Par un arrêt en date du 15 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles se prononce sur la régularité d’un redressement fiscal opéré au-delà du délai de prescription de droit commun, ainsi que sur le bien-fondé des impositions et des pénalités qui en découlent.
En l’espèce, une contribuable avait perçu, au titre des années 2008 et 2009, des honoraires pour une activité de consultante par l’intermédiaire d’une société établie à Gibraltar, qu’elle contrôlait intégralement. Les sommes étaient versées sur un compte bancaire ouvert au nom de cette société en Lettonie. À la suite d’informations obtenues dans le cadre d’une procédure judiciaire, l’administration fiscale a estimé que ce montage constituait un moyen d’éluder l’impôt français. Elle a, par une proposition de rectification du 14 décembre 2018, réintégré ces revenus dans la base imposable de la contribuable sur le fondement de l’article 155 A du code général des impôts, en appliquant diverses majorations et pénalités. La contribuable a contesté ce redressement, d’abord devant l’administration puis devant le tribunal administratif de Versailles, qui a rejeté sa demande par un jugement du 29 novembre 2022. Elle a alors interjeté appel de cette décision, soulevant principalement la prescription de l’action de l’administration, l’irrégularité de la procédure, son absence de domiciliation fiscale en France et le caractère disproportionné des sanctions.
Il était donc demandé à la cour de déterminer si l’administration fiscale pouvait, d’une part, se prévaloir du délai spécial de reprise prévu à l’article L. 188 C du livre des procédures fiscales pour redresser des revenus dissimulés via une société écran, et d’autre part, établir la domiciliation fiscale en France d’une contribuable qui revendiquait sa résidence à l’étranger pour contester l’application de la loi fiscale française.
La cour administrative d’appel de Versailles rejette l’ensemble des moyens de la requérante. Elle juge que l’action de l’administration n’était pas prescrite, le délai spécial de reprise ayant été valablement interrompu par une proposition de rectification régulièrement notifiée avant l’expiration de l’année suivant la décision qui a clos l’instance judiciaire. Sur le fond, elle confirme que la domiciliation fiscale de l’intéressée en France est établie par un faisceau d’indices concordants, rendant ainsi applicable le dispositif de l’article 155 A du code général des impôts. Enfin, elle valide tant le principe que le quantum des pénalités appliquées, écartant l’argument d’une double sanction ou d’une disproportion.
La décision des juges d’appel confirme ainsi la légalité de l’action administrative en validant l’extension du délai de reprise (I), avant de justifier le bien-fondé de l’imposition et des sanctions appliquées sur la base d’une appréciation factuelle de la résidence fiscale (II).
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I. La validation de l’extension du délai de reprise
La cour conforte la position de l’administration en ce qui concerne les règles procédurales encadrant son pouvoir de contrôle, en précisant d’une part les conditions d’application du délai spécial de reprise (A) et en sécurisant d’autre part les modalités d’interruption de la prescription (B).
A. La confirmation des conditions d’application du délai spécial de l’article L. 188 C
Le droit de reprise de l’administration est en principe enfermé dans un délai de trois ans, mais l’article L. 188 C du livre des procédures fiscales y déroge lorsque des omissions sont révélées par une instance judiciaire. Dans une telle hypothèse, l’administration peut agir « jusqu’à la fin de l’année suivant celle de la décision qui a clos l’instance ». La requérante soutenait que le point de départ de ce délai devait être fixé à la date de l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction, rendant l’action tardive.
La cour écarte ce raisonnement en jugeant que l’ordonnance de renvoi n’est qu’un « acte de procédure faisant partie de l’instruction » et non la décision clôturant l’instance. C’est le jugement du tribunal correctionnel qui constitue cet acte final, ce qui rendait en l’espèce l’action de l’administration recevable. Cette solution, conforme à une interprétation stricte des textes, préserve l’efficacité du dispositif dérogatoire en accordant à l’administration un délai suffisant après la conclusion définitive de la procédure judiciaire pour exploiter les informations révélées. Elle réaffirme que seuls les actes qui mettent un terme définitif à une phase juridictionnelle peuvent être considérés comme le point de départ du délai spécial de reprise.
B. La sécurisation de l’interruption de la prescription
Pour interrompre valablement la prescription, la proposition de rectification doit être régulièrement notifiée au contribuable. Ce dernier contestait cette régularité, arguant de l’absence de preuve du dépôt d’un avis de mise en instance. La cour rejette cet argument en se fondant sur les éléments concrets du dossier. Elle relève que le pli recommandé a été présenté à deux reprises à l’adresse de la contribuable, avant d’être retourné avec la mention « pli avisé et non réclamé ».
En s’appuyant sur « l’attestation du 14 janvier 2019 de l’administration postale et des mentions figurant sur l’accusé de réception », la cour conclut que la notification a été régulièrement accomplie. Cette approche pragmatique confirme une jurisprudence constante selon laquelle la preuve de la notification peut résulter d’un ensemble d’éléments précis et concordants, empêchant ainsi un contribuable de se prévaloir de sa propre inaction pour échapper à une procédure de redressement. L’arrêt souligne que la charge de la preuve incombant à l’administration est satisfaite dès lors que les diligences du service postal sont établies, même en l’absence de la signature du contribuable.
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II. La justification du bien-fondé de l’imposition et des sanctions
Après avoir validé la procédure, la cour se prononce sur le fond du litige, en se fondant sur une appréciation souveraine des faits pour établir la résidence fiscale de la contribuable (A), puis en caractérisant la fraude pour justifier la sévérité des sanctions appliquées (B).
A. L’appréciation souveraine de la résidence fiscale comme fondement de l’imposition
L’application de l’article 155 A du code général des impôts, qui vise à contrer l’évasion fiscale internationale via des sociétés écrans, supposait que la contribuable fût domiciliée fiscalement en France. Celle-ci prétendait être résidente suisse, produisant à l’appui de ses dires une attestation d’hébergement et des éléments relatifs à un emploi.
La cour écarte ces pièces en les jugeant insuffisamment probantes et retient une approche fondée sur un faisceau d’indices. Elle relève que l’intéressée avait déposé ses déclarations de revenus en France, y avait rattaché sa fille à son foyer fiscal, et que plusieurs documents saisis lors de la procédure judiciaire mentionnaient sa résidence en France. Face à ces éléments, la cour conclut que la contribuable « ne remet pas en cause sa domiciliation fiscale en France ». Cet arrêt illustre parfaitement le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond pour déterminer la résidence fiscale, laquelle s’apprécie au regard de faits concrets et de la réalité de la situation personnelle et économique du contribuable, au-delà des affirmations formelles de ce dernier.
B. La caractérisation de la fraude justifiant le cumul des majorations
La contribuable contestait également le cumul de la majoration de 25 % pour non-adhésion à un organisme de gestion agréé et de la pénalité de 80 % pour manœuvres frauduleuses, y voyant une sanction disproportionnée. La cour opère ici une distinction technique essentielle. Elle rappelle que la majoration de 25 % « ne constituant pas une sanction mais une majoration d’assiette », son application conjointe avec une pénalité n’enfreint pas le principe de proportionnalité des peines.
En outre, elle estime que la pénalité de 80 % est parfaitement justifiée. L’administration avait suffisamment motivé sa décision en relevant « la création d’une société offshore n’ayant aucune activité économique établie à Gibraltar », l’ouverture d’un compte à l’étranger et le dépôt de déclarations de revenus à néant. Pour la cour, ces éléments matériels, non sérieusement contestés, attestent de la « volonté manifeste de l’intéressée de se soustraire à l’impôt ». La décision est donc une application rigoureuse de la sanction prévue pour les agissements les plus graves en matière fiscale, confirmant que l’utilisation de structures artificielles à seule fin d’évasion fiscale caractérise la manœuvre frauduleuse et justifie une répression sévère.