Par un arrêt en date du 13 mars 2025, la cour administrative d’appel de Versailles a statué sur la légalité d’une délibération communale instaurant un régime de temps de travail dérogatoire pour certains agents publics territoriaux.
Une collectivité territoriale avait adopté, par une délibération de son conseil municipal, un règlement intérieur relatif au temps de travail de son personnel. Ce règlement prévoyait notamment une réduction de la durée annuelle de travail, la ramenant à 1 565 heures, pour les agents exerçant des fonctions pénibles et qui, de surcroît, étaient soit âgés de plus de cinquante ans, soit atteints d’une maladie professionnelle reconnue. Le représentant de l’État dans le département a exercé un contrôle de légalité et a déféré cet acte au tribunal administratif. Par un jugement du 18 avril 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la délibération en tant qu’elle instituait ce régime dérogatoire spécifique. La commune a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant la conformité de sa délibération aux textes en vigueur et au principe d’égalité.
Il était donc demandé à la cour administrative d’appel si une collectivité territoriale peut légalement réduire la durée annuelle de travail de ses agents en se fondant sur des critères tenant à leur âge ou à leur état de santé, en sus des sujétions liées à la nature de leurs missions.
À cette question, la cour répond par la négative, en jugeant que les dérogations à la durée légale du travail ne peuvent se fonder que sur les contraintes inhérentes aux missions exercées. Elle estime que le régime litigieux, en ajoutant des conditions personnelles aux agents, méconnaît les dispositions réglementaires applicables. La cour précise que la seconde dérogation à la durée annuelle de travail « repose ainsi sur des critères d’âge et de santé propres aux agents eux-mêmes, et non sur les propriétés ou caractéristiques en tant que telles de leurs missions ».
La cour administrative d’appel confirme ainsi une application stricte des conditions de dérogation au temps de travail légal (I), réaffirmant la primauté des sujétions de service sur les considérations personnelles relatives aux agents (II).
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I. L’application stricte des conditions dérogatoires au temps de travail légal
La décision de la cour administrative d’appel s’inscrit dans le respect rigoureux du cadre normatif régissant la durée du travail dans la fonction publique (A), ce qui la conduit logiquement à censurer une dérogation dont les fondements excèdent les limites posées par les textes (B).
A. Le rappel du cadre normatif encadrant la durée du travail dans la fonction publique territoriale
La cour fonde son raisonnement sur les dispositions issues de la loi du 26 janvier 1984 et de ses décrets d’application. Le principe, fixé par le décret du 25 août 2000 et rendu applicable à la fonction publique territoriale par le décret du 12 juillet 2001, est une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures. Cette durée constitue la référence légale pour l’ensemble des agents publics, garantissant une application homogène des règles sur le territoire.
Toutefois, le législateur a prévu une faculté d’adaptation pour les employeurs publics. L’article 2 du décret du 12 juillet 2001 autorise l’organe délibérant d’une collectivité à réduire cette durée annuelle de travail. Cette possibilité n’est cependant pas discrétionnaire et doit « tenir compte de sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent ». Le texte énumère à titre d’exemples le travail de nuit, le dimanche, en horaires décalés ou encore les travaux pénibles ou dangereux. La jurisprudence constante interprète cette disposition de manière restrictive, en liant exclusivement la dérogation aux contraintes objectives du poste occupé.
B. La censure d’une dérogation fondée sur des critères personnels à l’agent
C’est au regard de ce cadre que la cour examine la délibération litigieuse. Celle-ci instituait un régime dérogatoire à deux niveaux : un premier niveau réduisant le temps de travail pour les agents soumis à des sujétions de pénibilité, ce qui n’est pas contesté, et un second niveau accordant une réduction supplémentaire pour les agents qui, en plus de cette pénibilité, remplissaient un critère d’âge ou de santé. La cour juge que ce second niveau est illégal.
En effet, la juridiction relève que cette dérogation supplémentaire « repose ainsi sur des critères d’âge et de santé propres aux agents eux-mêmes, et non sur les propriétés ou caractéristiques en tant que telles de leurs missions ». Ce faisant, la collectivité a introduit des considérations subjectives, attachées à la personne de l’agent, là où le droit n’autorise que la prise en compte de facteurs objectifs, liés au service. La décision de la cour met en évidence une distinction fondamentale entre l’organisation du travail, qui répond à des nécessités de service public, et la gestion des situations individuelles des agents, qui relève d’autres instruments juridiques.
II. La réaffirmation de la primauté des sujétions de service sur les considérations personnelles
En annulant la dérogation fondée sur l’âge et la santé, la cour ne se contente pas d’une lecture littérale des textes ; elle réaffirme la place centrale du principe d’égalité dans la fonction publique (A) et clarifie la frontière entre l’aménagement du temps de travail et la gestion individualisée des carrières (B).
A. La portée de la solution au regard du principe d’égalité
Le principe d’égalité de traitement entre les agents publics implique que des agents se trouvant dans une situation identique au regard du service doivent être traités de la même manière. En liant exclusivement les dérogations en matière de temps de travail aux sujétions du poste, la cour garantit que tous les agents exerçant les mêmes fonctions, avec les mêmes contraintes, bénéficient des mêmes règles de temps de travail. A l’inverse, le système imaginé par la collectivité aurait conduit à ce que deux agents, occupant le même poste et subissant la même pénibilité, aient une durée de travail différente en seule raison de leur âge.
La solution retenue par la cour a donc pour effet de prévenir des ruptures d’égalité potentielles qui ne seraient pas justifiées par des nécessités de service ou des différences objectives de situation au regard des missions exercées. Elle rappelle que les avantages sociaux, aussi légitimes puissent-ils paraître dans leur intention, ne sauraient être institués par la voie d’une réglementation générale sur le temps de travail si celle-ci contrevient aux principes statutaires.
B. La distinction entre aménagement du temps de travail et gestion des situations individuelles
Cet arrêt illustre une tension classique entre une approche collective de l’organisation du travail et la prise en compte de situations individuelles. L’intention de la collectivité était vraisemblablement de tenir compte de l’usure professionnelle des agents les plus âgés ou affectés par la maladie. Si cette préoccupation est légitime, la cour indique implicitement que le levier juridique utilisé était inapproprié.
Le droit de la fonction publique offre en effet d’autres outils pour gérer de telles situations : aménagements de poste pour raisons de santé, affectations sur des postes moins pénibles, congés de maladie, ou encore dispositifs de préparation à la retraite. L’arrêt a donc pour portée de rappeler aux employeurs publics qu’ils ne peuvent utiliser la réglementation du temps de travail comme un instrument de politique sociale individualisée. La gestion des ressources humaines doit s’opérer dans le respect des cadres juridiques propres à chaque situation, sans confondre l’organisation générale du service avec la gestion des parcours et des difficultés personnelles des agents.