Cour d’appel administrative de Versailles, le 28 janvier 2025, n°24VE00209

En l’espèce, une décision rendue par une cour administrative d’appel le 28 janvier 2025 vient préciser les contours du contrôle juridictionnel sur les refus d’admission exceptionnelle au séjour. Une ressortissante étrangère, entrée régulièrement sur le territoire national en 2018, s’est vu refuser la délivrance d’un titre de séjour par une décision préfectorale en date du 21 juillet 2023. Cette décision était assortie d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. L’intéressée avait fondé sa demande sur sa situation personnelle, arguant notamment de la présence en France de ses deux fils majeurs et de son état de santé qui, en raison d’une cécité complète et d’une pathologie lourde, nécessitait selon elle l’accompagnement quotidien de son fils cadet avec lequel elle déclarait vivre. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande par un jugement du 29 décembre 2023. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’arrêté préfectoral était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation de sa situation. Le problème de droit soumis aux juges d’appel consistait donc à déterminer si le préfet avait commis une telle erreur en refusant l’octroi d’un titre de séjour malgré les liens familiaux et la vulnérabilité sanitaire invoqués par la requérante. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que les allégations de l’appelante n’étaient pas suffisamment étayées par les pièces du dossier pour établir la réalité de la vie commune avec son fils et le caractère indispensable de son assistance. Par conséquent, l’appréciation du préfet n’était pas jugée manifestement erronée.

Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif examine les éléments factuels pour contrôler la légalité d’un refus de séjour (I), tout en confirmant le caractère restreint de son contrôle en matière d’admission exceptionnelle (II).

I. Une appréciation conditionnée par l’administration de la preuve

Le rejet de la requête repose sur une analyse stricte des justifications fournies par l’administrée, tant en ce qui concerne la réalité de ses liens familiaux (A) que la pertinence des faits postérieurs à la décision attaquée (B).

A. L’exigence d’une preuve matérielle de la vie privée et familiale

La cour subordonne la reconnaissance d’une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale à la démonstration effective des faits allégués. La requérante soutenait que son état de santé justifiait la présence constante de son fils, avec lequel elle prétendait résider. Toutefois, les juges relèvent une divergence entre ses déclarations et les justificatifs produits, qui attestaient d’un hébergement chez un tiers. Cette contradiction factuelle conduit la cour à conclure qu’« il ne ressort des pièces du dossier ni qu’elle vivait habituellement, à la date de l’arrêté contesté, avec son fils, ni que son état de santé nécessitait la présence quotidienne de celui-ci auprès d’elle ». Ce faisant, l’arrêt rappelle que la charge de la preuve incombe entièrement à la demanderesse. Les simples déclarations, même relatives à des situations de grande vulnérabilité, sont insuffisantes si elles ne sont pas corroborées par des éléments matériels probants. L’appréciation du préfet ne peut donc être qualifiée d’erronée dès lors qu’elle se fonde sur une carence probatoire de la part de l’intéressée.

B. La neutralisation des faits postérieurs à l’acte administratif

L’arrêt applique avec orthodoxie le principe selon lequel la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de son édiction. La requérante avait fait valoir la conclusion d’un pacte civil de solidarité avec un ressortissant français, intervenue plusieurs mois après l’arrêté préfectoral. La cour écarte cet argument en le jugeant inopérant. Elle énonce ainsi que « la circonstance que Mme A… ait conclu, le 30 octobre 2023, soit postérieurement à l’arrêté contesté, un pacte civil de solidarité (…) est sans incidence sur la légalité de cet arrêté ». Cette position, constante en contentieux administratif, vise à empêcher que la légalité d’une décision soit remise en cause par des éléments que l’autorité administrative ne pouvait connaître au moment où elle a statué. La cour prend d’ailleurs soin de noter que l’intéressée avait elle-même indiqué ne pas vivre avec son nouveau partenaire, ce qui affaiblissait au demeurant la portée de ce lien sur sa situation personnelle.

Après avoir ainsi validé l’analyse factuelle du préfet, la cour confirme la portée limitée de son contrôle sur l’opportunité de la décision.

II. L’illustration de la portée restreinte du contrôle juridictionnel

Cette décision est caractéristique du contrôle restreint que le juge exerce sur l’appréciation de l’administration en matière d’admission exceptionnelle au séjour (A), ce qui en fait une décision d’espèce dont la portée doit être nuancée (B).

A. Le contrôle de l’erreur manifeste comme garantie d’un pouvoir discrétionnaire

L’admission au séjour au titre de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile constitue une faculté pour l’autorité préfectorale, et non un droit pour le demandeur. Le juge administratif ne contrôle donc pas l’opportunité de la décision, mais se limite à sanctionner l’erreur manifeste d’appréciation. Ce contrôle restreint implique que seule une appréciation des faits qui serait déraisonnable, grossièrement erronée ou hors de proportion avec la situation examinée peut entraîner l’annulation de l’acte. En l’espèce, en l’absence de preuves suffisantes de l’intensité des liens familiaux et de la dépendance sanitaire, la décision du préfet de refuser le titre de séjour n’apparaissait pas comme une solution aberrante. Elle constituait une des issues possibles dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation. En rejetant la requête, la cour confirme que, lorsque les faits ne sont pas établis avec certitude, le choix de l’administration ne saurait être qualifié de manifestement erroné.

B. Une solution d’espèce dictée par les carences du dossier

La portée de cet arrêt doit être appréciée avec mesure, car il s’agit avant tout d’une décision d’espèce. La solution retenue est entièrement déterminée par les circonstances factuelles et, plus précisément, par l’incapacité de la requérante à fournir des preuves concluantes pour étayer ses allégations. L’arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni ne fixe un principe nouveau en matière de droit des étrangers. Il se contente d’appliquer une méthodologie de contrôle bien établie à une situation particulière. Néanmoins, il met en lumière la situation de précarité dans laquelle se trouvent les personnes qui, bien que pouvant invoquer une situation humaine digne d’intérêt, échouent à la traduire en arguments juridiques et factuels solides aux yeux de l’administration et du juge. La décision rappelle implicitement que la construction rigoureuse d’un dossier de demande de titre de séjour est une condition déterminante pour espérer obtenir la régularisation d’une situation administrative.

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Hassan KOHEN
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