Par une décision en date du 21 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Versailles a été amenée à se prononcer sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour à un ressortissant étranger pour raisons médicales. En l’espèce, un citoyen algérien, entré régulièrement en France en 2012 et y résidant depuis, a sollicité la délivrance d’un certificat de résidence sur le fondement de l’accord franco-algérien, en raison de son état de santé nécessitant une prise en charge médicale spécifique.
Le préfet du Val-d’Oise a rejeté sa demande par un arrêté du 30 avril 2021, s’appuyant sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui estimait que le défaut de prise en charge n’entraînerait pas de conséquences d’une exceptionnelle gravité. Cet arrêté était assorti d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a rejeté sa requête par un jugement du 17 janvier 2023. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que les pièces médicales qu’il produisait contredisaient l’avis de l’OFII et que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Il revenait ainsi à la cour administrative d’appel de déterminer dans quelle mesure l’avis défavorable d’un collège de médecins de l’OFII peut fonder le refus de délivrance d’un titre de séjour à un étranger malade, et quelle est la charge probatoire qui pèse sur ce dernier pour contester une telle appréciation.
Par l’arrêt commenté, la cour administrative d’appel de Versailles rejette la requête. Elle juge que face à un avis défavorable de l’OFII, il appartient au requérant d’apporter des éléments de preuve contraires suffisants pour établir que l’absence de traitement approprié dans son pays d’origine entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Or, elle estime que les documents médicaux versés au dossier par l’appelant ne permettent pas d’établir cette condition. La solution retenue met en lumière le rôle déterminant de l’avis médical dans le contentieux des étrangers malades et la charge probatoire qui en découle pour le requérant (I), tout en confirmant une appréciation stricte des conditions de séjour et du droit au respect de la vie privée et familiale (II).
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I. Le rôle central de l’avis médical dans la répartition de la charge de la preuve
La décision de la cour administrative d’appel rappelle le mécanisme probatoire applicable en matière de séjour pour raisons de santé, où l’avis du collège de médecins de l’OFII constitue le pivot de l’appréciation de l’administration et du juge (A), imposant ainsi au requérant une lourde charge pour en contester les conclusions (B).
A. La présomption attachée à l’avis du collège de médecins de l’OFII
La procédure de délivrance d’un titre de séjour pour un étranger malade est spécifiquement encadrée afin d’objectiver une situation essentiellement médicale. L’arrêt rappelle indirectement que le préfet est lié par l’avis du collège de médecins de l’OFII, mais uniquement lorsque celui-ci est favorable à l’étranger. En cas d’avis défavorable, l’autorité administrative retrouve son pouvoir d’appréciation, bien qu’en pratique elle suive presque systématiquement cet avis.
La cour expose clairement la portée de cet avis dans le cadre du contentieux, en reprenant un considérant de principe. « La partie qui justifie d’un avis du collège des médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence ou l’absence d’un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d’un titre de séjour. » Cet avis constitue donc un élément de preuve majeur, créant une présomption simple que le juge se doit de prendre en considération. Le préfet, en se fondant sur l’avis défavorable du 11 mars 2021, a ainsi légalement justifié sa décision de refus.
B. L’insuffisance des preuves contraires apportées par le requérant
Face à la présomption découlant de l’avis de l’OFII, la charge de la preuve est renversée et pèse entièrement sur le requérant. Il lui incombe de produire des éléments suffisamment probants pour remettre en cause l’appréciation des médecins de l’Office et convaincre le juge de la réalité de sa situation. En l’espèce, l’étranger soutenait qu’une interruption de son suivi médical aurait des conséquences graves sur ses capacités.
Toutefois, la cour procède à une analyse concrète et souveraine des pièces versées au débat. Elle énumère les documents produits, tels que des bulletins de situation, des comptes rendus d’hospitalisation et des certificats médicaux, mais conclut de manière péremptoire. « Cependant, aucun des documents médicaux produits par M. C… (…) ne permet d’établir que le défaut de prise en charge de son état de santé pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité. » La décision illustre ainsi le niveau d’exigence élevé attendu par le juge administratif. De simples certificats attestant d’un besoin de soins ne suffisent pas ; il est nécessaire que les documents médicaux se prononcent explicitement et de manière circonstanciée sur le caractère exceptionnellement grave des conséquences d’un défaut de traitement.
II. La confirmation d’une appréciation restrictive des conditions de séjour
Au-delà de la question probatoire, l’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui interprète de manière stricte les conditions légales du séjour des étrangers (A), et qui procède à une mise en balance rigoureuse du droit au respect de la vie privée et familiale (B).
A. L’interprétation rigoureuse de la notion de « conséquences d’une exceptionnelle gravité »
La condition tenant à ce que le défaut de prise en charge médicale puisse entraîner des « conséquences d’une exceptionnelle gravité » constitue la clé de voûte du dispositif de protection des étrangers malades. Cette notion, volontairement restrictive, est appréciée de manière souveraine par le juge administratif, sous le contrôle du Conseil d’État. L’arrêt commenté confirme que cette appréciation est particulièrement rigoureuse.
La cour ne se contente pas de vérifier l’existence d’une pathologie et la nécessité de soins. Elle examine si l’interruption de ces soins placerait l’individu dans une situation de détresse vitale ou d’une gravité hors du commun. En jugeant que ni le suivi post-opératoire, ni la rééducation orthophonique, bien que nécessaires, ne relevaient de ce critère, la cour administrative d’appel adopte une position restrictive. Cette solution, bien que classique, témoigne de la volonté du juge de ne pas transformer un dispositif humanitaire d’exception en une voie d’immigration durable pour toute personne souffrant d’une affection sérieuse. La portée de cette décision est donc celle d’une confirmation de la ligne jurisprudentielle existante, excluant une acception extensive de la protection conférée par la loi.
B. La mise en balance défavorable du droit au respect de la vie privée et familiale
Le requérant invoquait également une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Sur ce terrain, la cour effectue une mise en balance classique des intérêts en présence : d’un côté, l’intérêt de l’étranger à maintenir ses liens en France, et de l’autre, l’intérêt public de contrôle des flux migratoires.
L’arrêt écarte l’argument en des termes qui soulignent la précarité du séjour de l’intéressé. « A la date de l’arrêté attaqué, M. C… était célibataire et sans charges de famille. Il n’est par ailleurs entré en France qu’à l’âge de 44 ans. » La durée de présence sur le territoire, de près de neuf ans à la date de la décision, et l’existence d’un « réseau de solidarité » sont mentionnées mais jugées insuffisantes pour faire obstacle à la mesure d’éloignement. Cette motivation révèle que, en l’absence de liens familiaux constitués en France, le simple ancrage social et la durée de la résidence ne suffisent pas à caractériser une atteinte disproportionnée, surtout lorsque la présence de l’étranger sur le territoire n’a pas été consolidée par l’obtention d’un titre de séjour durable. La solution est donc une application orthodoxe de la jurisprudence, qui réserve la protection de l’article 8 à des situations familiales et personnelles d’une intensité particulière.