Cour d’appel administrative de Versailles, le 15 mai 2025, n°22VE02093

Par un arrêt en date du 15 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles a été amenée à se prononcer sur les modalités de remboursement des frais de déplacement d’un agent public exerçant une partie de ses fonctions en télétravail. En l’espèce, un agent contractuel d’un établissement public de l’emploi, affecté administrativement à une agence mais autorisé à télétravailler à son domicile plusieurs jours par semaine, a sollicité le remboursement de frais engagés pour des déplacements professionnels, notamment syndicaux. Il demandait que le calcul de l’indemnisation soit basé sur la distance entre son domicile et le lieu du déplacement, et non entre son agence de rattachement et ce même lieu. Face au rejet implicite de sa demande par son employeur, l’agent a saisi le tribunal administratif de Versailles en annulation de cette décision et en paiement des sommes réclamées, ainsi que d’une indemnité pour préjudice moral. Le tribunal a rejeté l’ensemble de ses prétentions par un jugement du 23 juin 2022. L’agent a alors interjeté appel de ce jugement, maintenant ses demandes à titre principal et, subsidiairement, réclamant le paiement des frais calculés depuis son site de rattachement. Il soutenait que son domicile constituait son lieu de travail effectif et que le refus de l’employeur portait atteinte à la liberté syndicale. La question de droit qui se posait à la cour était donc de déterminer si le domicile d’un agent en télétravail peut être assimilé à sa résidence administrative pour le calcul de ses frais de déplacement professionnel. À cette question, la Cour administrative d’appel de Versailles répond par la négative, considérant que le site de rattachement demeure le seul point de départ de référence, et ce, même pour un agent en télétravail.

La solution retenue par la cour administrative d’appel s’articule autour d’une lecture stricte des textes régissant le statut des agents publics, réaffirmant la prééminence du lieu d’affectation sur le lieu d’exercice effectif des fonctions (I). Cette décision a pour conséquence de circonscrire la portée du télétravail, qui demeure une simple modalité d’organisation du travail sans modifier en profondeur les droits et obligations de l’agent (II).

I. La réaffirmation du rattachement administratif comme point de référence du calcul des frais

La cour fonde son raisonnement sur une distinction claire entre le lieu d’exécution des fonctions et la résidence administrative de l’agent (A), ce qui la conduit à appliquer de manière uniforme les règles de remboursement des frais de déplacement comme une garantie d’égalité de traitement entre tous les agents (B).

A. Le domicile du télétravailleur : un lieu d’exécution des fonctions distinct de la résidence administrative

La cour administrative d’appel écarte l’argumentation du requérant selon laquelle son domicile serait devenu son lieu de travail habituel. Elle juge que l’agent en télétravail « doit être regardé, au sens des dispositions précitées, comme se déplaçant depuis son site de rattachement », précisant que « son domicile ne pouvant pas constituer son lieu de travail habituel, tant au regard du décret précité du 11 février 2016 que de l’instruction » interne à l’établissement. Ce faisant, le juge administratif consacre une interprétation stricte de la notion de résidence administrative, qui seule sert de point d’ancrage au calcul des droits de l’agent. Le décret du 11 février 2016 relatif au télétravail, en prévoyant que les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits que les agents exerçant sur leur lieu d’affectation, n’opère pas une substitution du domicile au lieu d’affectation. Il vise seulement à garantir une égalité de traitement, et non à créer un régime dérogatoire. La cour refuse ainsi de faire prévaloir la réalité matérielle de l’organisation du travail sur le statut juridique de l’agent, lequel demeure défini par sa décision d’affectation.

B. Une interprétation stricte des modalités de remboursement, gage d’égalité de traitement

En confirmant que le calcul des frais de déplacement doit s’effectuer depuis le site de rattachement, la cour assure une application homogène des règles à l’ensemble des personnels, qu’ils soient ou non en télétravail. Elle précise que l’agent a droit au remboursement de ses frais « dans les conditions de l’instruction précitée applicable à tous les agents de Pôle Emploi, sans distinction selon qu’ils exercent leurs fonctions en télétravail ou sur leur site d’affectation ». Cette solution prévient l’émergence d’un système à deux vitesses où les télétravailleurs pourraient, selon la localisation de leur domicile, bénéficier d’un régime de remboursement plus favorable que leurs collègues travaillant exclusivement sur site. La valeur de cette décision réside dans sa volonté de préserver une cohérence statutaire et d’éviter que l’organisation du travail ne devienne une source d’inégalités. La cour rappelle d’ailleurs que des exceptions permettant une prise en charge depuis le domicile existent dans la réglementation interne, mais que le requérant n’a pas démontré qu’il remplissait les conditions pour en bénéficier.

II. La portée limitée du télétravail sur le statut et les droits de l’agent public

Au-delà de la question technique des frais de déplacement, l’arrêt délimite la portée juridique du télétravail, en refusant de l’assimiler à un droit à compensation élargie (A) et en distinguant nettement ses modalités d’exercice de la protection de la liberté syndicale (B).

A. Le rejet d’une assimilation du télétravail à un droit à compensation financière élargie

Le requérant tentait d’utiliser son statut de télétravailleur pour obtenir un avantage financier non prévu par les textes. La cour, en rejetant sa demande, signifie que le télétravail est une modalité d’organisation du service qui ne saurait emporter une redéfinition du statut de l’agent. La solution retenue est pragmatique et préventive ; elle ferme la porte à d’éventuelles revendications qui viseraient à faire du domicile le point de référence pour d’autres droits ou indemnités. La portée de cet arrêt est donc de confirmer que le télétravail, bien qu’encadré par le décret du 11 février 2016, ne modifie pas les éléments structurants de la relation de service qui lie l’agent à son employeur public. La résidence administrative demeure un concept juridique intangible, indépendant du lieu où les tâches sont matériellement accomplies. Le droit au remboursement des frais de déplacement reste ainsi attaché à cette résidence administrative, et non aux conditions de vie personnelles de l’agent.

B. La distinction opérée entre les modalités d’exercice du travail et l’entrave à la liberté syndicale

La cour écarte également avec fermeté le moyen tiré d’une prétendue entrave à la liberté syndicale. Elle juge qu’en refusant le remboursement selon les modalités souhaitées par l’agent, l’employeur n’a fait qu’appliquer la réglementation commune « à l’instar des frais octroyés aux autres agents de Pôle Emploi pour tout déplacement professionnel temporaire ». Par conséquent, une telle application non discriminatoire du droit commun « n’a pas entravé sa liberté syndicale ». Cette analyse établit une dissociation claire entre l’exercice d’un mandat syndical et le régime indemnitaire qui lui est applicable. La liberté syndicale, principe à valeur constitutionnelle, n’implique pas un droit à un traitement financier dérogatoire. L’agent reste libre de se déplacer pour ses activités syndicales et d’être indemnisé, mais selon les mêmes règles que pour tout autre déplacement professionnel. La cour refuse ainsi que la protection de la liberté syndicale soit instrumentalisée pour justifier l’octroi d’un avantage particulier non fondé en droit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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