Par un arrêt en date du 13 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles s’est prononcée sur la légalité d’un refus de renouvellement de titre de séjour fondé sur une menace à l’ordre public, opposé à un ressortissant étranger justifiant de solides attaches familiales en France.
En l’espèce, un ressortissant turc, entré régulièrement en France en 2017 en qualité de conjoint de Française et père d’un enfant français, a sollicité en 2020 le renouvellement de son titre de séjour. L’intéressé avait cependant fait l’objet de trois condamnations pénales entre 2017 et 2018, notamment pour agression sexuelle sur mineur et pour des violences conjugales réitérées. Par un arrêté du 2 mars 2022, le préfet de l’Essonne, après un avis défavorable de la commission du titre de séjour, a rejeté sa demande. Saisi par l’étranger, le tribunal administratif de Versailles a confirmé la décision préfectorale par un jugement du 26 février 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant l’appréciation de sa situation, notamment au regard de la menace à l’ordre public et de son droit à une vie privée et familiale.
Il convenait donc pour la Cour de déterminer si des condamnations pénales, même anciennes de plusieurs années, pouvaient caractériser une menace suffisamment réelle et actuelle pour l’ordre public pour justifier un refus de renouvellement de titre de séjour, et ce, en dépit de liens privés et familiaux établis sur le territoire national.
La Cour administrative d’appel de Versailles rejette la requête, considérant que la gravité et le caractère récent des faits à la date de la décision attaquée suffisaient à constituer une menace à l’ordre public, faisant ainsi obstacle au renouvellement du titre de séjour. Elle estime que cette mesure, nécessaire à la défense de l’ordre, ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale de l’intéressé.
La solution retenue par la Cour confirme la validité de l’appréciation de la menace à l’ordre public par l’autorité préfectorale (I), tout en inscrivant cette appréciation dans une temporalité stricte qui ménage la possibilité d’un réexamen ultérieur de la situation de l’administré (II).
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I. La confirmation de l’appréciation préfectorale de la menace à l’ordre public
La Cour valide le raisonnement de l’administration en écartant d’abord les arguments de procédure soulevés par le requérant (A), pour ensuite confirmer que la notion de menace à l’ordre public primait, en l’espèce, sur les attaches familiales de l’intéressé (B).
A. Le rejet des moyens procéduraux et formels
Le requérant invoquait premièrement un vice de procédure, tenant à l’absence d’interprète lors de son passage devant la commission du titre de séjour. La Cour écarte ce moyen en relevant que l’étranger « ne soutient ni n’établit en avoir sollicité l’assistance, et ne démontre pas avoir été privé de la possibilité de présenter des observations ». En l’absence de demande expresse de sa part et de preuve d’une quelconque entrave à sa capacité de se défendre, le juge considère que cette absence n’a pas vicié la procédure et ne l’a pas privé d’une garantie. Cette approche pragmatique rappelle que les garanties procédurales ne sont violées que si leur méconnaissance a eu une incidence concrète sur la situation de l’administré.
Deuxièmement, la Cour rejette le moyen tiré de l’insuffisante motivation de l’arrêté préfectoral. Elle constate que la décision attaquée comportait bien « l’énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles il est fondé », citant notamment les condamnations judiciaires et la situation de l’intéressé. Cette motivation, bien que succincte, a été jugée suffisante pour permettre au requérant de comprendre les raisons du refus et de les contester utilement, ce qui satisfait aux exigences légales en la matière.
B. La prééminence de la sécurité publique sur les attaches familiales
Le cœur du litige résidait dans l’équilibre entre la protection de l’ordre public et le respect de la vie privée et familiale de l’étranger. La Cour procède à une mise en balance classique des intérêts en présence. D’un côté, elle reconnaît l’existence de liens familiaux forts : un mariage avec une ressortissante française et la présence d’enfants français. De l’autre, elle pèse la gravité des infractions commises par le requérant.
La Cour souligne à ce titre des « faits réitérés, d’une gravité très significative, relativement récents à la date de l’arrêté attaqué ». Il s’agit de trois condamnations, dont une pour agression sexuelle sur mineur et deux pour violences conjugales. Le juge administratif considère que ces éléments, pris dans leur ensemble, « révèlent qu’il constituait une menace pour l’ordre public » justifiant le refus de renouvellement de son titre. En validant l’analyse du préfet, la Cour réaffirme que la stabilité de la vie familiale, si elle est un élément d’appréciation essentiel, ne constitue pas une protection absolue contre une mesure d’éloignement ou un refus de séjour lorsque le comportement de l’individu représente un danger pour la société. L’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale est alors jugée nécessaire et proportionnée à l’objectif de défense de l’ordre et de prévention des infractions pénales.
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II. Une solution ancrée dans le temps et ouverte sur l’avenir
Si la Cour entérine la décision préfectorale passée, elle le fait en soulignant le cadre temporel strict de son analyse (A), ce qui l’amène subtilement à suggérer une voie pour l’avenir (B).
A. L’appréciation de la menace à la date de la décision attaquée
La Cour prend soin de préciser que son contrôle de l’erreur d’appréciation s’effectue au regard des circonstances de fait et de droit prévalant à la date de l’arrêté du préfet, soit le 2 mars 2022. C’est à cette date que les faits commis par l’intéressé étaient considérés comme « relativement récents » et que la menace était donc constituée. Cette rigueur méthodologique est fondamentale en contentieux administratif, où le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte à la date de son édiction.
Cette approche, si elle conduit au rejet de la requête, n’emporte pas de jugement définitif sur la dangerosité actuelle de l’individu au jour où la Cour statue, en 2025. Le raisonnement de la Cour est ainsi juridiquement orthodoxe, mais il laisse implicitement entrevoir que l’écoulement du temps et un changement de comportement pourraient modifier l’appréciation future de la situation par l’administration. La menace pour l’ordre public n’est pas une qualification immuable ; elle est susceptible d’évoluer.
B. L’invitation à un réexamen futur de la situation
La portée de l’arrêt se révèle pleinement dans son dernier considérant. Après avoir rejeté tous les moyens du requérant, la Cour ajoute que sa décision « ne fait pas obstacle à ce que l’intéressé, s’il s’y croit fondé, réitère cette demande au vu de sa situation actuelle caractérisée par la stabilisation de son état de santé et l’absence de violences et de nouvelles condamnations pénales ».
Cette précision n’est pas anodine. Elle transforme un simple arrêt de rejet en une décision d’espèce qui, tout en étant rigoureuse sur le plan des principes, fait preuve de pragmatisme. La Cour ne se contente pas de juger le passé ; elle balise le chemin pour l’avenir. Elle identifie les éléments qui pourraient justifier une nouvelle décision, positive cette fois : la stabilisation de l’état de santé de l’individu, dont les troubles psychotiques avaient été mentionnés, et l’absence de nouvelles infractions. Il s’agit d’une invitation explicite faite à l’administration de réexaminer la situation à l’aune de faits nouveaux, consacrant ainsi le droit à la réévaluation de sa situation pour un étranger ayant démontré une évolution positive de son comportement. L’arrêt dessine ainsi une voie pour la réinsertion, conciliant l’impératif de l’ordre public avec une perspective de réhabilitation.