Cour d’appel administrative de Versailles, le 24 juin 2025, n°24VE00487

Par un arrêt en date du 24 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une autorisation de licenciement d’une salariée protégée. En l’espèce, un employeur avait obtenu de l’inspecteur du travail l’autorisation de licencier pour motif disciplinaire une salariée détenant plusieurs mandats représentatifs. Suite à cette autorisation, la salariée fut licenciée. Saisi par cette dernière, le tribunal administratif d’Orléans a annulé la décision de l’inspecteur du travail par un jugement du 21 décembre 2023, au motif que la procédure n’avait pas respecté le principe du contradictoire. L’employeur a interjeté appel de ce jugement d’annulation. Devant la cour, la salariée a soulevé une exception de non-lieu à statuer, arguant que l’employeur avait, postérieurement au jugement de première instance, sollicité et obtenu une nouvelle autorisation de licenciement la concernant, privant ainsi l’appel de son objet. L’employeur soutenait pour sa part conserver un intérêt à agir et arguait du bien-fondé de l’autorisation initiale. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si l’obtention d’une seconde autorisation de licenciement prive l’employeur de son intérêt à contester l’annulation de la première autorisation. Subsidiairement, la cour devait se prononcer sur le respect du principe du contradictoire par l’inspecteur du travail lors de son enquête. La cour administrative d’appel rejette l’exception de non-lieu à statuer et confirme l’annulation de l’autorisation de licenciement. Elle juge que l’employeur conserve un intérêt à voir la première autorisation maintenue dans l’ordonnancement juridique, nonobstant la délivrance d’une nouvelle autorisation. Elle confirme ensuite que la procédure a été irrégulière, l’inspecteur du travail n’ayant pas mis la salariée à même de prendre connaissance d’éléments déterminants recueillis lors de son enquête.

Cette décision permet de clarifier la notion d’intérêt à agir dans le contentieux de l’autorisation de licenciement (I), avant de rappeler fermement les exigences inhérentes au principe du contradictoire (II).

I. La persistance de l’intérêt à agir de l’employeur malgré l’obtention d’une nouvelle autorisation

La cour administrative d’appel a d’abord dû écarter l’exception de non-lieu à statuer soulevée par la salariée, qui semblait pourtant fondée sur une logique pragmatique (A), pour consacrer une solution protectrice des effets de l’autorisation administrative initiale (B).

A. L’argumentation en faveur du non-lieu à statuer fondée sur la perte d’objet du litige

L’argument de la salariée intimée reposait sur une constatation factuelle simple : après l’annulation de la première autorisation de licenciement, son employeur avait engagé une nouvelle procédure et obtenu une seconde autorisation. Dès lors, l’objectif de l’employeur, à savoir la possibilité de rompre légalement le contrat de travail, paraissait atteint par cette nouvelle décision. La contestation de l’annulation de la première autorisation pouvait ainsi sembler dépourvue d’objet, le litige paraissant éteint. Cette approche suggère qu’une fois le résultat pratique obtenu par une autre voie, l’intérêt à poursuivre une instance relative à la première voie disparaîtrait. Une telle analyse s’inscrit dans une conception concrète de l’intérêt à agir, lequel s’apprécie au regard du bénéfice que le requérant peut retirer du jugement de sa requête.

B. Le rejet du non-lieu au nom du caractère créateur de droits de l’autorisation administrative

La cour écarte ce raisonnement en s’attachant à la nature juridique de la décision administrative contestée. Elle rappelle que « la décision de l’inspecteur du travail autorisant le licenciement d’un salarié protégé est créatrice de droit au profit de l’employeur ». Cette qualification est déterminante. L’autorisation administrative n’est pas une simple condition de validité du licenciement, elle constitue un acte qui confère à l’employeur le droit de rompre le contrat de travail. Or, en l’espèce, ce droit avait été exercé et le licenciement notifié. L’annulation de l’acte par le premier juge a eu pour effet de le faire disparaître rétroactivement, fragilisant ainsi la rupture du contrat de travail déjà intervenue. Par conséquent, l’employeur « conserve un intérêt à ce qu’elle soit maintenue dans l’ordonnancement juridique, alors même qu’il aurait obtenu, postérieurement au jugement l’ayant annulée, une nouvelle autorisation ayant le même objet ». La solution est donc fondée sur la nécessité de sécuriser les effets juridiques passés, nés de la première autorisation, indépendamment de la régularisation ultérieure de la situation.

II. La confirmation de l’annulation pour vice de procédure : une réaffirmation du principe du contradictoire

Sur le fond, l’arrêt confirme l’analyse du premier juge en rappelant la portée de l’obligation de communication qui pèse sur l’inspecteur du travail (A), avant d’en sanctionner rigoureusement le manquement en l’espèce (B).

A. Le rappel de l’obligation de communication des éléments déterminants recueillis par l’inspecteur du travail

La cour énonce avec clarté la règle applicable en matière d’enquête administrative préalable à l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé. Elle vise le caractère contradictoire de l’enquête qui impose à l’autorité administrative de « mettre à même l’employeur et le salarié de prendre connaissance de l’ensemble des éléments déterminants qu’il a pu recueillir ». Ce principe fondamental des droits de la défense trouve une limite dans la protection des témoins. En effet, lorsque la communication de certains éléments, tels que des témoignages, « serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués », l’inspecteur du travail peut déroger à la communication intégrale. Toutefois, cette exception ne le dispense pas de toute information. Il doit alors informer les parties, « de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur ». La cour rappelle ainsi l’équilibre nécessaire entre la protection des sources et le respect du contradictoire.

B. La sanction du manquement à l’exigence du contradictoire en l’espèce

Appliquant ce principe aux faits, la cour relève que l’inspecteur du travail s’est fondé sur des témoignages recueillis auprès de collègues de la salariée. Ces auditions ont permis de confirmer « la matérialité des faits reprochés à l’intéressée » ainsi que « l’existence d’une situation de souffrance au travail ». Le juge qualifie ces éléments de « déterminants ». Dès lors, l’inspecteur du travail se devait de les porter à la connaissance de la salariée ou, à tout le moins, de l’informer de leur substance. L’absence de toute communication sur ce point a vicié la procédure. La circonstance que la salariée ait pu par ailleurs présenter des observations orales est jugée inopérante. La décision est donc intervenue au terme d’une procédure irrégulière, justifiant son annulation. Cet arrêt réaffirme avec force que le respect des droits de la défense constitue une garantie substantielle pour le salarié protégé, dont la violation entraîne nécessairement l’illégalité de l’autorisation administrative.

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Hassan KOHEN
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