Par un arrêt en date du 15 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles a précisé les conditions d’application du régime de responsabilité sans faute des établissements de santé en matière d’infections nosocomiales. En l’espèce, une personne avait été prise en charge à son domicile par une structure mobile d’urgence et de réanimation rattachée à un centre hospitalier. Au cours de cette intervention, la pose d’un cathéter intra-osseux a provoqué une infection grave, dont la victime a demandé réparation à l’établissement de santé. La demande fut fondée sur le régime de responsabilité de plein droit prévu par les dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique. Le tribunal administratif d’Orléans, par un jugement du 15 décembre 2022, a rejeté cette demande au motif que l’infection n’avait pas été contractée au sein de l’établissement de santé. Le requérant a interjeté appel de cette décision, soutenant que le régime de responsabilité nosocomiale devait s’appliquer dès lors que l’infection résultait d’un acte de soin pratiqué par une équipe relevant d’un établissement public de santé, peu important le lieu de sa survenance. Se posait donc à la Cour la question de savoir si une infection, directement imputable à un acte de soin réalisé par une équipe hospitalière en dehors de l’enceinte physique de l’établissement, pouvait être qualifiée de nosocomiale et engager la responsabilité sans faute de ce dernier. La Cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que le lieu de contraction de l’infection est un critère déterminant pour l’application du régime spécial de responsabilité. Cette décision, en appliquant strictement les textes définissant l’infection nosocomiale, en confirme la portée spatiale restrictive (I), ce qui conduit à circonscrire le champ de la réparation automatique pour les dommages liés aux soins prodigués hors des murs de l’hôpital (II).
I. L’affirmation d’une conception spatiale stricte de l’infection nosocomiale
La solution retenue par la Cour administrative d’appel repose sur une lecture littérale des textes régissant la responsabilité hospitalière pour les infections associées aux soins. Elle établit une distinction nette entre le fait générateur du dommage, incontestablement lié à l’intervention médicale, et le critère géographique qui seul ouvre droit au régime de responsabilité sans faute.
A. La reconnaissance du lien de causalité entre l’acte de soin et l’infection
L’arrêt ne remet nullement en cause le lien de causalité entre l’intervention de l’équipe du service mobile d’urgence et la survenue de l’infection. Il s’appuie sur les conclusions du rapport d’expertise qui établit de manière certaine que « la porte d’entrée de [l’ostéite contractée par le patient] est, sans aucun doute possible, la pose du cathéter intra-osseux réalisée le 5 novembre 2016 ». La matérialité des faits n’est donc pas discutée, et la prise en charge par une équipe hospitalière est bien à l’origine directe du préjudice subi par la victime. Cet élément factuel est essentiel car il démontre que sans la définition restrictive de l’infection nosocomiale, la responsabilité de l’établissement aurait pu être engagée. Le raisonnement du juge ne se fonde donc pas sur une absence de lien imputable au service, mais exclusivement sur la qualification juridique de l’infection au regard des textes applicables.
B. L’application décisive du critère réglementaire de contraction dans un établissement de santé
Pour écarter le régime de responsabilité de plein droit, la Cour combine les dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique avec celles de l’article R. 6111-6 du même code. Ce dernier texte définit les infections nosocomiales comme étant les « infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé ». La Cour en déduit logiquement que si l’infection résulte bien de la prise en charge par l’équipe du centre hospitalier, elle « n’a pas été contractée dans un établissement de santé mais au domicile du patient ». Par conséquent, elle ne peut ouvrir droit au régime de responsabilité spécifique. Cette interprétation refuse d’étendre la notion d’infection nosocomiale aux actes réalisés en dehors de l’enceinte hospitalière, même lorsque ceux-ci sont le fait de personnels qui en dépendent. La solution consacre ainsi une acception purement spatiale, attachée au lieu physique du soin plutôt qu’à la nature de l’intervenant.
II. La portée limitée de la réparation automatique dans le cadre des soins extramuros
En refusant de qualifier l’infection de nosocomiale, la Cour administrative d’appel circonscrit le bénéfice du régime de responsabilité sans faute. Cette approche, juridiquement fondée sur une lecture stricte des textes, met en lumière les frontières de l’indemnisation automatique et renvoie la victime vers le droit commun de la responsabilité pour faute.
A. L’exclusion de la prise en charge mobile du champ de la responsabilité sans faute
La décision a pour conséquence directe d’exclure du régime dérogatoire de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique une part croissante de l’activité de soin. Le développement des interventions à domicile, qu’il s’agisse des services mobiles d’urgence ou de l’hospitalisation à domicile, crée des situations où le patient reçoit des soins de nature hospitalière hors de l’établissement. Or, cet arrêt confirme que le régime protecteur de la responsabilité sans faute ne suit pas l’équipe soignante en dehors des murs de l’hôpital. Il en résulte une différence de traitement pour les patients selon le lieu où l’acte de soin est pratiqué. Une telle situation interroge sur la cohérence du système d’indemnisation des accidents médicaux face à l’évolution des pratiques de prise en charge sanitaire. La sécurité juridique offerte par une interprétation littérale se fait ici au détriment d’une conception fonctionnelle de l’acte de soin hospitalier.
B. Le maintien du recours fondé sur la responsabilité pour faute
Le rejet de la demande sur le terrain de la responsabilité sans faute ne prive pas pour autant la victime de toute voie de droit. L’arrêt a seulement pour effet de fermer l’accès au régime spécifique des infections nosocomiales. Le patient conserve la possibilité d’engager la responsabilité du centre hospitalier sur le fondement de la faute prouvée. Il lui appartiendrait alors de démontrer que l’équipe du service mobile a commis une erreur, une imprudence ou une négligence dans l’accomplissement de l’acte médical, par exemple par un manquement aux règles d’asepsie lors de la pose du cathéter. Cette voie est toutefois plus exigeante pour la victime, qui supporte la charge de la preuve de la faute, alors que le régime de responsabilité nosocomiale instaure une présomption de responsabilité au bénéfice du patient. La décision commentée a donc pour effet de réorienter le débat contentieux vers le terrain de la responsabilité administrative classique.