Par un arrêt en date du 11 février 2025, la cour administrative d’appel de Versailles, statuant sur renvoi du Conseil d’État, s’est prononcée sur la légalité de la révocation d’un praticien hospitalier. Cette décision offre un éclairage sur l’équilibre que le juge administratif doit trouver entre le respect des garanties procédurales dues à l’agent public et l’impératif de bon fonctionnement du service public, particulièrement dans le contexte sensible des soins hospitaliers.
En l’espèce, un praticien hospitalier, affecté dans un centre hospitalier depuis plusieurs années, a fait l’objet d’une sanction de révocation prononcée par l’autorité administrative compétente. Cette sanction était motivée par un comportement jugé conflictuel et agressif envers ses collègues et d’autres professionnels de santé, ainsi que par des prises de décision unilatérales mettant en péril la continuité des soins et la sécurité des patients. Ces agissements s’inscrivaient dans un contexte de difficultés relationnelles anciennes, ayant déjà conduit à une première sanction disciplinaire des années auparavant.
La procédure contentieuse a connu plusieurs étapes. Le praticien a d’abord saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de la décision de révocation, mais sa demande a été rejetée. Saisie en appel, la cour administrative d’appel a initialement annulé le jugement et la sanction. Toutefois, cette décision d’appel a été cassée par le Conseil d’État, qui a renvoyé l’affaire devant la même cour, autrement composée. Devant la cour de renvoi, le praticien réitérait ses moyens, arguant de l’irrégularité de la procédure disciplinaire et du caractère disproportionné de la sanction. Il soutenait notamment que les griefs n’étaient pas tous précisés dans l’acte engageant la procédure, que son dossier avait été complété irrégulièrement et que le rapport d’enquête était entaché de partialité. Sur le fond, il contestait la matérialité des faits et, subsidiairement, la proportionnalité de la sanction à la gravité des fautes reprochées.
Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer, d’une part, si les diverses irrégularités de procédure invoquées par l’agent étaient de nature à vicier la légalité de la sanction et, d’autre part, si les faits, une fois leur matérialité établie, justifiaient juridiquement la qualification de faute et la sanction de révocation. Par sa décision, la cour rejette l’ensemble des moyens soulevés. Elle considère que la procédure a été menée dans le respect des droits de la défense et que la sanction n’est entachée d’aucune erreur d’appréciation, confirmant ainsi la légalité de la révocation.
La cour valide ainsi une procédure disciplinaire dont le formalisme est jugé suffisant pour garantir les droits de la défense (I), avant de confirmer une sanction radicale justifiée par la primauté de la sécurité des patients et du bon fonctionnement du service (II).
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I. La validation d’une procédure disciplinaire au formalisme suffisant
La cour administrative d’appel a écarté les critiques du requérant relatives à la légalité externe de la sanction en adoptant une approche pragmatique. Elle a ainsi consacré une interprétation souple des formalités préalables à la saisine du conseil de discipline (A), tout en restreignant la portée des contestations relatives à l’impartialité de l’instruction préparatoire (B).
A. Une interprétation souple des formalités procédurales antérieures
Le juge a d’abord rappelé que l’acte engageant les poursuites disciplinaires n’est pas soumis aux mêmes exigences de précision que la décision de sanction elle-même. En effet, si la sanction doit exposer les griefs retenus pour que l’agent en comprenne les motifs, « le courrier par lequel cette même autorité informe le fonctionnaire de sa décision, qui n’est pas une sanction, d’engager des poursuites disciplinaires à son encontre, n’est soumis à aucun formalisme particulier ». Par cette formule, la cour confirme une jurisprudence constante qui distingue l’information initiale de la notification de la sanction. L’essentiel est que l’agent ait eu connaissance de la nature générale des faits reprochés pour préparer sa défense, ce qui était le cas en l’espèce puisque les griefs exposés dans les deux documents coïncidaient sur le fond.
De même, la cour écarte le moyen tiré de l’enrichissement du dossier de l’agent au cours de la procédure. Elle juge qu’aucune disposition n’interdit l’ajout de nouvelles pièces après l’engagement des poursuites, à la condition que l’intégralité du dossier soit communiquée à l’intéressé avant sa comparution devant l’instance disciplinaire. Le respect du principe du contradictoire est ainsi apprécié au regard de l’information finale dont a bénéficié l’agent, et non au regard d’une prétendue cristallisation du dossier à la date d’engagement de la procédure. Cette solution pragmatique garantit que l’autorité disciplinaire puisse se fonder sur tous les éléments pertinents, y compris les plus récents, sans pour autant léser les droits de la défense.
B. La portée limitée de la contestation de l’impartialité de l’instruction
Le requérant mettait également en cause l’impartialité de l’instruction menée, notamment celle du rapporteur désigné par le président du conseil de discipline. La cour rejette ces arguments en opérant une distinction claire entre la phase d’instruction et la phase de jugement disciplinaire. Elle affirme que d’éventuels manquements dans la conduite d’une enquête administrative ou une prétendue partialité de son auteur sont, en principe, sans incidence sur la régularité de la procédure disciplinaire qui s’ensuit, dès lors que l’autorité de poursuite et l’organe de jugement sont distincts.
S’agissant plus spécifiquement du rapporteur, la cour précise que la seule conclusion de ce dernier à l’existence de faits justifiant une sanction ne suffit pas à établir sa partialité. Elle énonce que « la seule circonstance que le […] rapporteur, à l’issue de l’enquête menée, a conclu que les faits sont établis et qu’ils sont de nature à justifier l’engagement d’une procédure disciplinaire, ne suffit pas, par elle-même, à caractériser une telle partialité ». En exigeant la preuve d’une animosité personnelle ou d’un parti pris manifeste, le juge refuse de faire de l’enquêteur un simple collecteur de faits neutres et reconnaît la part d’appréciation qui est la sienne, sans que celle-ci ne constitue une violation du principe d’impartialité. Le respect des droits de la défense est dès lors principalement assuré par la communication du rapport et la possibilité pour l’agent d’y répondre, ce qui fut le cas.
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II. La confirmation d’une sanction justifiée par la protection du service public
Au-delà de la régularité formelle, la cour a exercé un contrôle approfondi sur la légalité interne de la révocation. Elle a d’abord validé la matérialité des faits reprochés en les qualifiant de fautes graves (A), pour ensuite juger la sanction de révocation comme une réponse proportionnée et nécessaire face à la situation (B).
A. La consécration judiciaire d’une faute comportementale grave
Le juge de l’excès de pouvoir s’est livré à une analyse méticuleuse des éléments du dossier pour s’assurer de l’exactitude matérielle des faits. Il relève que l’administration produisait de nombreuses pièces concordantes, telles que des témoignages, des mains courantes, des courriers et des rapports circonstanciés, qui établissaient la réalité d’un comportement conflictuel, injurieux et dénigrant de la part du praticien. La cour souligne que ces agissements ne se limitaient pas à des tensions interpersonnelles, mais avaient des conséquences directes sur l’organisation du service et la prise en charge des patients.
L’arrêt met en exergue le fait que le comportement du praticien l’a conduit à « mettre en péril la continuité des soins prodigués aux enfants pris en charge et finalement la sécurité de ces derniers ». Cette formule est déterminante : elle déplace le cœur du litige du simple conflit de personnes vers la mise en danger du service public fondamental de santé. Face à cette gravité, la cour estime que les attestations produites par le requérant ou l’argument tiré de son surmenage ne suffisent pas à « infirmer la réalité de l’ensemble des nombreux comportements » reprochés. En qualifiant ces faits de fautes, le juge confirme que les obligations déontologiques et statutaires d’un agent public incluent un devoir de collaboration et de respect qui est indissociable de la mission de service public.
B. La justification de la révocation comme sanction ultime et proportionnée
Le contrôle de la proportionnalité de la sanction constitue le point d’orgue du raisonnement du juge. Pour conclure que la révocation n’était pas manifestement disproportionnée, la cour s’appuie sur un faisceau d’indices. Elle prend en compte non seulement la gravité intrinsèque des faits, mais aussi leur caractère « réitéré » et leur inscription sur une « longue période ». Cet élément temporel est crucial, car il démontre que le comportement de l’agent n’était pas un écart ponctuel mais un trait structurel de sa manière de servir.
De plus, le juge relève l’échec des mesures antérieures. Le praticien avait en effet déjà fait l’objet d’une première sanction de blâme et d’une réaffectation, sans que cela ne modifie son comportement. La révocation apparaît alors comme l’ultime recours face à un agent dont le maintien en fonction est devenu incompatible avec le bon fonctionnement du service. Enfin, la cour note que les écrits du requérant, « largement exonératoire de sa responsabilité », ne traduisaient pas de réelle prise de conscience des risques induits par son attitude. Dans ces conditions, elle estime que l’autorité disciplinaire a prononcé « une sanction adaptée, nécessaire et proportionnée, exempte d’erreur d’appréciation ». La décision de révocation est ainsi validée non comme une simple punition, mais comme une mesure de protection du service public et de ses usagers.