Cour d’appel administrative de Versailles, le 17 avril 2025, n°22VE02608

Par un arrêt rendu le 17 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles précise les contours de la responsabilité hospitalière lors d’un transfert de patient. Un homme souffrant d’une décompensation cardiaque indique son allergie à la pénicilline à son arrivée dans un premier centre hospitalier. Transféré vers un second établissement pour une prise en charge en réanimation, il reçoit une injection d’antibiotiques dérivés de cette substance. Un choc anaphylactique survient alors, entraînant le décès rapide du patient quelques heures seulement après son admission. Les ayants droit de la victime saisissent la juridiction administrative afin d’obtenir réparation des préjudices résultant de cette prise en charge défaillante.

Le tribunal administratif d’Orléans, par un jugement du 19 septembre 2022, retient la responsabilité partagée des deux établissements et évalue la perte de chance à cent pour cent. L’établissement d’origine interjette appel pour contester sa responsabilité, estimant que l’urgence du transfert justifiait l’absence de transmission écrite des antécédents médicaux. La juridiction d’appel doit déterminer si l’omission d’un courrier médical mentionnant une allergie vitale constitue une faute de nature à engager la responsabilité hospitalière. Les magistrats confirment la faute du premier établissement tout en maintenant le partage de responsabilité et l’indemnisation intégrale de la perte de chance.

**I. La caractérisation d’une faute partagée dans la transmission d’informations médicales**

**A. La carence fautive de l’établissement de première intention**

La cour administrative d’appel souligne d’abord que le décès est directement lié à une injection réalisée en méconnaissance de l’allergie signalée par le patient. L’établissement d’origine invoquait le respect d’une standardisation de la communication orale, mais « rien ne permet cependant d’établir que ce mode de communication aurait été effectivement respecté ». La preuve d’une transmission verbale de l’information capitale relative à l’allergie à la pénicilline fait ainsi défaut dans le dossier médical.

Le juge écarte ensuite l’argument relatif à l’urgence pour justifier l’absence de documents écrits lors du transfert vers le service de réanimation de l’établissement d’accueil. La victime étant restée presque sept heures dans le premier service, « l’urgence de son transfert ne saurait être considérée comme ayant fait obstacle à la rédaction d’un courrier ». Cette carence dans la continuité des soins constitue une faute médicale caractérisée puisque cette donnée n’avait été transmise par aucun autre moyen efficace.

**B. Le maintien d’un partage de responsabilité avec l’établissement d’accueil**

La responsabilité du premier centre hospitalier n’est pas exclusive, car l’établissement d’accueil a également manqué de diligence lors de la réception du patient sédaté. Les équipes du service mobile d’urgence et de réanimation n’ont pas consigné l’intégralité des antécédents sur leur feuille d’intervention malgré l’absence de courrier d’accompagnement. La cour confirme ainsi que le partage de responsabilité fixé à parts égales par les premiers juges n’est nullement excessif au regard des fautes respectives.

Le médecin réanimateur de l’établissement de destination aurait dû recontacter son confrère pour pallier l’absence d’informations claires sur le dossier médical transmis lors du transfert. Cette accumulation de négligences dans la chaîne de soins entre les deux entités hospitalières conduit logiquement à une condamnation conjointe pour la réparation du dommage. La faute de l’un n’exonère pas celle de l’autre, dès lors que chaque manquement a concouru de manière significative à la réalisation du décès.

**II. Une réparation intégrale fondée sur une perte de chance totale de survie**

**A. L’exclusion de l’état antérieur dans l’évaluation de la causalité**

L’établissement requérant tentait de limiter son indemnisation en invoquant les comorbidités du patient, notamment un cancer du poumon ancien et une surcharge pondérale notable. La cour rejette cette argumentation en relevant que la victime « ne présentait pas de maladie pouvant laisser craindre son décès dans l’année ». Le choc anaphylactique provoqué par l’erreur thérapeutique est l’unique cause certaine du décès soudain survenu lors de l’admission en service de réanimation.

Le lien de causalité entre la faute de transmission et la perte de chance de survie est considéré comme certain par les juges d’appel. Bien que l’état antérieur ait pu rendre la réanimation difficile, il n’aurait pas eu d’incidence sans l’injection fautive de l’antibiotique dérivé de la pénicilline. Par conséquent, la fraction du dommage corporel imputable aux services hospitaliers correspond à une perte de chance d’éviter le décès évaluée à cent pour cent.

**B. La réévaluation souveraine des préjudices subis par les proches**

La décision d’appel réforme le jugement de première instance en majorant sensiblement les indemnités allouées aux membres de la famille au titre du préjudice d’affection. La cour accorde notamment une somme plus importante à la fille de la victime qui vivait encore au foyer familial au moment des faits. Les préjudices des petits-enfants sont également rehaussés pour assurer une réparation plus juste du choc moral consécutif à la perte brutale de leur grand-père.

Concernant le préjudice économique de l’épouse, la cour ordonne un supplément d’instruction pour préciser le montant de la pension de retraite que le défunt aurait perçue. Elle refuse cependant l’indemnisation d’un préjudice d’accompagnement, estimant que la rapidité du décès n’a pas permis la caractérisation d’un trouble spécifique dans les conditions d’existence. Cette rigueur dans l’appréciation des différents postes de préjudice témoigne d’une application stricte des principes de la responsabilité administrative et du droit hospitalier.

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Hassan KOHEN
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