L’imposition des revenus tirés d’activités illicites, et plus spécifiquement du trafic de stupéfiants, constitue un enjeu majeur pour les finances publiques, confrontant l’administration à la difficulté d’appréhender une matière par nature occulte. Par un arrêt en date du 29 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles a eu à se prononcer sur la légalité d’un redressement fiscal fondé sur la présomption de revenus établie par l’article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts. En l’espèce, à la suite de la découverte d’une quantité importante de résine de cannabis dont un individu avait reconnu être le détenteur, l’administration fiscale avait procédé à une rectification de son impôt sur le revenu, en y intégrant une somme correspondant à la valeur vénale des produits saisis. Le contribuable avait contesté cette imposition devant le tribunal administratif de Versailles, qui avait rejeté sa demande. Saisi en appel, le requérant soutenait notamment que la procédure de rectification était irrégulière, que le dispositif légal de présomption de revenus violait la présomption d’innocence et le droit de propriété garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et que l’évaluation de la marchandise était excessive. La question de droit soumise à la cour portait donc sur la conformité de ce mécanisme de taxation, tant dans son principe que dans ses modalités d’application, aux exigences procédurales et aux droits fondamentaux. La Cour administrative d’appel de Versailles rejette l’ensemble des moyens du requérant, validant ainsi la procédure de redressement. Elle juge que la présomption de revenus, étant simple et non irréfragable, ne méconnaît pas la présomption d’innocence. De plus, elle confirme que l’imposition de revenus illicites répond à un objectif d’intérêt général et ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Enfin, la cour précise la nature de la valeur vénale à retenir et la charge de la preuve pesant sur le contribuable qui en conteste le montant.
La décision de la cour permet ainsi de réaffirmer la conventionalité du dispositif fiscal de taxation des revenus illicites (I), tout en apportant une clarification pragmatique sur les modalités d’évaluation de l’assiette imposable (II).
I. La validation de la présomption de revenu tiré d’une activité illicite au regard des droits fondamentaux
La cour examine la compatibilité du mécanisme de l’article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts avec les garanties offertes par la Convention européenne des droits de l’homme. Elle conclut à la conformité du dispositif en écartant le grief tiré d’une atteinte à la présomption d’innocence (A) et en rejetant l’argument fondé sur une prétendue violation du droit de propriété (B).
A. La conventionalité de la présomption réfragable de revenu
Le requérant soutenait que la présomption de revenus sur laquelle repose l’imposition relevait de la matière pénale et portait atteinte à la présomption d’innocence. La cour écarte ce raisonnement en soulignant la nature réfragable de la présomption fiscale. Elle juge que le dispositif, « à supposer même qu’il puisse être regardé comme instituant une sanction », ne viole pas les droits de la défense dès lors que la présomption « peut être combattue par ces contribuables ». Le mécanisme de l’article 1649 quater-0 B bis n’établit pas une culpabilité pénale mais une simple présomption de fait en matière fiscale, que le contribuable peut renverser par tout moyen. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui admet la validité des présomptions en droit fiscal, à la condition qu’elles ne soient pas irréfragables et qu’elles ménagent un juste équilibre entre les prérogatives de la puissance publique et les droits des contribuables. La cour réaffirme ainsi que le droit à un procès équitable n’interdit pas le recours à des présomptions, pourvu que celles-ci soient raisonnables et permettent au défendeur d’apporter la preuve contraire.
B. Le rejet de la violation du droit de propriété
Le contribuable arguait également d’une atteinte à son droit de propriété, tel que garanti par l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention précitée. La cour rejette ce moyen en se fondant sur les termes mêmes de cette stipulation. Elle rappelle que les États disposent du « droit de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ». Or, l’imposition des revenus issus d’activités délictuelles, comme le trafic de stupéfiants, participe manifestement d’un objectif d’intérêt général visant à lutter contre l’économie souterraine. De surcroît, la cour observe que le simple fait d’appliquer le barème de l’impôt sur le revenu à cette base imposable ne saurait être considéré comme une mesure confiscatoire. Cette analyse consacre une conception large de la marge d’appréciation des États en matière fiscale, conformément à l’interprétation établie de la convention, qui reconnaît la légitimité pour les autorités nationales de prendre les mesures nécessaires pour assurer le recouvrement de l’impôt.
Après avoir confirmé la validité de principe du dispositif de taxation, la cour se penche sur ses modalités concrètes de mise en œuvre, et plus particulièrement sur la méthode d’évaluation de la base d’imposition.
II. Les modalités d’application de la présomption : une interprétation pragmatique de la valeur vénale
La seconde partie de l’argumentation du requérant portait sur le caractère prétendument vicié et excessif de l’évaluation retenue par l’administration. La réponse de la cour apporte une précision essentielle sur la notion de valeur vénale dans ce contexte spécifique (A) avant de statuer sur le montant même de l’évaluation (B).
A. La clarification de la notion de valeur vénale comme coût d’acquisition
Face au moyen du contribuable qui reprochait à l’administration de ne pas avoir déduit le prix d’acquisition de la marchandise pour calculer le revenu imposable, la cour opère une clarification déterminante. Elle énonce que, dans le cadre de l’article 1649 quater-0 B bis, « la valeur vénale, au sens de ces dispositions, est celle à laquelle le contribuable est présumé avoir acquis les biens illicites et non celle à laquelle il est susceptible de les céder ». En d’autres termes, le revenu présumé n’est pas un bénéfice commercial, mais le capital dont le contribuable a dû disposer pour financer l’acquisition des stupéfiants. Cette interprétation neutralise l’argument du requérant, puisque la valeur retenue par l’administration correspond précisément au coût d’acquisition présumé. Cette approche a le mérite d’offrir une méthode d’évaluation claire et objective, évitant à l’administration de se livrer à des reconstitutions de marge bénéficiaire aléatoires sur un marché illégal. La solution est à la fois pragmatique et juridiquement fondée, car elle ancre la présomption dans un flux financier supposé : la dépense initiale.
B. L’appréciation souveraine des juges du fond sur l’évaluation du montant
Le requérant contestait enfin le prix unitaire retenu par les services fiscaux, le jugeant irréaliste au regard de la quantité saisie. La cour écarte cet argument en relevant que l’intéressé « n’apporte aucun élément de nature à établir que la résine de cannabis saisie proviendrait d’un grossiste ». Elle constate que l’administration s’est fondée sur une étude de la police judiciaire et a retenu un prix de semi-gros, tenant compte du conditionnement de la marchandise. Le prix appliqué restait d’ailleurs inférieur au prix de vente au détail. Ce faisant, la cour rappelle un principe fondamental de la charge de la preuve en contentieux fiscal : il appartient au contribuable qui conteste une évaluation de fournir des éléments probants de nature à remettre en cause les chiffres de l’administration, dès lors que ceux-ci reposent sur une méthode cohérente et non arbitraire. Faute de preuve contraire, l’évaluation de l’administration est maintenue. Cette partie de l’arrêt relève de l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond, mais elle illustre la rigueur attendue du contribuable dans l’administration de la preuve.