Cour d’appel administrative de Versailles, le 20 mars 2025, n°22VE02165

Par un arrêt en date du 20 mars 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité du licenciement pour insuffisance professionnelle d’un agent public territorial, précédé d’une mesure de suspension. Cette décision illustre la manière dont le juge administratif contrôle la matérialité des faits reprochés à un fonctionnaire et apprécie la proportionnalité de la mesure prise par l’autorité administrative, tout en examinant les allégations de l’agent relatives à un contexte de harcèlement et de discrimination.

En l’espèce, un adjoint technique territorial, après sa mutation au sein des services d’une commune le 1er octobre 2019, a connu des relations de plus en plus tendues avec sa hiérarchie. L’agent a déposé plainte pour harcèlement moral le 18 novembre 2020 et a sollicité la protection fonctionnelle, mais deux de ses supérieurs hiérarchiques ont également demandé cette protection contre lui peu après. À la suite d’une enquête administrative, l’agent a été suspendu de ses fonctions par un arrêté du 19 mars 2021, puis licencié pour insuffisance professionnelle par un arrêté du 15 juillet 2021, après avis du conseil de discipline. L’agent a saisi le tribunal administratif d’Orléans afin d’obtenir l’annulation de ces deux décisions, mais ses demandes ont été rejetées par un jugement du 5 juillet 2022. Il a donc interjeté appel de ce jugement, en soutenant notamment que les décisions étaient entachées d’erreurs de fait, d’une appréciation erronée de son insuffisance professionnelle, et qu’elles constituaient une sanction déguisée dans un contexte de harcèlement et de discrimination. La commune a conclu au rejet de la requête.

Il était donc demandé aux juges d’appel de déterminer si des manquements professionnels avérés et des difficultés relationnelles imputables à un agent peuvent légalement fonder une mesure de licenciement pour insuffisance professionnelle, alors même que ce dernier invoque un contexte de harcèlement et de discrimination à son encontre.

La cour administrative d’appel répond par l’affirmative, en confirmant l’analyse des premiers juges et en écartant l’ensemble des moyens soulevés par le requérant. Elle juge que la suspension était justifiée par des faits suffisamment vraisemblables et graves, et que le licenciement reposait sur des éléments objectifs et concrets caractérisant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement ses fonctions, étrangers à toute discrimination ou harcèlement. La décision des juges du fond repose ainsi sur une double validation : celle de la mesure conservatoire de suspension (I) et celle, plus substantielle, du licenciement pour insuffisance professionnelle (II).

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I. La validation de la mesure de suspension à titre conservatoire

La cour confirme d’abord la légalité de l’arrêté de suspension, en s’assurant que les conditions posées par le statut de la fonction publique étaient réunies. Pour ce faire, elle exerce un contrôle rigoureux sur la justification de la mesure (A), tout en écartant les arguments du requérant jugés non pertinents à ce stade (B).

A. Le contrôle de la vraisemblance et de la gravité des faits

La suspension d’un fonctionnaire est une mesure conservatoire qui, selon l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983, ne peut être prononcée qu’« en cas de faute grave commise par un fonctionnaire ». La jurisprudence précise que cette mesure, prise dans l’intérêt du service, suppose que les faits imputés présentent « un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité ». En l’espèce, la cour s’attache à vérifier si cette double condition était remplie. Elle relève que l’administration s’est fondée sur le comportement inadapté de l’agent, lequel portait gravement atteinte au fonctionnement du service.

Pour établir la vraisemblance des griefs, les juges s’appuient sur les résultats de l’enquête administrative et les nombreux témoignages qui en sont issus. Ils estiment que la « propension de M. B… à évoquer la vie privée des agents et à colporter des rumeurs est établie par les nombreux témoignages », ce qui avait des « conséquences délétères sur les équipes du service ». De plus, la cour considère que l’agent a eu, « de manière récurrente, un comportement inapproprié envers sa hiérarchie ». Le faisceau d’indices concordants suffit donc à établir la matérialité et la vraisemblance des faits, justifiant une mesure destinée à préserver le bon fonctionnement de l’administration.

B. Le rejet des moyens inopérants ou non établis

Face à cette argumentation, le requérant tentait de démontrer que la décision de suspension était viciée par une erreur d’appréciation de son insuffisance professionnelle, par un caractère discriminatoire ou par un contexte de harcèlement. La cour écarte méthodiquement chacun de ces arguments. D’une part, elle juge que le moyen tiré d’une erreur d’appréciation sur l’insuffisance professionnelle est inopérant, car la suspension n’est pas une sanction mais une mesure conservatoire fondée sur la suspicion d’une faute grave.

D’autre part, concernant l’allégation de discrimination liée à ses arrêts maladie, la cour la rejette en constatant que la décision était objectivement motivée par le « caractère inadapté de son comportement ». Enfin, quant au harcèlement moral, les juges notent que le requérant n’invoque « aucun fait précis susceptible de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ». Au contraire, la cour suggère une inversion de la causalité en relevant que « le climat de tension avec sa hiérarchie qu’il relate (…) n’est que la conséquence de ses propres agissements ». Ainsi, la mesure conservatoire est validée car elle répondait à une situation de crise objectivement constatée.

Si la légalité de la mesure de suspension est ainsi confirmée, le cœur du litige réside dans la validité de la décision de licenciement qui s’en est suivie.

II. La confirmation du licenciement pour insuffisance professionnelle

La cour procède ensuite à l’examen de l’arrêté de licenciement, qui constitue la mesure définitive. Elle confirme la décision en se fondant sur une caractérisation objective de l’insuffisance professionnelle (A), qu’elle distingue nettement des allégations de l’agent relatives à un contexte vicié (B).

A. La caractérisation objective de l’insuffisance professionnelle

Le licenciement pour insuffisance professionnelle ne peut, selon une jurisprudence constante, « être fondé que sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement les fonctions correspondant à son grade ». La cour vérifie donc que l’administration a bien étayé sa décision sur des faits concrets, répétés et imputables à l’agent. Elle examine en détail plusieurs griefs matériels pour s’assurer de leur bien-fondé.

Les juges retiennent ainsi plusieurs manquements précis : le non-respect de consignes pour le stockage de produits virucides, l’absence de suivi dans l’équipement des agents en badges, ou encore le défaut de remplacement de mobiliers sportifs. La cour réfute systématiquement les justifications de l’agent, estimant par exemple que son état de santé ou un deuil familial ne l’exonéraient pas d’informer sa hiérarchie ou d’accomplir des tâches imparties bien en amont. De même, la qualité jugée insuffisante de tâches d’entretien est corroborée par des photographies et des courriels, tandis qu’un refus d’obéissance est également retenu. En s’appuyant sur cet ensemble de faits, la cour conclut que « le moyen tiré de l’inexactitude des griefs reprochés à M. B… doit être écarté ».

B. L’étanchéité entre l’insuffisance constatée et les allégations de l’agent

Un des arguments centraux du requérant était que son insuffisance professionnelle aurait été appréciée sur des missions ne relevant pas de son grade, et que la décision était en réalité une sanction déguisée. La cour réfute ce point en précisant que « l’insuffisance professionnelle de M. B… a été appréciée uniquement sur la base des tâches d’exécution qui lui étaient confiées et de son comportement », et non sur des missions d’encadrement qui auraient pu relever d’un grade supérieur.

Surtout, la cour établit une distinction claire entre l’insuffisance professionnelle, objectivement démontrée, et les allégations de discrimination ou de harcèlement. Comme pour la mesure de suspension, elle juge que le licenciement repose sur « des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination, détaillés aux points 26 à 28 ». La décision souligne à nouveau que les tensions relationnelles étaient la conséquence des agissements de l’agent lui-même, ce qui vide de sa substance l’argument du harcèlement moral. Par cette analyse, la cour refuse de voir dans les difficultés de l’agent une circonstance atténuante ou une cause exonératoire, et valide le diagnostic d’inaptitude posé par l’employeur public. Le licenciement n’est donc pas une sanction déguisée, mais bien la conséquence d’une incapacité avérée à remplir les obligations de service.

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Hassan KOHEN
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