Cour d’appel administrative de Versailles, le 23 septembre 2025, n°24VE00897

Par un arrêt en date du 23 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Versailles a annulé un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ainsi qu’un arrêté préfectoral imposant à un ressortissant étranger de quitter le territoire français. En l’espèce, un individu de nationalité égyptienne, entré sur le territoire national en 2016, s’était vu notifier le 5 juin 2023 une obligation de quitter le territoire français sans délai, assortie d’une interdiction de retour pour une durée de deux ans. Cette mesure faisait suite à un précédent refus de titre de séjour et une première mesure d’éloignement datant de 2020. L’intéressé vivait en France avec son épouse, alors titulaire d’un titre de séjour, et leurs trois enfants. Il a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 29 février 2024. Le requérant a alors interjeté appel de cette décision. Devant le juge d’appel, l’administration opposait une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la saisine en première instance, le délai de recours contentieux de quarante-huit heures n’ayant pas été respecté. Le requérant soutenait pour sa part que l’arrêté contesté portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti notamment par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il convenait donc de déterminer si le non-respect du délai de recours pouvait être opposé à un requérant lorsque la notification de la décision ne mentionnait pas les voies et délais de recours. Ensuite, il s’agissait de savoir si une mesure d’éloignement portait une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale d’un étranger dont la famille, incluant trois enfants, résidait sur le territoire, nonobstant la précarité du séjour de son épouse et une précédente mesure d’éloignement. La cour administrative d’appel a d’abord écarté la fin de non-recevoir, jugeant le délai de recours inopposable faute de mention dans l’acte de notification. Sur le fond, elle a jugé que la décision d’éloignement portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant, annulant en conséquence l’arrêté préfectoral.

I. La réaffirmation des garanties procédurales comme condition de recevabilité du recours

L’arrêt rappelle avec clarté que l’effectivité du droit au recours contentieux impose à l’administration le respect de ses obligations en matière de notification des décisions individuelles défavorables. Le juge écarte ainsi l’irrecevabilité soulevée par le préfet (A) avant de permettre un examen au fond, garantissant ainsi l’accès au prétoire (B).

A. Le rejet de la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête

En défense, le préfet soutenait que la demande de première instance était tardive, car elle avait été enregistrée au greffe du tribunal administratif le 17 juin 2023, soit bien après l’expiration du délai de quarante-huit heures suivant la notification de l’arrêté le 5 juin 2023. Cette argumentation, si elle avait prospéré, aurait eu pour effet de clore le débat judiciaire sans que le juge n’examine les mérites des moyens soulevés par le requérant. Toutefois, la cour relève qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier que les voies et délais de recours aient été notifiées » à l’intéressé. Conformément à une jurisprudence constante, l’absence de cette mention dans l’acte de notification d’une décision administrative individuelle fait obstacle à ce que le délai de recours contentieux puisse courir à l’encontre de son destinataire. La sanction de cette omission procédurale est donc l’inopposabilité du délai, ce qui rendait la requête, bien que tardive en apparence, parfaitement recevable.

B. La garantie du droit au recours effectif comme préalable à l’examen au fond

En écartant l’argument de l’administration, la cour ne fait pas seulement une application technique des règles de procédure. Elle réaffirme le caractère substantiel du droit à un recours effectif, lequel suppose que le justiciable soit pleinement informé des modalités de contestation des décisions qui lui font grief. Le formalisme lié à la mention des voies et délais de recours n’est pas une simple clause de style, mais une protection fondamentale accordée à l’administré, particulièrement dans un contentieux aussi technique et aux délais aussi brefs que celui des étrangers. Cette décision illustre la vigilance du juge administratif, qui s’assure que les conditions formelles d’un procès équitable sont réunies avant de se prononcer sur la légalité de l’acte attaqué. La recevabilité de la requête étant ainsi confirmée, la voie était ouverte pour un contrôle de la décision préfectorale sur le fond.

II. L’application du contrôle de proportionnalité au nom du droit à une vie familiale normale

Après avoir écarté l’obstacle procédural, le juge d’appel a exercé un contrôle approfondi de l’arrêté au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il a fondé sa censure sur une analyse concrète de la situation personnelle et familiale du requérant (A), faisant prévaloir la stabilité de la cellule familiale sur les objectifs de la politique migratoire (B).

A. La prise en compte de la situation familiale concrète de l’intéressé

Pour apprécier la légalité de l’obligation de quitter le territoire, la cour a examiné avec une attention particulière les éléments de la vie privée et familiale de l’appelant. Elle a constaté qu’à la date de l’arrêté, ce dernier justifiait d’une vie commune avec son épouse et leurs trois enfants, nés en 2014, 2016 et 2019. Le fait que le titre de séjour de son épouse n’ait été valable que pour une durée résiduelle de deux mois et demi n’a pas été jugé déterminant. Le juge a considéré l’ensemble de ces éléments pour conclure que, nonobstant l’existence d’une précédente mesure d’éloignement, la décision contestée « doit être regardée comme portant au droit au respect de la vie privée et familiale (…) une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise ». Cette analyse factuelle et circonstanciée est caractéristique du contrôle de proportionnalité exercé par le juge en la matière.

B. La prévalence de la stabilité familiale dans la balance des intérêts

L’arrêt illustre la méthode du bilan, par laquelle le juge met en balance l’ingérence dans les droits fondamentaux du requérant et les objectifs d’intérêt général poursuivis par l’autorité administrative, tels que la maîtrise des flux migratoires et la défense de l’ordre public. En l’espèce, la présence de trois enfants et l’existence d’une vie familiale établie depuis plusieurs années ont constitué un poids décisif dans la balance. La décision d’éloigner le père de famille a été perçue comme une mesure aux conséquences excessivement rigoureuses pour l’unité familiale. La solution retenue s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui, sans nier la légitimité des décisions d’éloignement, impose à l’administration de motiver ses décisions au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce, en accordant une considération primordiale à l’intérêt des enfants et à la réalité des liens familiaux tissés sur le territoire français.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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