Cour d’appel administrative de Versailles, le 12 juin 2025, n°24VE02882

Par un arrêt en date du 12 juin 2025, la cour administrative d’appel a précisé le régime juridique applicable à la cessation des conditions matérielles d’accueil d’une demandeuse d’asile. En l’espèce, une ressortissante étrangère, mère de trois enfants, avait sollicité la protection de la France au titre de l’asile. Après avoir accepté dans leur principe les conditions matérielles d’accueil proposées, qui incluaient une domiciliation administrative dans un premier temps, elle a ultérieurement refusé une proposition d’hébergement dans une autre région. En conséquence, l’office compétent a mis fin au bénéfice de ces conditions par une décision du 18 septembre 2024.

Saisie par la requérante, le magistrat désigné du tribunal administratif d’Orléans a annulé cette décision par un jugement du 10 octobre 2024. L’office a alors interjeté appel de ce jugement, en sollicitant parallèlement le sursis à son exécution. Devant la cour, l’administration soutenait que sa décision était légalement justifiée, tandis que l’intéressée invoquait notamment la méconnaissance de sa particulière vulnérabilité et une atteinte à l’intérêt supérieur de ses enfants. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si le refus d’une proposition d’hébergement formulée après l’octroi initial des conditions matérielles d’accueil constitue un motif de fin de prise en charge ou un motif de refus de ces conditions, et si une substitution de base légale pouvait être opérée par l’administration en cours d’instance.

La cour administrative d’appel annule le jugement de première instance et rejette la demande de la requérante. Elle juge que si l’administration a commis une erreur en fondant sa décision sur les dispositions relatives à la fin des conditions d’accueil, cette décision trouvait en réalité son fondement légal dans celles régissant le refus de ces mêmes conditions. Opérant une substitution de base légale, elle estime ensuite que la décision, ainsi régularisée, n’était entachée d’aucune illégalité, ni au regard de la vulnérabilité de l’intéressée, ni au regard de l’intérêt de ses enfants. La solution retenue par la cour clarifie d’abord la distinction entre les régimes de refus et de cessation des aides (I), avant de procéder à une application concrète des critères d’appréciation de la situation individuelle du demandeur (II).

I. La clarification de l’articulation entre refus et cessation des conditions matérielles d’accueil

La cour s’attache en premier lieu à déterminer le champ d’application respectif des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives au refus et à la cessation des conditions matérielles d’accueil. Elle réaffirme ainsi la distinction entre ces deux hypothèses (A), pour ensuite admettre que l’erreur de qualification initialement commise par l’administration pouvait être neutralisée par une substitution de base légale (B).

A. La distinction réaffirmée des hypothèses de refus et de cessation

Le raisonnement des juges d’appel repose sur une lecture combinée des articles L. 551-15 et L. 551-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le premier de ces articles vise les cas de refus des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsque le demandeur « refuse la proposition d’hébergement qui lui est faite », tandis que le second énumère les situations pouvant justifier qu’il soit mis fin à ces conditions, par exemple lorsque le demandeur quitte le lieu d’hébergement qui lui a été attribué.

La cour établit une ligne de partage claire entre ces deux régimes. Elle considère que « le refus par le demandeur d’asile de la proposition d’hébergement qui lui est faite ultérieurement doit être regardé comme un motif de refus des conditions matérielles d’accueil entrant dans le champ d’application de l’article L. 551-15 […] et non comme un motif justifiant qu’il soit mis fin à ces conditions relevant de l’article L. 551-16 ». Cette interprétation vaut alors même que le demandeur avait, dans un premier temps, accepté le principe de ces conditions avant qu’une solution d’hébergement pérenne ne lui soit proposée. La qualification juridique de l’acte ne dépend donc pas de la chronologie des décisions, mais de la nature du manquement du demandeur. Le refus d’une offre d’hébergement, même tardive, relève ainsi du régime du refus initial des aides, et non de celui de leur cessation.

B. L’admission d’une substitution de base légale neutralisant l’erreur de droit initiale

Ayant constaté que l’administration avait visé à tort l’article L. 551-16 pour fonder sa décision, la cour examine la possibilité de procéder à une substitution de base légale. Cette technique jurisprudentielle permet au juge de valider une décision administrative fondée sur un texte erroné, dès lors qu’elle aurait pu être légalement prise sur le fondement d’un autre texte. En l’espèce, les juges estiment que la décision contestée « trouve son fondement légal dans les dispositions de l’article L. 551-15 du même code, qui peuvent être substituées aux dispositions de l’article L. 551-16 ».

Pour admettre cette substitution, la cour vérifie que les deux conditions traditionnellement exigées sont remplies. D’une part, l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation de même nature pour appliquer l’un ou l’autre des fondements juridiques. D’autre part, cette substitution ne doit priver l’intéressée d’aucune garantie procédurale. La cour considère ces conditions comme satisfaites, ce qui lui permet de régulariser la décision administrative et de la considérer comme ayant été prise sur le fondement de l’article L. 551-15. Cette opération a pour effet de purger la décision de son vice initial et de rendre le motif d’annulation retenu par les premiers juges inopérant.

II. L’appréciation de la proportionnalité de la décision au regard de la situation individuelle

Une fois la base légale de la décision rectifiée, la cour administrative d’appel procède à l’examen des autres moyens soulevés par la requérante, qui portaient sur le caractère disproportionné de la mesure. Elle exerce alors un contrôle sur l’appréciation de la particulière vulnérabilité de la demandeuse (A) et sur la prise en compte de l’intérêt supérieur de ses enfants (B).

A. Le contrôle de l’appréciation de la particulière vulnérabilité du demandeur

La requérante soutenait que la décision de refus méconnaissait sa situation de particulière vulnérabilité, en sa qualité de femme seule avec trois enfants en bas âge. La cour examine cet argument en se fondant sur les pièces versées au dossier. Elle constate que si la situation familiale et sociale de l’intéressée mérite une attention, les éléments médicaux produits ne révèlent « aucune difficulté particulière faisant obstacle à l’installation de cette famille à Besançon ».

Le juge s’appuie également sur l’avis émis par le médecin de l’office, qui avait classé la situation de la demandeuse à un niveau de priorité ne présentant pas de caractère d’urgence et compatible avec un changement de zone géographique. Enfin, la cour relève que l’intéressée avait déclaré être hébergée par un tiers lors de son entretien de vulnérabilité. L’ensemble de ces éléments conduit les juges à écarter le grief, estimant que l’administration n’a pas porté une atteinte disproportionnée à la situation de particulière vulnérabilité de la requérante en lui opposant un refus suite à son refus de la proposition d’hébergement.

B. L’examen concret de l’intérêt supérieur des enfants

La requérante invoquait également la méconnaissance de l’intérêt supérieur de ses enfants, garanti par l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Elle faisait valoir leur scolarisation et leur suivi médical dans leur lieu de résidence initial. La cour analyse ce moyen de manière très concrète, en recherchant si le déplacement proposé était de nature à porter une atteinte caractérisée à cet intérêt.

Elle juge qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier de l’examen des documents médicaux produits, d’une part, que leur état de santé nécessite des soins qui ne pourraient leur être délivrés à Besançon où un lieu d’hébergement lui a été proposé et, d’autre part, qu’ils ne pourraient y poursuivre leur scolarité ». Par cette approche pragmatique, la cour considère que la simple scolarisation dans un lieu donné ne constitue pas un obstacle dirimant à une proposition d’hébergement dans une autre ville, dès lors que la continuité de la prise en charge scolaire et médicale y est possible. L’atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant n’est donc pas établie, ce qui conduit la cour à valider définitivement la légalité de la décision administrative.

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Hassan KOHEN
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