Cour d’appel administrative de Versailles, le 3 avril 2025, n°22VE02304

Un agent public, directeur adjoint du travail, a exercé des fonctions de responsable d’unité de contrôle du 1er juillet 2015 au 30 juin 2017. Estimant que le classement de son poste en vue du calcul de son indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) était erroné pour les années 2016 et 2017, il a saisi l’administration de recours gracieux puis hiérarchique, lesquels ont été implicitement rejetés. L’agent a alors demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’annuler la décision fixant le montant de son IFSE. Par un jugement du 2 août 2022, le tribunal a rejeté sa demande relative à cette indemnité. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que son poste aurait dû être classé dans un groupe supérieur ouvrant droit à une indemnité plus élevée. Il se prévalait notamment d’une instruction administrative postérieure à la période litigieuse mais dont l’application était prévue à compter du 1er janvier 2017. Se posait alors la question de savoir à quelles conditions et à compter de quelle date un agent public peut se prévaloir d’une instruction administrative classifiant son poste dans un groupe de fonctions supérieur pour le calcul de son indemnité. Par sa décision, la cour administrative d’appel juge que l’instruction, bien que publiée en 2018, était applicable à compter du 1er janvier 2017, date d’effet qu’elle fixait elle-même. En conséquence, la cour annule la décision fixant l’IFSE de l’agent pour la période du 1er janvier au 30 juin 2017, mais rejette ses prétentions pour l’année 2016, l’instruction n’ayant pas d’effet rétroactif sur cette période.

La solution retenue par la cour administrative d’appel s’inscrit dans un cadre juridique précis qu’elle prend soin de rappeler (I), avant de procéder à une application différenciée dans le temps de la norme pertinente pour la revalorisation de l’indemnité (II).

I. Le rappel du cadre juridique de la détermination de l’IFSE

La cour examine en premier lieu les moyens de légalité externe soulevés par le requérant, confirmant les règles de forme applicables à la fixation de l’indemnité (A). Elle écarte ensuite les arguments de fond relatifs à la période de 2016 en soulignant l’absence de portée normative des documents invoqués (B).

A. La confirmation des règles de forme gouvernant la fixation de l’indemnité

Le requérant soutenait que la décision fixant son IFSE était illégale en raison de plusieurs vices de forme. La cour rejette systématiquement ces arguments, rappelant avec pragmatisme les obligations de l’administration en la matière. Elle juge notamment que la seule circonstance que la décision ait été révélée par les bulletins de paie de l’agent « ne saurait entraîner, à elle seule, son illégalité ». Cette position s’aligne sur une jurisprudence constante qui admet que le bulletin de paie puisse valoir décision, dès lors qu’il renseigne suffisamment l’agent sur les bases de sa rémunération. De même, la cour écarte le moyen tiré du défaut de motivation, considérant que la fixation du montant de l’IFSE ne constitue pas une décision individuelle défavorable au sens du code des relations entre le public et l’administration, l’agent ne détenant aucun droit acquis à un montant déterminé. Enfin, l’absence de mention des voies et délais de recours est jugée sans incidence sur la légalité de l’acte, son unique effet étant de rendre le délai de recours inopposable à l’agent.

B. Le rejet des prétentions fondées sur des documents dépourvus de portée normative

Pour l’année 2016, le requérant se prévalait de plusieurs documents pour justifier un classement de son poste en groupe 1. La cour administrative d’appel analyse rigoureusement la nature de ces pièces pour en dénier toute portée juridique contraignante. Elle écarte ainsi un document de travail interne à l’administration, non signé et non publié, en rappelant qu’il est « dépourvu de toute valeur normative ou réglementaire ». Cette analyse réaffirme le principe selon lequel seuls les actes faisant l’objet d’une publicité adéquate et émanant d’une autorité compétente peuvent créer des droits au profit des administrés. De même, la cour juge inopérants des arrêtés ministériels relatifs à d’autres catégories d’emplois que celui occupé par le requérant. En l’absence de texte réglementaire applicable à l’année 2016 classant son poste dans le groupe revendiqué, l’agent ne pouvait donc contester utilement le montant de l’indemnité perçue durant cette période.

Cette analyse stricte de la normativité des textes invoqués par le requérant pour l’année 2016 contraste avec l’approche retenue pour l’année 2017, où la cour reconnaît la portée d’une instruction administrative.

II. L’application temporelle déterminante d’une instruction pour la revalorisation de l’IFSE

La cour reconnaît la portée normative de l’instruction du 15 mai 2018 pour la période débutant au 1er janvier 2017 (A), ce qui la conduit à une censure ciblée de la décision administrative contestée pour la seule période concernée (B).

A. La reconnaissance de la portée normative d’une instruction administrative

Le tournant de l’argumentation réside dans l’analyse de l’instruction du 15 mai 2018. Ce texte, bien que postérieur aux faits, prévoyait expressément son application « à compter du 1er janvier 2017 ». Contrairement aux autres documents invoqués, la cour reconnaît à cette instruction une valeur juridique permettant à l’agent de s’en prévaloir. Elle juge ainsi qu’à compter de cette date d’effet, le texte « imposait bien le classement du poste de M. A…, au regard de ses fonctions, au sein du groupe 1 ». En se fondant sur les missions d’encadrement et les sujétions particulières attachées au poste de responsable d’unité de contrôle dans le département concerné, la cour confirme que les fonctions de l’agent correspondaient bien aux critères du groupe 1 tels que définis par l’instruction. Elle valide par là même la possibilité pour une instruction d’avoir des effets pour une période antérieure à sa publication, dès lors que le texte le prévoit explicitement.

B. La censure ciblée de la décision pour la période de référence

La reconnaissance de l’applicabilité de l’instruction au 1er janvier 2017 emporte des conséquences directes sur la légalité de la décision attaquée. La cour conclut que l’agent « est fondé à soutenir que son emploi aurait dû être classé en groupe 1 et non en groupe 2 » pour la période allant du 1er janvier au 30 juin 2017. L’annulation prononcée est donc partielle, limitée à cette seule période. La décision illustre le principe de l’application de la règle de droit dans le temps : l’administration était tenue de respecter les nouvelles règles de classement dès leur date d’entrée en vigueur, et non à compter de la date de publication de l’instruction. En conséquence, la cour enjoint au ministre de verser à l’agent le différentiel d’IFSE correspondant à ce nouveau classement pour les six mois concernés, assorti des intérêts au taux légal. Le surplus des conclusions, notamment pour la période postérieure à son changement de fonctions et pour l’année 2016, est logiquement rejeté.

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Hassan KOHEN
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