Par un arrêt en date du 28 mai 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle à un agent public. En l’espèce, un sapeur-pompier professionnel avait sollicité de son employeur le bénéfice de cette protection après avoir été accusé d’agression sexuelle par une collègue, laquelle était par la suite revenue sur ses déclarations en admettant le caractère consenti de leurs rapports. Les faits s’étaient déroulés de nuit au sein de la caserne, à la suite d’un évènement festif privé. L’agent, s’estimant victime d’une dénonciation calomnieuse, avait déposé plainte et demandé la prise en charge de ses frais de procédure.
La demande de protection fonctionnelle avait fait l’objet d’une décision implicite de rejet de la part du service départemental d’incendie et de secours. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait annulé ce refus et enjoint à l’administration d’accorder la protection sollicitée, retenant l’existence d’un lien entre les faits et les fonctions. L’employeur public a interjeté appel de ce jugement, soutenant que les faits à l’origine du litige se détachaient entièrement du service. Se posait alors la question de savoir si la protection fonctionnelle doit être accordée à un agent pour des faits survenus sur le lieu de travail mais dépourvus de tout lien direct avec l’accomplissement de ses missions. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, infirmant le jugement de première instance et validant le refus de protection opposé par l’administration. Elle a considéré que les circonstances de l’espèce, tenant à une soirée privée, ne permettaient pas de rattacher l’attaque subie par l’agent à ses fonctions.
La solution retenue par les juges d’appel s’inscrit dans une application stricte des conditions d’octroi de la protection fonctionnelle (I), dont l’appréciation factuelle révèle la complexité des situations nées de la vie en commun sur le lieu de travail (II).
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I. La réaffirmation d’une condition stricte de lien avec le service
La cour rappelle que la protection fonctionnelle est subordonnée à l’existence d’une attaque présentant un lien direct avec les fonctions de l’agent (A), ce qui la conduit à écarter sa mise en œuvre pour des faits relevant de la sphère purement personnelle malgré leur localisation matérielle (B).
A. L’exigence d’une attaque dirigée contre l’agent en sa qualité de fonctionnaire
L’obligation de protection de l’administration envers ses agents, prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, vise à garantir ces derniers contre les attaques qu’ils subissent à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. La jurisprudence subordonne de longue date son octroi à la démonstration d’un lien de causalité entre l’agression et les missions de service public de la victime. En l’espèce, la cour administrative d’appel s’assure que cette condition est remplie avant de se prononcer sur le bien-fondé du refus de l’employeur. Elle relève que la protection « n’est due, cependant, que lorsque les agissements concernés visent l’agent concerné à raison de sa qualité d’agent public ».
Le raisonnement des juges consiste à rechercher si l’accusation portée contre le sapeur-pompier était motivée par sa qualité professionnelle. L’arrêt souligne à cet égard qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier que cette dénonciation résultait d’une volonté de lui porter atteinte en sa qualité de sapeur-pompier ». Faute de pouvoir établir une telle intention, le lien avec le service ne pouvait être caractérisé, quand bien même l’affaire aurait eu des répercussions sur la carrière de l’intéressé. Cette analyse rigoureuse confirme une orthodoxie jurisprudentielle qui refuse d’étendre le champ de la protection à des litiges d’ordre privé n’ayant qu’un rapport fortuit avec les fonctions.
B. La dissociation des faits de l’exercice des fonctions malgré leur survenance sur le lieu de travail
L’originalité de l’affaire tenait à ce que les faits litigieux s’étaient déroulés au sein même de la caserne, lieu de travail et parfois de vie des sapeurs-pompiers. Le tribunal administratif avait vu dans cette circonstance un élément suffisant pour rattacher la situation au service. La cour administrative d’appel adopte cependant une démarche plus fine en dissociant le lieu du service de l’exercice même des fonctions. Elle prend soin de préciser que les événements « n’ont pas eu lieu à l’occasion de l’exercice de ses fonctions par l’intéressé mais de nuit, à la suite d’une soirée privée ».
Cette distinction est déterminante. Elle signifie que la seule survenance d’un fait dans les locaux administratifs est insuffisante à elle seule pour enclencher l’obligation de protection. La cour écarte par ailleurs l’argument de l’agent selon lequel la dénonciation visait à l’évincer du service, qualifiant cette allégation de non corroborée par les pièces du dossier. Elle retient plutôt que la dénonciation initiale s’expliquait par un « souci de transparence vis-à-vis de la hiérarchie ». En procédant à cette appréciation souveraine des faits, la cour opère une distinction nette entre le cadre professionnel et les relations interpersonnelles qui s’y nouent en dehors de toute mission de service public, privant ainsi l’agent du bénéfice de la protection.
II. La portée d’une solution classique face à la complexité des situations de vie au travail
Cette décision, conforme à une lecture stricte des textes, a le mérite de préserver la nature de la protection fonctionnelle (A), mais elle illustre également les limites d’une approche rigoureuse face à des situations où sphères privée et professionnelle s’entremêlent (B).
A. Une orthodoxie juridique protectrice des deniers publics
En refusant d’accorder la protection fonctionnelle pour des faits issus d’une soirée privée et alcoolisée, la cour administrative d’appel préserve la finalité de ce dispositif. La protection fonctionnelle n’a pas vocation à devenir une assurance tous risques pour les agents publics, couvrant l’ensemble des difficultés personnelles qu’ils pourraient rencontrer. Elle a pour objet exclusif de les prémunir contre les risques inhérents à l’exercice de leurs missions d’intérêt général. Une solution contraire aurait ouvert la voie à une extension potentiellement illimitée de l’obligation de l’employeur public, l’exposant à devoir prendre en charge les conséquences de différends privés au seul motif qu’ils impliquent ses agents.
La décision commentée s’inscrit donc dans une logique de bonne gestion des deniers publics. L’octroi de la protection fonctionnelle représentant un coût pour la collectivité, son périmètre doit être précisément délimité. En exigeant un lien direct et certain avec le service, le juge administratif s’assure que seuls les préjudices véritablement liés à l’action administrative sont réparés par la solidarité collective. Cette solution, bien que sévère pour l’agent concerné, apparaît donc juridiquement fondée et cohérente avec les principes qui gouvernent le droit de la fonction publique. Elle réaffirme que la faute personnelle de l’agent, même en dehors du service, peut faire obstacle à la protection lorsque le litige qui en découle est dépourvu de lien avec ses fonctions.
B. Les limites d’une approche factuelle rigoureuse
Si la solution est juridiquement orthodoxe, sa mise en œuvre révèle la difficulté d’apprécier la frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle dans certains contextes. Le métier de sapeur-pompier, rythmé par des gardes et une vie en communauté au sein de la caserne, se prête particulièrement à une confusion des sphères privée et publique. Dans un tel environnement, des relations personnelles se nouent et des conflits peuvent émerger, dont il est parfois difficile de déterminer s’ils sont ou non détachables du service.
L’arrêt constitue une décision d’espèce, fortement dépendante de l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond. La cour a estimé que les allégations de l’agent sur les motivations de la dénonciation n’étaient pas suffisamment étayées. Il est permis de penser qu’une preuve plus tangible d’une manœuvre destinée à nuire à sa carrière aurait pu infléchir la solution. Cette décision souligne ainsi le poids de la charge de la preuve qui pèse sur l’agent demandeur. En définitive, si l’arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence, il illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif examine le lien avec le service, quitte à laisser l’agent sans protection face à des situations nées dans le cadre de son environnement professionnel.