La cour administrative d’appel de Versailles, par un arrêt rendu le 3 avril 2025, apporte des précisions essentielles sur le régime fiscal de la cession de créances d’impôts indus. Une société mère avait cédé à un établissement bancaire, en septembre 2005, des créances de restitution de précompte mobilier acquitté entre 1999 et 2003. L’administration fiscale avait réintégré le prix de cette cession dans le résultat imposable, considérant que la perception immédiate de fonds constituait un profit social taxable. Le tribunal administratif de Montreuil, par un jugement du 4 avril 2019, avait annulé ces rectifications en qualifiant l’opération d’emprunt non imposable. La cour administrative d’appel de Versailles, saisie après une cassation prononcée par le Conseil d’État le 14 avril 2023, doit trancher la nature fiscale du prix de cession d’une créance fiscale incertaine. Le litige porte sur la détermination d’une variation d’actif net lors de la monétisation d’un droit dont le principe même demeure alors contesté devant le juge.
I. La qualification de la cession de créance incertaine en emprunt temporaire
A. L’absence de créance certaine au jour de la cession de droits litigieux
La solution de la cour administrative d’appel de Versailles repose sur l’analyse de l’incertitude juridique affectant les sommes versées par la société cédante à l’État. Au jour de la convention de septembre 2005, la réalité de la créance fiscale dépendait encore de l’issue de procédures contentieuses fondées sur le droit de l’Union européenne. La juridiction souligne que la société « pouvait considérer qu’elle était détentrice d’une créance fiscale sur l’État qui existait avec une probabilité suffisante » sans pour autant être certaine. Cette distinction fondamentale entre l’existence d’un droit potentiel et la constatation d’un actif liquide et exigible interdit toute inscription immédiate au bilan. Puisque la créance n’était pas inscrite à l’actif, le prix reçu en contrepartie ne peut compenser la disparition d’un élément patrimonial préexistant.
B. Le refus d’une variation immédiate de l’actif net imposable
La cour administrative d’appel de Versailles confirme que la perception du prix de cession ne génère aucun profit immédiat tant que le litige fiscal perdure. En l’absence de créance constatée en comptabilité, le produit reçu « correspond, jusqu’à la constatation du caractère certain et liquide de la créance de restitution de l’impôt en cause, à un emprunt ». Cette qualification juridique fait obstacle à l’application de l’article 38-2 du code général des impôts relatif à l’accroissement de la richesse de l’entreprise. L’arrêt précise que cette somme ne donne pas lieu à « une augmentation de l’actif net de la société » et demeure par conséquent non imposable. La neutralité fiscale de l’opération est ainsi préservée jusqu’au dénouement définitif des instances judiciaires opposant le contribuable à l’administration fiscale.
II. La confirmation du régime de neutralité des restitutions d’impôts non déductibles
A. Le maintien de la nature fiscale de l’impôt faisant l’objet de la restitution
L’arrêt souligne que le produit de la cession doit être regardé comme procédant au « remboursement anticipé d’un impôt non déductible » pour la détermination du bénéfice. Le précompte mobilier, n’étant pas admis dans les charges déductibles par le code général des impôts, sa restitution ne saurait constituer un produit imposable. La cour administrative d’appel de Versailles applique ici une règle de parallélisme logique pour éviter une double imposition économique de la somme en litige. Si la cession est assortie d’une garantie au bénéfice du cessionnaire, les éventuels versements ultérieurs de la société cédante ne seraient pas davantage déductibles. Le prix perçu de la banque n’est imposable qu’à hauteur de la part excédant éventuellement le montant final de l’impôt effectivement remboursable.
B. La portée de la solution sur la gestion des contentieux fiscaux complexes
Cette décision offre une sécurité juridique importante aux entreprises souhaitant monétiser leurs créances fiscales incertaines sans attendre le terme des délais de jugement. La cour administrative d’appel de Versailles valide une pratique comptable consistant à enregistrer le prix de cession en capitaux propres sans impacter le compte de résultat. Elle rejette l’argumentation de l’administration qui souhaitait imposer immédiatement la somme sous réserve d’une provision pour litige ultérieure dont la déductibilité serait restée incertaine. L’arrêt précise que le caractère certain et liquide n’était pas acquis lors des exercices clos entre 2011 et 2014 car les procédures contentieuses s’étaient achevées postérieurement. La solution garantit ainsi que la monétisation d’un droit litigieux n’anticipe pas indûment la fiscalité applicable au dénouement effectif d’un litige avec l’État.