Cour d’appel administrative de Versailles, le 3 avril 2025, n°22VE02680

L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Versailles le 3 avril 2025 offre un éclairage sur l’appréciation des vices du consentement dans le cadre des contrats publics. En l’espèce, un établissement pénitentiaire, confronté à la défaillance de son prestataire habituel pour la maintenance de matériel reprographique, a conclu un nouveau contrat avec une seconde société. Par la suite, l’administration a refusé d’honorer les factures, soutenant avoir commis une erreur en croyant que ce nouveau cocontractant n’était qu’un sous-traitant du prestataire initial. La société requérante a alors saisi le tribunal administratif de Versailles pour obtenir le paiement des sommes dues. Par un jugement du 21 octobre 2022, le tribunal a fait droit à la demande reconventionnelle de l’administration et a annulé le contrat litigieux pour vice du consentement. La société a interjeté appel de cette décision. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si l’erreur commise par une personne publique sur les qualités de son cocontractant, lorsqu’elle résulte d’un défaut de vigilance de sa part, est de nature à justifier l’annulation du contrat. La cour administrative d’appel y répond par la négative, considérant qu’une telle erreur revêt un caractère inexcusable qui fait obstacle à l’annulation de la convention. Par conséquent, elle annule le jugement de première instance et fait application du contrat pour régler le litige financier entre les parties.

La solution retenue par la cour administrative d’appel rappelle avec fermeté que la protection du consentement de l’administration ne saurait la dispenser d’une diligence élémentaire dans la formation des contrats. Ainsi, la décision se fonde principalement sur une sanction du manque de vigilance de l’acheteur public (I), avant de réaffirmer la prééminence de la stabilité contractuelle et l’obligation d’exécuter loyalement les conventions (II).

I. La sanction du manque de diligence de l’acheteur public

La cour examine avec rigueur les conditions d’admission du vice du consentement invoqué par l’administration. Elle écarte l’erreur comme cause de nullité en raison de son caractère inexcusable (A), tout en précisant la portée de l’obligation précontractuelle d’information du cocontractant (B).

A. Le caractère inexcusable de l’erreur, obstacle à l’annulation du contrat

La cour administrative d’appel censure le raisonnement des premiers juges en se livrant à une appréciation concrète des circonstances de l’affaire. Elle estime que l’administration ne pouvait valablement se prévaloir d’une méprise sur l’identité de son partenaire contractuel. La juridiction relève en effet que la vigilance la plus élémentaire aurait permis à l’établissement pénitentiaire de déceler sa propre confusion. Elle souligne que « à supposer même que l’administration ait commis une erreur sur la qualité réelle de la société Burotik’r, celle-ci aurait pu être évitée si la représentante de la maison d’arrêt avait pris soin, avant de signer le contrat […] de vérifier, a minima, la cohérence entre les tarifs ainsi proposés et ceux résultant du marché subséquent à l’accord-cadre ». Le contrat, d’une grande brièveté, présentait des conditions tarifaires et des engagements clairs, qui différaient manifestement de ceux du marché-cadre initial. En omettant de procéder à cette vérification simple, l’administration a commis une négligence qui prive son erreur de tout caractère excusable. La décision s’inscrit ainsi dans une jurisprudence constante qui exige que l’erreur, pour vicier le consentement, ne soit pas la conséquence d’une faute de la partie qui l’invoque.

B. La portée limitée de l’obligation précontractuelle d’information

Pour tenter de justifier sa propre carence, l’administration soutenait que la société cocontractante aurait manqué à son devoir d’information en ne la détrompant pas. La cour écarte cet argument en des termes nets, rappelant que la bonne foi précontractuelle ne va pas jusqu’à imposer à une partie de deviner les erreurs de son partenaire. Elle juge en effet « qu’il n’est ni établi, ni même allégué, que cette société avait connaissance de la confusion opérée par l’établissement pénitentiaire et de son caractère déterminant sur le consentement de l’administration ». Faute de preuve que la société prestataire avait conscience de la méprise de l’administration, aucune obligation d’information spécifique ne pesait sur elle à ce titre. La cour refuse de faire peser sur le cocontractant la charge de pallier la négligence de la personne publique. Cette approche pragmatique responsabilise l’acheteur public, qui ne peut se défausser sur son partenaire pour une erreur qu’il était le seul à pouvoir éviter. La validité du contrat étant ainsi confirmée, il appartenait ensuite à la cour d’en tirer les conséquences quant au règlement du litige.

II. La prééminence de la stabilité contractuelle et de la loyauté des parties

La décision illustre de manière claire la volonté du juge administratif d’assurer la stabilité des relations contractuelles. Cette volonté se manifeste par le refus d’écarter le contrat malgré certaines irrégularités (A), et par une exécution réglée sur la base d’une responsabilité partagée (B).

A. Le refus d’écarter le contrat en dépit des manquements aux règles de passation

L’administration invoquait également la violation des règles de publicité et de mise en concurrence pour échapper à ses obligations. La cour reconnaît la réalité de cette irrégularité, mais lui dénie toute conséquence sur le règlement du litige. S’inscrivant dans le sillage de la jurisprudence relative à la loyauté des relations contractuelles, elle juge que « en dépit de la gravité d’une telle illégalité, il ne résulte pas de l’instruction que les circonstances dans lesquelles elle a été commise justifieraient que le litige ne soit pas réglé sur le terrain contractuel ». Cette solution confirme que les parties ne peuvent, en principe, se prévaloir des irrégularités de passation qu’elles ont elles-mêmes commises pour se soustraire à l’exécution de leurs engagements financiers. Le juge réserve la possibilité d’écarter le contrat aux seules hypothèses où l’illégalité est d’une gravité telle et a été commise dans des circonstances si particulières que le litige ne peut être tranché sur son fondement. En l’espèce, la nécessité pour l’administration de trouver rapidement un prestataire pour assurer la continuité du service a sans doute contribué à minimiser la portée de cette irrégularité.

B. Une exécution du contrat réglée au prisme de la responsabilité des acteurs

Après avoir affirmé la pleine force obligatoire du contrat, la cour procède au règlement des comptes entre les parties. Elle condamne l’administration à payer les prestations, mais ajuste le montant dû pour ne couvrir que la période d’exécution effective du service, avant que la société requérante ne le suspende. Cette liquidation sur une base contractuelle démontre une approche équilibrée, où chaque partie assume les conséquences de ses actes. De manière plus notable, la cour fait droit à l’appel en garantie de l’administration à l’encontre du titulaire du marché-cadre initial. Elle condamne ce dernier à garantir l’administration à hauteur de 75 % des sommes dues, au motif que ses propres carences sont à l’origine de la conclusion du contrat litigieux. La cour adopte ainsi une vision globale de la situation, répartissant la charge finale de l’indemnisation entre la personne publique négligente et le prestataire initial défaillant. Cette approche pragmatique, bien que ne relevant pas d’une stricte orthodoxie juridique, aboutit à une solution d’espèce équitable qui responsabilise l’ensemble des acteurs impliqués dans le dysfonctionnement.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture