Cour d’appel administrative de Versailles, le 28 janvier 2025, n°23VE02882

Par un arrêt en date du 28 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Versailles a précisé les modalités de remboursement des frais de transport des élèves en situation de handicap. En l’espèce, la mère d’une enfant handicapée avait sollicité la prise en charge des frais engagés pour le transport de sa fille entre son domicile et son établissement scolaire. L’autorité organisatrice des transports franciliens avait accepté ce remboursement, mais sur la base d’un kilométrage jugé insuffisant par la requérante, car il correspondait au trajet le plus court en distance et non au trajet réellement emprunté, plus long mais plus rapide. Face au refus de l’administration de réviser ce calcul, la requérante a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Par un jugement du 17 novembre 2022, une magistrate statuant seule a rejeté sa demande. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement. Se posaient alors deux questions de droit aux juges d’appel. D’une part, un litige relatif au remboursement des frais de transport d’un élève handicapé relève-t-il de la compétence du juge unique au titre des contentieux de l’aide sociale ? D’autre part, la notion de « trajet le plus direct » prévue par la réglementation applicable doit-elle s’entendre comme le trajet le plus court en distance ou comme l’itinéraire le plus rationnel en conditions normales de circulation ? La cour administrative d’appel a d’abord jugé que le litige n’entrait pas dans le champ des contentieux sociaux pouvant être jugés par un magistrat unique, annulant par conséquent le jugement pour irrégularité. Évoquant l’affaire, elle a ensuite jugé que la notion de trajet le plus direct ne se réduit pas à la distance la plus courte mais correspond à un itinéraire normalement suivi, incluant l’usage de voies rapides permettant de limiter le temps de parcours. Elle a donc annulé la décision de l’autorité de transport. L’arrêt présente un double intérêt, tenant d’abord à la censure procédurale qu’il opère (I), puis à la solution pragmatique qu’il retient sur le fond du droit (II).

I. La clarification de la compétence contentieuse

La cour administrative d’appel a d’abord annulé le jugement de première instance pour un motif de pure procédure, réaffirmant ainsi une conception stricte des exceptions à la collégialité (A), avant de statuer elle-même sur le fond du litige (B).

A. L’exclusion du transport scolaire spécialisé du champ de l’aide sociale

La cour rappelle que selon l’article R. 222-13 du code de justice administrative, un magistrat peut statuer seul sur les « litiges relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale ». Toutefois, elle juge que le remboursement des frais de transport des élèves handicapés, bien qu’il présente une dimension sociale évidente, ne constitue pas une prestation d’aide sociale au sens de ces dispositions. Ce remboursement trouve son fondement dans le code des transports, qui organise un droit à la prise en charge pour assurer l’accès à l’éducation. En opérant cette distinction, la cour refuse une interprétation extensive de la compétence du juge unique. Elle estime que cette compétence dérogatoire doit être strictement cantonnée aux dispositifs explicitement qualifiés d’aide sociale par la loi. La solution garantit que des litiges techniques, impliquant l’interprétation de réglementations spécifiques comme en l’espèce, bénéficient de l’examen d’une formation collégiale.

B. La réaffirmation du principe de collégialité

En jugeant que la magistrate désignée était incompétente pour statuer seule, la cour administrative d’appel consacre la prééminence du principe de collégialité. Ce principe est une garantie fondamentale pour le justiciable, assurant une délibération à plusieurs et une confrontation des points de vue. Le recours au juge unique demeure l’exception et ne saurait être étendu par analogie à des contentieux qui ne lui sont pas expressément attribués. L’irrégularité de la composition de la formation de jugement est un vice substantiel qui justifie l’annulation de la décision, sans même qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés par la requérante. Usant de son pouvoir d’évocation, la cour a ensuite choisi de ne pas renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif et de régler immédiatement le litige au fond, dans un souci de bonne administration de la justice.

II. L’interprétation finaliste des modalités de remboursement

Sur le fond, la cour administrative d’appel adopte une définition concrète et réaliste de la notion de « trajet le plus direct », rejetant une approche purement mathématique (A) pour consacrer une appréciation pragmatique des conditions de transport (B).

A. Le rejet d’une définition purement quantitative du trajet

Le règlement régional applicable prévoyait que le remboursement se fonde sur « le trajet le plus direct ». L’autorité de transport avait interprété cette notion comme le trajet le plus court en kilomètres, en se basant sur un outil de calcul d’itinéraire. La cour censure ce raisonnement en jugeant que le caractère direct d’un trajet ne peut se résumer à sa seule distance. Elle précise qu’en l’absence de définition réglementaire, il convient de se référer à la finalité des dispositions, qui est d’assurer la gratuité effective du transport rendu nécessaire par le handicap. Dès lors, le trajet le plus direct doit s’entendre comme « l’itinéraire normalement attendu, dans les conditions habituelles de circulation, sans détour, entre le domicile et le lieu de scolarisation ». Cette formule intègre une dimension qualitative et contextuelle, bien plus adaptée à la réalité des déplacements.

B. La consécration d’un itinéraire rationnel en temps et en confort

En retenant une telle définition, la cour valide l’idée qu’un trajet empruntant des voies rapides, même s’il est plus long en distance, peut être considéré comme le plus direct s’il permet de limiter le temps de parcours et d’éviter les difficultés de circulation. Cette solution est empreinte de bon sens. Elle reconnaît que pour un enfant en situation de handicap, la durée et les conditions du transport sont des éléments essentiels qui ne peuvent être ignorés. L’administration ne peut donc se contenter d’une vérification abstraite par un logiciel, mais doit prendre en compte les contraintes réelles du trajet effectué par la famille. En jugeant que le refus de l’administration était entaché d’une erreur de droit, la cour confère une portée significative à sa décision. Elle impose pour l’avenir une méthode de calcul qui tienne compte non seulement de la distance, mais aussi de la rationalité de l’itinéraire, assurant ainsi une meilleure effectivité du droit au remboursement des frais de transport.

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Hassan KOHEN
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