La décision rendue le 22 septembre 2025 par la cour administrative d’appel de Versailles offre une illustration du contrôle exercé par le juge administratif sur les mesures d’éloignement des étrangers. Elle met en balance le droit au respect de la vie privée et familiale et la nécessité de préserver l’ordre public. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré en France durant son enfance, y ayant noué des liens familiaux solides, notamment par son mariage avec une ressortissante française et la naissance d’un enfant, faisait l’objet de deux arrêtés préfectoraux. Le premier l’obligeait à quitter le territoire français sans délai, le second lui interdisait le retour sur ce territoire pour une durée de vingt-quatre mois. Ces mesures étaient motivées par son maintien irrégulier sur le territoire et par une menace pour l’ordre public suite à son interpellation pour des faits de recel. Le tribunal administratif de Versailles, en première instance, avait rejeté la demande d’annulation de ces arrêtés. Saisi en appel, le requérant invoquait principalement une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale garantie par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il appartenait dès lors à la juridiction d’appel de déterminer si une obligation de quitter le territoire français assortie d’une interdiction de retour portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale d’un étranger, père d’un enfant français et marié à une ressortissante française, en raison de la menace que son comportement représentait pour l’ordre public. La cour répond par la négative, considérant que la gravité et la réitération des faits délictueux commis par l’intéressé justifiaient les mesures contestées, nonobstant la réalité de sa vie familiale en France. Si le juge administratif prend acte de l’existence d’une vie privée et familiale, il fait néanmoins prévaloir les impératifs de l’ordre public pour valider la décision d’éloignement.
I. Une ingérence dans la vie privée et familiale justifiée par la menace à l’ordre public
La cour administrative d’appel procède à une analyse en deux temps pour motiver sa décision. Elle commence par reconnaître la consistance des liens privés et familiaux du requérant en France (A), avant de faire primer la menace à l’ordre public que son comportement représente (B).
A. La reconnaissance de l’existence de liens privés et familiaux en France
Le juge administratif ne nie pas l’ancrage du requérant sur le territoire national. Il prend soin de relever les éléments qui attestent d’une vie privée et familiale stable et ancienne. La décision mentionne ainsi que « M. B… a épousé en France, le 8 avril 2017, une ressortissante française et qu’un enfant est né de leur union le 17 mars 2020 ». Le juge ne s’arrête pas à ce constat formel et examine les preuves de la communauté de vie effective, s’appuyant sur des attestations de l’épouse, des factures, un rapport d’assistante sociale et des avis d’imposition communs.
Cette prise en compte factuelle démontre que le contrôle du juge ne se limite pas à une application mécanique des textes. Il examine concrètement la situation personnelle de l’étranger pour apprécier l’intensité de son droit au respect de la vie privée et familiale. La cour admet donc l’existence d’une ingérence de l’autorité publique dans ce droit. Cependant, la reconnaissance de cette ingérence ne suffit pas à entraîner l’annulation de la mesure d’éloignement. Conformément au second paragraphe de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, une telle ingérence peut être justifiée si elle est prévue par la loi et si elle poursuit un des buts légitimes énumérés.
B. La prévalence de la menace à l’ordre public
La cour fait basculer son raisonnement en se fondant sur la menace que le requérant fait peser sur l’ordre public. La décision détaille avec précision les antécédents de l’intéressé. Le juge ne se contente pas de l’interpellation du 12 décembre 2023 pour recel de biens, mais souligne le caractère « particulièrement peu convaincante » de l’explication fournie par l’intéressé. De plus, il s’appuie sur les déclarations spontanées de ce dernier en garde à vue concernant des faits de « vol à l’étalage et des histoires de deal ».
Surtout, la cour énumère les mentions au fichier automatisé des empreintes digitales pour des faits de vol, recel, cambriolage et délits routiers, ainsi qu’une condamnation pénale. C’est la combinaison de ces éléments qui conduit le juge à retenir l’existence d’une menace actuelle et sérieuse. La décision conclut que, « Eu égard à la gravité des faits susmentionnés, à leur caractère récent et réitéré », l’atteinte à la vie privée et familiale n’est pas disproportionnée au but de préservation de l’ordre public. L’appréciation de la cour se montre ainsi très concrète, attachant une importance déterminante à la répétition des comportements délictueux comme critère d’évaluation de la menace.
II. Une solution classique révélatrice du contrôle du juge de l’excès de pouvoir
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence bien établie, qui illustre à la fois la rigueur de l’appréciation portée sur le comportement de l’étranger (A) et la portée relative du droit au séjour au titre de la vie familiale (B).
A. L’appréciation rigoureuse du comportement personnel de l’étranger
Le juge administratif exerce ici un contrôle approfondi sur la qualification de menace à l’ordre public. Loin de s’en tenir à la seule motivation de l’acte préfectoral, il examine l’ensemble des pièces du dossier, y compris celles produites pour la première fois en appel, pour forger sa propre conviction. La manière dont il dissèque les explications du requérant et met en perspective son parcours délictuel témoigne d’une volonté de ne pas se limiter à un contrôle formel.
Cette approche révèle que, dans le contentieux de l’éloignement, le juge ne se positionne pas seulement en censeur de l’administration, mais également en gardien de l’ordre public. En qualifiant le comportement de l’intéressé de menaçant, la cour valide une conception large de cette notion, qui englobe non seulement des crimes graves mais aussi une délinquance d’habitude. La décision portant interdiction de retour sur le territoire français est également validée au prisme d’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation, en soulignant que l’étranger ne justifie « d’aucune forme d’intégration à la société française » en dehors de quelques expériences professionnelles anciennes. Cette sévérité illustre le pouvoir d’appréciation laissé au juge pour évaluer la situation globale de la personne.
B. La réaffirmation de l’absence d’immunité contre l’éloignement
La portée de cette décision est avant tout de rappeler un principe constant : l’existence de liens familiaux, même avec un conjoint et un enfant de nationalité française, ne constitue pas un droit absolu au séjour. Elle confirme que ces attaches, bien que fondamentales, peuvent céder face à des impératifs d’ordre public suffisamment caractérisés. La solution est une décision d’espèce, sa conclusion étant intimement liée à la gravité et à la répétition des infractions commises par le requérant.
Elle ne saurait être interprétée comme un affaiblissement général de la protection de la vie familiale dans le droit des étrangers. Elle délimite plutôt les frontières de cette protection. L’arrêt enseigne que la crédibilité du droit au respect de la vie privée et familiale suppose également que celui qui l’invoque adopte un comportement conforme aux exigences de la vie en société. En ce sens, la décision a une portée pédagogique, rappelant que l’intégration ne se mesure pas seulement à l’aune des liens familiaux, mais aussi au respect des lois de la République. Elle confirme la ligne jurisprudentielle selon laquelle le juge administratif opère une mise en balance rigoureuse, où la protection de la société demeure un paramètre essentiel de l’équation.