Par un arrêt rendu le 27 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes précise la notion de harcèlement moral dans la fonction publique. Un agent estimait subir des agissements répétés portant atteinte à sa dignité à la suite d’une altercation verbale avec sa hiérarchie directe. Saisi d’une demande indemnitaire, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté ses prétentions par un jugement rendu le 2 mai 2023. Le requérant a interjeté appel de cette décision en invoquant des dénigrements constants et une volonté manifeste de l’isoler de ses collègues. La juridiction d’appel devait déterminer si l’attitude de la direction constituait une faute, malgré certains manquements professionnels imputables à l’agent concerné. La Cour examine d’abord les mesures de gestion fondées sur l’intérêt du service avant d’identifier des comportements excédant le pouvoir hiérarchique normal.
I. La distinction entre l’exercice légitime du pouvoir hiérarchique et les agissements fautifs
A. L’exclusion des mesures de gestion justifiées par l’intérêt du service
L’administration peut prendre des mesures de gestion fondées sur la manière de servir sans que celles-ci ne caractérisent nécessairement un harcèlement fautif. La Cour relève que le retrait des fonctions de responsable était motivé par le « traitement tardif et peu scrupuleux » d’un dossier administratif. Ce retrait de responsabilités n’est pas constitutif de harcèlement dès lors qu’il reste justifié par une « manière de servir inadéquate ». Les juges rappellent ainsi qu’une simple diminution des attributions répondant à l’intérêt du service ne saurait être sanctionnée sur ce fondement juridique.
B. L’insuffisance d’un incident isolé pour caractériser une situation de harcèlement
L’altercation verbale survenue en novembre 2017 ne suffisait pas à établir une répétition d’agissements malveillants envers le subordonné de l’établissement. Ces faits présentaient un « caractère isolé » et la direction avait pris des mesures rapides pour apaiser les tensions au sein du service. Le juge administratif considère que des propos agressifs ne sauraient qualifier une situation de harcèlement s’ils ne s’inscrivent pas dans la durée. Cette approche permet de distinguer les conflits personnels ponctuels des dérives structurelles portant atteinte à la santé mentale des agents publics.
II. La reconnaissance du harcèlement moral par la preuve du dénigrement et de l’isolement
A. Le dépassement manifeste du cadre normal des relations professionnelles par la direction
Le comportement du directeur a excédé les limites de ses prérogatives par une volonté manifeste d’isoler l’agent de son environnement professionnel habituel. La Cour retient des témoignages indiquant que le chef de service a demandé au personnel de « ne plus adresser la parole » au requérant. L’autorité hiérarchique a également tenu des propos hostiles dans des courriers officiels, qualifiant le subordonné de « malhonnête, menteur et manipulateur ». Ces agissements ont eu pour effet de renverser les rôles en présentant indûment la victime comme l’agresseur au sein de l’organisation.
B. La condamnation de l’établissement à la réparation intégrale du préjudice moral
La qualification de harcèlement moral emporte l’obligation pour l’établissement public de réparer l’intégralité du préjudice moral subi par le fonctionnaire lésé. La juridiction d’appel annule le jugement de première instance et accorde une indemnité de trois mille euros en réparation de la faute commise. Cette solution souligne que l’existence de reproches professionnels légitimes ne dispense jamais l’administration de respecter la dignité intrinsèque de ses collaborateurs. La protection des agents contre les dérives hiérarchiques demeure un principe fondamental pour garantir la sérénité du service public administratif.