Cour d’appel administrative de Versailles, le 16 janvier 2025, n°22VE01817

Par un arrêt en date du 16 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Versailles a clarifié les conditions de radiation des cadres d’un agent public et les exigences formelles du recouvrement des créances par une administration.

En l’espèce, une infirmière avait bénéficié d’une formation financée par son établissement hospitalier, en contrepartie d’un engagement de servir d’une durée de trente mois. Après sa titularisation en tant que cadre de santé, l’agent a obtenu une mise en disponibilité pour convenances personnelles, renouvelée à deux reprises. À l’échéance de cette période, l’agent n’a sollicité ni son renouvellement, ni sa réintégration. En conséquence, le centre hospitalier a prononcé sa radiation des cadres et a initié une procédure pour obtenir le remboursement des frais de formation au prorata du temps de service non accompli.

Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Versailles, par deux jugements du 31 mai 2022, a annulé la décision de radiation des cadres ainsi que les actes subséquents visant au recouvrement de la créance. Le tribunal a notamment estimé que la radiation était illégale, ce qui privait de base légale les demandes de remboursement. Le centre hospitalier a interjeté appel de ces deux jugements, soutenant la légalité de sa décision de radiation et, par conséquent, le bien-fondé de sa créance.

Il revenait ainsi à la cour administrative d’appel de se prononcer sur deux questions distinctes. D’une part, une administration est-elle tenue d’adresser une mise en demeure à un agent avant de le radier des cadres pour ne pas avoir sollicité sa réintégration à l’issue d’une période de disponibilité ? D’autre part, quelles sont les formalités substantielles conditionnant la régularité d’un titre de perception émis à l’encontre d’un ancien agent public en vue du recouvrement d’une créance ?

À la première question, la cour répond par la négative, considérant que l’information initiale donnée à l’agent sur les conséquences d’une absence de demande de réintégration est suffisante. À la seconde, elle rappelle que tout titre exécutoire doit être suffisamment motivé en indiquant précisément les bases de la liquidation de la créance. La cour annule donc les jugements de première instance en ce qu’ils avaient invalidé la radiation, mais confirme l’annulation du titre de recettes pour vice de forme. La solution retenue par la cour administrative d’appel conduit à examiner, dans une première partie, la validation de la procédure de radiation des cadres et, dans une seconde partie, la censure du processus de recouvrement de la créance.

I. La confirmation de la légalité de la radiation des cadres

La cour administrative d’appel, infirmant le jugement de première instance, a validé la décision de radiation prise par l’établissement hospitalier. Elle a d’abord écarté l’exigence d’une mise en demeure préalable (A), avant de rejeter l’argument tiré d’une prétendue rétroactivité illégale de l’acte (B).

A. Le rejet de l’exigence d’une mise en demeure préalable à la radiation

La cour a jugé que l’administration n’était pas tenue d’adresser une relance à l’agent avant de prononcer sa radiation des cadres. En effet, elle énonce qu’« il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe que la radiation des cadres d’un fonctionnaire, en application de celles-ci, doit être précédée d’une lettre de rappel ou de l’information qu’une telle radiation est susceptible d’intervenir sans autre modalité préalable ». Cette position s’appuie sur une lecture stricte de l’article 37 du décret du 13 octobre 1988, lequel impose au fonctionnaire l’obligation de solliciter sa réintégration ou le renouvellement de sa disponibilité deux mois avant son terme, sous peine de radiation. La cour relève que l’agent avait été informé de cette obligation et de sa sanction dans les arrêtés successifs lui accordant sa disponibilité.

Cette solution réaffirme le principe selon lequel la responsabilité de la gestion de sa situation administrative pèse sur l’agent public. L’information claire et préalable délivrée par l’administration est jugée suffisante pour purger l’obligation de vigilance de cette dernière. La décision de la cour s’inscrit dans une logique de sécurité juridique pour l’employeur public, qui doit pouvoir tirer les conséquences de l’inaction d’un agent sans être contraint à des formalités non prévues par les textes. Elle écarte ainsi une interprétation qui aurait ajouté une condition à la loi, alignant la procédure de radiation pour ce motif sur un automatisme procédural déclenché par la seule inaction de l’agent dûment informé.

B. La légalité de l’effet immédiat de la décision de radiation

L’agent soutenait également que la décision de radiation, datée du 31 décembre 2019 avec effet le même jour mais notifiée le 3 janvier 2020, était entachée d’une rétroactivité illégale. La cour écarte cet argument en opérant une distinction fondamentale. Elle précise qu’« en prenant cette décision, qui n’est pas une sanction, et qui a pris effet avant sa notification par voie postale à l’intéressée, le centre hospitalier Théophile Roussel, tenu de placer Mme A… dans une position régulière, n’a fait qu’assurer la continuité de la carrière de celle-ci sans méconnaitre le principe de non-rétroactivité ».

La cour qualifie la radiation non pas d’acte répressif, mais de mesure de gestion destinée à mettre fin à une situation administrative irrégulière, à savoir celle d’un agent qui, à l’expiration de sa disponibilité, ne se trouve plus dans une position statutaire régulière. En ce sens, l’effet immédiat de la décision est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de la situation de l’agent et de ne pas laisser perdurer un vide juridique. Cette analyse pragmatique permet de déroger à l’application stricte du principe de non-rétroactivité des actes administratifs, une dérogation admise en jurisprudence pour les mesures nécessaires à la régularisation de la carrière des fonctionnaires. La portée de cette solution confirme que la gestion du statut des agents prime sur un formalisme qui, en l’espèce, aurait été dépourvu de pertinence.

II. La censure du processus de recouvrement de la créance

Si la cour valide la légalité de la radiation, elle se montre en revanche plus rigoureuse quant aux actes financiers qui en découlent. Elle qualifie d’abord l’acte informatif de la dette de simple mesure préparatoire non susceptible de recours (A), pour ensuite annuler le titre exécutoire lui-même en raison d’un défaut de motivation (B).

A. La qualification de mesure préparatoire de l’acte informatif de la dette

Le tribunal administratif avait annulé un courrier du 22 septembre 2020 informant l’agent du montant de sa dette. La cour administrative d’appel juge pour sa part que les conclusions dirigées contre ce document étaient irrecevables. Elle retient que, l’intéressée ayant été radiée des cadres, l’administration ne pouvait plus procéder au recouvrement par retenue sur traitement. Dans ces conditions, le courrier informant l’agent de sa dette et du montant réclamé ne constituait pas une décision faisant grief.

La cour le qualifie de mesure préparatoire à l’émission d’un titre de perception, car il « doit être regardé comme informant Mme A… de l’émission d’un ordre de reversement ou d’un titre de perception à défaut de paiement spontané de la somme réclamée par son employeur ». Cette analyse s’inscrit dans la jurisprudence classique distinguant les actes administratifs décisoires des actes non décisoires. En l’absence de caractère exécutoire, le courrier n’avait pas par lui-même d’effet de droit sur la situation de l’agent et ne pouvait donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Cette solution a pour portée de recentrer le contentieux sur l’acte qui matérialise véritablement la contrainte, à savoir le titre de recettes.

B. La censure du titre exécutoire pour défaut de motivation

La cour examine enfin la légalité de l’avis des sommes à payer du 3 juin 2020. Sur ce point, elle confirme l’annulation prononcée par les premiers juges, mais pour un motif de pure forme. Elle constate que cet avis « ne mentionne ni les bases ni les éléments de calcul sur lesquels son ordonnateur se fonde pour mettre la somme de 19 595,58 euros à la charge de Mme A… ». Or, en vertu de l’article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, toute créance liquidée doit indiquer les bases de sa liquidation.

Cette obligation de motivation est une garantie essentielle pour le débiteur, qui doit pouvoir comprendre l’origine et le calcul de la somme qui lui est réclamée afin d’exercer utilement ses droits à contestation. La cour souligne que la référence implicite à des documents antérieurs, qui plus est erronés et remplacés, ne saurait pallier cette absence de motivation au sein même du titre ou dans un document précisément référencé et joint. La décision est donc censurée pour vice de forme, déchargeant en conséquence l’agent de son obligation de payer cette somme spécifique. La portée de cette annulation est significative : elle rappelle aux ordonnateurs publics leur devoir de rigueur formelle dans l’émission des titres de recettes, une exigence qui protège les droits des administrés même lorsque le principe de la créance n’est pas contesté.

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