Par un arrêt en date du 23 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles se prononce sur l’engagement de la responsabilité pour faute d’un établissement public hospitalier à la suite d’un accident de service subi par l’un de ses agents.
En l’espèce, un agent des services hospitaliers, affecté au poste de standardiste, a ressenti une vive douleur sciatique le 7 février 2017 alors qu’il réalisait une journée d’immersion au sein du service de blanchisserie de l’établissement, en prévision d’un éventuel changement de poste. Cet événement a été reconnu comme un accident imputable au service par une décision de l’employeur en date du 24 avril 2017. L’agent, placé en arrêt de travail continu depuis l’accident, a sollicité de son employeur l’indemnisation des préjudices subis, demande restée sans réponse. Il a alors saisi le tribunal administratif de Versailles d’une demande tendant à la condamnation de l’établissement hospitalier à lui verser une somme de 40 000 euros. Par un jugement du 28 novembre 2022, le tribunal a rejeté sa demande. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’établissement avait commis une faute en ne prenant pas les mesures de sécurité nécessaires, alors qu’il ne pouvait porter de charges lourdes, et que ses préjudices corporels étaient imputables à cette négligence.
La question de droit soumise à la Cour administrative d’appel était donc de savoir si la responsabilité pour faute d’un établissement public hospitalier pouvait être engagée à l’égard de l’un de ses agents, victime d’un accident reconnu comme imputable au service, en l’absence de preuve d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et d’un lien de causalité direct entre ce manquement allégué et le préjudice.
À cette question, la Cour administrative d’appel répond par la négative. Elle rejette la requête au motif que l’agent n’apporte pas la preuve d’une faute commise par l’établissement, ni d’un lien de causalité certain entre les conditions de son affectation et le dommage dont il se prévaut. Cette solution, conforme à l’orthodoxie juridique, repose sur une application rigoureuse des conditions cumulatives de la responsabilité administrative (I), qui rappelle la charge probatoire incombant à l’agent public demandeur (II).
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I. L’application rigoureuse des conditions de la responsabilité pour faute
La Cour, pour écarter la responsabilité de l’établissement public, s’attache à vérifier méthodiquement l’existence d’une faute de l’employeur et d’un lien de causalité avec le préjudice, concluant à l’absence de ces deux éléments constitutifs.
A. L’absence de faute prouvée de l’établissement hospitalier
La responsabilité de l’administration ne saurait être engagée sans la démonstration d’une faute de sa part. En l’espèce, l’agent soutenait que son employeur avait manqué à son obligation de sécurité en l’affectant à un poste qui nécessitait le port de charges lourdes, ce qui aurait été incompatible avec son état de santé. Toutefois, les juges d’appel relèvent que les allégations du requérant ne sont étayées par aucun élément matériel.
D’une part, la Cour constate « qu’il ne résulte pas de l’instruction et n’est pas allégué que [l’agent] aurait effectivement manipulé des charges lourdes lors de la visite en immersion au service lingerie le 7 février 2017 ». Le simple fait d’être présent dans un service n’implique pas l’accomplissement de toutes les tâches qui y sont normalement dévolues. D’autre part, et de manière décisive, la Cour souligne que le requérant « ne produit aucun document émanant du médecin du travail ou d’un médecin consulté par ses soins préconisant d’éviter de porter des charges lourdes qui serait antérieur à l’accident de travail du 7 février 2017 ». La simple circonstance d’antécédents médicaux, comme une opération d’une hernie discale en 2008, ne suffit pas à établir une contre-indication formelle que l’employeur aurait dû connaître et respecter. En l’absence de préconisation médicale explicite, aucune négligence fautive ne peut donc être imputée à l’établissement.
B. Le défaut de lien de causalité entre l’affectation et le dommage
Outre l’absence de faute, la Cour administrative d’appel met en évidence la rupture du lien de causalité entre la décision administrative contestée et le dommage subi par l’agent. Le raisonnement des juges est ici factuel et imparable. Le préjudice de l’agent, à savoir la douleur sciatique, est survenu le 7 février 2017. Or, à cette date, il n’effectuait qu’une simple journée d’immersion et n’était pas encore affecté au service de la blanchisserie.
La Cour relève que, l’agent ayant été « placé en arrêt de travail depuis le 7 février 2017, [il] n’a jamais exercé ses fonctions au service lingerie ». Par conséquent, il ne peut valablement soutenir avoir été exposé au port de charges lourdes du fait de ses nouvelles fonctions. De plus, la décision formelle d’affectation de l’agent à ce service, datée du 9 mars 2017, est postérieure à la survenance de l’accident. La Cour en tire la conclusion logique qu’elle « est par conséquent sans lien avec les douleurs alléguées ». En dissociant ainsi l’accident de la décision d’affectation, les juges privent le recours de son fondement essentiel, le lien de causalité faisant entièrement défaut.
II. La confirmation de la charge de la preuve pesant sur l’agent public
Cet arrêt, s’il ne constitue pas un revirement de jurisprudence, offre une illustration claire des exigences probatoires qui pèsent sur l’agent public s’estimant victime d’une faute de son employeur. Il s’agit d’une solution classique en contentieux de la fonction publique, dont la portée, bien que limitée à l’espèce, est pédagogique.
A. Une solution classique en matière de contentieux de la fonction publique
L’arrêt s’inscrit dans le cadre bien établi du droit de la responsabilité administrative, qui exige du demandeur qu’il rapporte la preuve des trois éléments que sont la faute, le préjudice et le lien de causalité. La reconnaissance de l’imputabilité au service de l’accident n’emporte pas présomption de faute de l’employeur. Cette reconnaissance ouvre droit au régime de protection de l’agent public (prise en charge des frais médicaux, maintien du traitement), mais elle est sans incidence sur l’engagement de la responsabilité de l’administration, qui demeure soumise au régime de la faute prouvée.
Le requérant ne pouvait donc se contenter d’invoquer la survenance d’un accident de service pour obtenir réparation. Il lui appartenait de démontrer positivement que l’administration avait commis une erreur, une imprudence ou une négligence en violation de ses obligations. En rejetant la demande faute de preuves suffisantes, la Cour ne fait qu’appliquer les principes fondamentaux de la charge de la preuve, rappelant que le doute profite à la partie défenderesse. Cette décision souligne l’importance pour l’agent de constituer un dossier solide, fondé sur des éléments objectifs et antérieurs au fait dommageable.
B. La portée limitée d’une décision d’espèce
Cet arrêt doit être analysé comme une décision d’espèce, sa solution étant intimement liée aux circonstances factuelles et à la carence probatoire du requérant. Il ne fixe pas de principe nouveau et ne modifie pas l’état du droit positif relatif à l’obligation de sécurité de l’employeur public. La Cour ne dit pas qu’un hôpital n’a pas à tenir compte de l’état de santé de ses agents ; elle juge simplement qu’en l’absence d’information spécifique portée à sa connaissance, aucune faute ne peut lui être reprochée.
La portée de cette décision est donc avant tout pratique. Elle rappelle aux agents publics et à leurs conseils la nécessité de faire établir et notifier formellement à l’employeur toute restriction d’aptitude par la médecine du travail. Sans cette démarche préalable, il devient particulièrement difficile de faire valoir un manquement à l’obligation d’adapter le poste de travail. L’arrêt illustre ainsi, de manière pragmatique, que le contentieux de la responsabilité administrative est avant tout un contentieux de la preuve, où les allégations, même plausibles, ne sauraient suffire à fonder une condamnation.