La Cour administrative d’appel de Versailles, par une décision rendue le 26 mai 2025, apporte d’utiles précisions sur l’exercice des droits de la défense par le débiteur solidaire. Un ancien co-gérant d’une société à responsabilité limitée fut déclaré solidairement tenu au paiement de rappels de taxe sur la valeur ajoutée après une condamnation pénale définitive. La Cour d’appel d’Orléans, dans son arrêt du 28 juin 2017, avait retenu cette solidarité de paiement sur le fondement de l’article 1745 du code général des impôts. Le requérant a contesté devant la juridiction administrative la régularité ainsi que le bien-fondé des impositions mises à la charge de la personne morale liquidée. Le tribunal administratif d’Orléans ayant rejeté sa demande le 10 février 2023, l’intéressé interjeta appel afin d’obtenir la décharge de son obligation de paiement. La proposition de rectification était selon lui insuffisamment motivée concernant les traitements informatiques réalisés par l’administration fiscale lors de la vérification de comptabilité. Le litige portait sur la validité de la méthode de reconstitution des recettes pratiquée par les services vérificateurs en l’absence de rejet de la comptabilité présentée. La juridiction d’appel devait déterminer si l’administration avait respecté ses obligations formelles et si les modalités de calcul des rappels de taxe étaient suffisamment précises. La Cour confirme le jugement de première instance car la motivation des rehaussements permettait au contribuable de formuler ses observations de manière efficace. Elle valide le recours à des tests de cohérence basés sur les soldes des comptes de produits et de tiers pour établir l’insuffisance des déclarations.
I. La régularité de la procédure de rectification contradictoire
A. L’étendue de l’obligation de motivation en matière de traitements informatiques
L’administration fiscale est tenue d’adresser au contribuable une proposition de rectification motivée afin de lui permettre de présenter ses observations ou de faire connaître son acceptation. Lorsque la vérification porte sur une comptabilité informatisée, le livre des procédures fiscales impose des obligations spécifiques quant à la description des investigations électroniques menées par le service. La Cour administrative d’appel de Versailles rappelle que l’administration doit préciser « les fichiers utilisés, la nature des traitements qu’elle a effectués sur ces fichiers ». Cette exigence formelle vise à garantir la transparence de la procédure de contrôle sans imposer une divulgation exhaustive des outils techniques employés par les vérificateurs. Les juges soulignent que le service n’est pas contraint de communiquer « les algorithmes, logiciels ou matériels qu’elle a utilisés ou envisage de mettre en œuvre ». Cette distinction entre le résultat du traitement et l’outil technique préserve l’équilibre entre les prérogatives de puissance publique et les garanties offertes aux administrés. La motivation est jugée suffisante dès lors que les bases d’imposition et les motifs des rehaussements apparaissent clairement dans l’acte de procédure.
B. La protection effective des droits du débiteur solidaire
Le débiteur solidaire jouit d’une autonomie procédurale lui permettant de critiquer la régularité de la procédure suivie à l’encontre du redevable principal de l’impôt fraudé. Bien qu’il ne puisse remettre en cause le principe de la solidarité scellé par le juge pénal, il est recevable à invoquer tout vice affectant l’établissement de la dette. Le requérant arguait d’une insuffisance de précision quant aux corrections effectuées sur les chiffres d’affaires, déplorant l’absence d’indication sur le sens des variations constatées. La Cour rejette cette argumentation en relevant que la proposition de rectification détaillait l’ensemble des comptes du plan comptable pris en considération pour le calcul de la taxe. L’annexe fournie permettait d’identifier les soldes avant retraitement et les modalités de prise en compte des comptes de tiers pour aboutir au montant final. Les juges d’appel considèrent que ces éléments mettaient le contribuable en mesure de discuter utilement le bien-fondé des rappels notifiés à la société. Le respect de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales est ainsi strictement contrôlé au regard de la capacité de compréhension laissée au destinataire de l’acte.
II. Le bien-fondé de la méthode de reconstitution des recettes
A. L’encadrement du recours aux méthodes d’évaluation par l’administration
La preuve de l’insuffisance des déclarations incombe à l’administration fiscale lorsque la comptabilité du contribuable n’a pas été écartée comme étant dépourvue de valeur probante. En présence d’une comptabilité régulière, le service ne peut substituer aux écritures comptabilisées une méthode d’évaluation dont les résultats seraient moins précis que les documents officiels. La Cour administrative d’appel de Versailles affirme qu’il est « loisible de procéder à des tests de cohérence des déclarations de taxe sur la valeur ajoutée ». Cette faculté permet aux vérificateurs de vérifier la véracité des encaissements déclarés sans pour autant engager une procédure de rectification d’office. La méthode employée doit néanmoins rester exempte de tout caractère radicalement vicié ou excessivement sommaire pour fonder valablement des impositions supplémentaires. Le juge administratif exerce ici un contrôle attentif sur la pertinence des instruments de mesure utilisés pour révéler d’éventuelles dissimulations de recettes imposables.
B. La preuve de l’insuffisance des encaissements par des tests de cohérence
Le litige se cristallisait sur la méthode de reconstitution consistant à rapprocher le chiffre d’affaires déclaré de celui comptabilisé après correction des variations des comptes clients. Le requérant soutenait que ce procédé était intrinsèquement imprécis faute de procéder à un pointage exhaustif des encaissements effectifs réalisés par l’entreprise. La Cour écarte ce grief en constatant que le vérificateur s’est appuyé sur les soldes des comptes de produits, de tiers et sur la variation des avances reçues. Elle juge que l’administration « apporte ainsi la preuve de l’insuffisance des encaissements comptabilisés par la société au titre des prestations de service réalisées ». En validant ce rapprochement comptable, les juges confirment que la preuve peut être rapportée par un faisceau d’indices concordants issus des propres écritures du redevable. La solution retenue souligne l’efficacité des tests de cohérence comme mode de preuve de la fraude en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Le rejet de la requête consacre la validité d’une démarche administrative alliant rigueur comptable et analyse des flux financiers réels.