Par un arrêt en date du 3 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles s’est prononcée sur l’engagement de la responsabilité d’un établissement hospitalier à la suite du décès d’un fœtus in utero survenu après la prescription d’un traitement antibiotique à la mère. En l’espèce, une femme enceinte s’était présentée aux urgences pour une toux et s’était vue prescrire un antibiotique, compte tenu de son allergie à la pénicilline. Quelques jours après le début du traitement, la mort du fœtus était constatée à vingt-deux semaines d’aménorrhée. Une expertise judiciaire n’avait pas permis d’établir avec certitude la cause du décès.
Les parents de l’enfant à naître ont saisi le tribunal administratif de Versailles afin d’obtenir réparation des préjudices subis, estimant qu’une faute avait été commise par l’hôpital lors de la prescription médicamenteuse. Par un jugement du 6 mars 2023, le tribunal a rejeté leur demande. Les requérants ont alors interjeté appel de cette décision, maintenant que la prescription était fautive et qu’il existait un lien de causalité direct entre celle-ci et le décès. Ils sollicitaient l’annulation du jugement et la condamnation de l’établissement hospitalier à les indemniser.
Il revenait ainsi à la Cour administrative d’appel de Versailles de déterminer si la responsabilité d’un centre hospitalier pouvait être engagée alors même que le lien de causalité entre la prescription d’un médicament et le décès d’un fœtus n’était pas scientifiquement établi. À cette question, la cour répond par la négative, estimant que la preuve d’un lien de causalité direct et certain n’est pas rapportée. Elle considère que la simple proximité temporelle entre l’administration du traitement et la survenance du dommage ne suffit pas à caractériser ce lien.
Dès lors, la solution retenue par la cour s’inscrit dans une approche classique de l’appréciation du lien de causalité, privilégiant la certitude probatoire sur les présomptions (I), ce qui conduit néanmoins à interroger la situation de la victime face à l’aléa médical et à l’incertitude scientifique (II).
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I. L’application rigoureuse des exigences probatoires en matière de causalité
La cour administrative d’appel, pour rejeter la demande des requérants, s’en tient à une orthodoxie juridique stricte concernant la preuve du lien de causalité. Elle refuse de déduire la causalité de la seule chronologie des faits (A) et fait prévaloir les données scientifiques disponibles sur les doutes exprimés par les victimes (B).
A. Le rejet de la présomption de causalité fondée sur la seule chronologie
Le raisonnement des requérants reposait en grande partie sur la succession des événements : la prescription d’un médicament, suivie quelques jours plus tard par la constatation du décès fœtal. Cette concomitance constituait à leurs yeux l’indice principal de la responsabilité de l’établissement. Cependant, la cour écarte fermement cette approche en jugeant que « la seule concomitance du décès avec la médication est insuffisante pour retenir l’existence d’un lien de causalité ».
Ce faisant, le juge administratif réaffirme une position constante en droit de la responsabilité hospitalière. Le lien de causalité doit être direct et certain, et ne saurait se satisfaire d’une simple hypothèse, aussi plausible soit-elle. Le fait qu’un événement succède à un autre ne signifie pas nécessairement qu’il en soit la conséquence. En l’absence d’autres éléments venant corroborer cette chronologie, le juge refuse de la considérer comme une présomption suffisante. La décision souligne ainsi la distinction entre la succession temporelle et le rapport de cause à effet, ce dernier devant être prouvé de manière autonome pour que la responsabilité puisse être engagée.
B. La prévalence des données scientifiques et expertales
Face à l’incertitude, la cour s’appuie de manière déterminante sur les éléments objectifs versés au dossier, et notamment sur les avis des experts et des autorités scientifiques. Elle relève que, si la boîte du médicament comportait bien un pictogramme de mise en garde pour les femmes enceintes, le Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT) considère son usage comme possible durant la grossesse. L’arrêt cite en ce sens le rapport du CRAT, qui précise que « l’utilisation de l’azithromycine est possible, quel que soit le terme de la grossesse ».
De plus, le rapport d’expertise judiciaire, diligenté dans le cadre de la procédure, avait conclu à une absence de lien de causalité. L’examen fœto-pathologique n’avait révélé aucune anomalie, ni sur le placenta, ni sur le fœtus lui-même. En confrontant les doutes des parents à ces données scientifiques et expertales, la cour choisit de donner la primauté aux secondes. Elle écarte ainsi l’argument tiré du pictogramme, le considérant comme une précaution générale ne suffisant pas à établir un danger avéré dans ce cas précis, et ancre sa décision dans un faisceau d’indices techniques qui tendent tous à exonérer le traitement prescrit.
Si cette orthodoxie juridique garantit la sécurité juridique, elle interroge néanmoins sur l’équité de la charge probatoire pesant sur la victime face à une incertitude scientifique.
II. La portée de la décision à l’épreuve de l’incertitude médicale
En appliquant avec rigueur les règles de la preuve, la décision révèle les difficultés rencontrées par les victimes pour obtenir réparation lorsque la science n’apporte pas de réponse définitive. Elle confirme le poids d’une charge probatoire qui peut s’avérer insoutenable (A) et consacre une interprétation restrictive du doute qui ne profite pas au patient (B).
A. La confirmation d’une charge de la preuve difficilement soutenable pour la victime
L’un des enseignements de cet arrêt est la rigueur avec laquelle le juge administratif apprécie la charge de la preuve qui pèse sur le demandeur. En exigeant la démonstration d’un lien de causalité certain, la cour place les victimes dans une situation probatoire très délicate, voire impossible, dans les cas où la médecine elle-même ne peut conclure. L’arrêt le reconnaît d’ailleurs implicitement en notant que « aucune cause formelle de la mort du fœtus n’ait pu être identifiée, ce qui est néanmoins le cas dans 25 à 40 % des décès in utero ».
Cette réalité statistique met en lumière une aporie du système de responsabilité pour faute. Lorsque le dommage survient dans un contexte d’incertitude scientifique, le demandeur est confronté à l’impossibilité de rapporter la preuve qui lui est demandée. La présente décision illustre que, même en présence d’une chronologie troublante, le juge ne peut inverser la charge de la preuve ou se contenter de présomptions non corroborées. Le risque de l’aléa médical non fautif et scientifiquement inexpliqué demeure ainsi entièrement supporté par la victime.
B. L’interprétation restrictive du doute au détriment du patient
Face à des éléments contradictoires — une mise en garde sur un produit de santé d’un côté, des données scientifiques rassurantes de l’autre —, le juge doit arbitrer. En l’espèce, la cour tranche le doute en faveur de l’établissement de santé, se fondant sur les expertises et les avis des agences spécialisées. Cette approche, si elle est juridiquement fondée, revient à faire peser les conséquences de l’incertitude sur le patient.
En effet, alors que le droit de la responsabilité a parfois recours à des mécanismes de présomptions de fait pour pallier les difficultés probatoires, la cour s’y refuse ici. Elle n’estime pas que les éléments apportés par les requérants constituent des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes pour forger sa conviction en l’absence de preuve scientifique directe. Cette décision confirme que, dans le contentieux de la responsabilité médicale, le doute sur la causalité profite au défendeur. Elle exclut ainsi toute indemnisation, que ce soit au titre de la faute ou de la solidarité nationale, laquelle requiert également que le dommage soit directement imputable à l’acte de soins.