux de perte de chance à 30 %, ce qui réduit proportionnellement le montant des indemnités versées pour chaque poste de préjudice. Cette solution illustre la difficulté de concilier la faute de l’autorité publique avec la nécessité médicale de maintenir un traitement indispensable à la santé.

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Hassan KOHEN
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