Par une décision en date du 30 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Versailles s’est prononcée sur les conditions de mise en œuvre du recours en rectification d’erreur matérielle prévu par le code de justice administrative. En l’espèce, une requérante avait obtenu, par un précédent arrêt du 12 mai 2023, la condamnation d’un établissement public de santé à l’indemniser pour un défaut de consentement à un acte médical. L’arrêt d’appel avait également statué sur les frais liés au litige. Estimant toutefois que cette décision était entachée d’erreurs, la requérante a saisi la même cour d’une demande de rectification. Elle soutenait, d’une part, que l’indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles, bien que mentionnée dans les motifs de l’arrêt, n’avait pas été reprise dans son dispositif. D’autre part, elle faisait valoir que le montant des frais d’expertise était erroné dans les motifs et que le dispositif n’ordonnait pas explicitement son remboursement par la partie adverse, qui en avait pourtant la charge définitive. Se posait alors à la cour la question de savoir dans quelles circonstances une inexactitude ou une omission dans une décision de justice constitue une erreur matérielle justifiant sa rectification. La cour administrative d’appel de Versailles a accueilli partiellement la demande. Elle a jugé que l’omission dans le dispositif d’une condamnation pécuniaire mentionnée dans les motifs constituait une erreur matérielle devant être corrigée. En revanche, elle a estimé qu’une simple coquille dans les motifs, non reprise dans le dispositif, ainsi que l’absence de précision sur les modalités de remboursement de frais dont la charge était clairement attribuée, ne justifiaient pas une rectification. La décision de la cour clarifie ainsi les contours de l’erreur matérielle rectifiable (I), tout en réaffirmant la portée distincte des motifs et du dispositif d’un arrêt (II).
I. La clarification des contours de l’erreur matérielle rectifiable
La cour administrative d’appel de Versailles opère une distinction nette entre l’erreur matérielle ayant une incidence directe sur les droits des parties et celle qui n’en a pas. Elle admet ainsi la rectification pour une omission préjudiciable (A), mais la refuse pour une simple inexactitude sans conséquence juridique (B).
A. L’admission de la rectification en cas d’omission préjudiciable
L’arrêt commenté retient une conception pragmatique de l’erreur matérielle. La cour constate que le versement d’une somme au titre des frais de justice, bien qu’expressément accordé dans la motivation de sa précédente décision, avait été omis dans la partie finale et exécutoire de l’arrêt. Elle en déduit que « Cette erreur ayant été susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire, il y a lieu de rectifier cet arrêt ». En agissant de la sorte, le juge reconnaît que le dispositif est le support exclusif de la force exécutoire d’une décision. Une condamnation qui ne figure que dans les motifs est privée de toute portée pratique, car elle ne peut fonder aucune mesure de recouvrement forcé. La rectification apparaît donc comme le seul remède pour assurer la pleine effectivité du jugement et garantir que la partie victorieuse ne soit pas privée d’une partie de ses droits par un simple oubli de plume. Cette solution confirme que l’erreur matérielle rectifiable est celle qui vicie la substance même de ce qui a été jugé, en créant une discordance entre la volonté du juge, exprimée dans ses motifs, et la portée juridique de sa décision, incarnée par le dispositif.
B. Le rejet de la rectification pour une inexactitude sans conséquence
La cour adopte une approche inverse concernant le montant des frais d’expertise. Elle relève que si le point 18 de l’arrêt du 12 mai 2023 « indique par erreur que les frais d’expertise s’élèvent à la somme de 2 110,20 euros et non 2 119,20 euros, cette erreur n’a pas été reprise dans son dispositif ». Le raisonnement est ici fondé sur l’absence d’influence de cette coquille sur la solution du litige. L’erreur étant cantonnée aux motifs et n’ayant pas été retranscrite dans la partie décisoire, elle est considérée comme dépourvue de toute incidence juridique. Le dispositif de l’arrêt initial, en se contentant de mettre les frais d’expertise à la charge définitive de l’établissement de santé sans en préciser le montant exact, renvoyait implicitement aux pièces du dossier qui, elles, n’étaient pas erronées. La cour administrative d’appel juge donc qu’une telle erreur, purement factuelle et sans portée normative, ne saurait justifier une rectification. Cette analyse restrictive vise à éviter que la procédure de rectification ne soit utilisée pour corriger de simples imperfections rédactionnelles qui n’affectent en rien la validité ou l’exécution du jugement.
La distinction opérée par le juge entre les différents types d’erreurs met en lumière la hiérarchie fonctionnelle qui existe entre les différentes parties d’une décision de justice. Elle conduit à réaffirmer la portée distincte et complémentaire des motifs et du dispositif.
II. La réaffirmation de la portée distincte des motifs et du dispositif
La solution retenue par la cour administrative d’appel de Versailles renforce la fonction respective des motifs, support du raisonnement du juge, et du dispositif, qui seul contient sa décision. Elle consacre ainsi l’intangibilité des motifs lorsqu’ils sont sans incidence sur le dispositif (A) et confirme que l’interprétation d’une décision exclut le recours en rectification (B).
A. L’intangibilité des motifs sans incidence sur le dispositif
L’arrêt du 30 janvier 2025 établit clairement qu’une erreur contenue dans la motivation d’une décision de justice n’est pas, en soi, susceptible de rectification. Pour qu’une correction soit envisageable, il faut que l’erreur ait eu une influence sur ce qui a été effectivement jugé dans le dispositif. En l’espèce, l’inexactitude sur le montant des frais d’expertise n’a pas été jugée comme ayant une telle portée. Cette approche souligne que les motifs, s’ils sont essentiels pour comprendre le cheminement intellectuel du juge et pour l’exercice des voies de recours, ne possèdent pas de force exécutoire propre. Ils constituent l’étai du jugement mais non le jugement lui-même. En refusant de corriger une erreur factuelle isolée dans sa motivation, la cour rappelle que la procédure de rectification n’est pas une voie de révision de la rédaction d’un arrêt. Elle a pour seul objet de rétablir la cohérence entre l’intention du juge et la formule exécutoire de sa décision, lorsque celle-ci est rompue par une erreur matérielle manifeste.
B. Le refus de la rectification comme instrument d’interprétation
La cour écarte également la demande de la requérante qui visait à faire préciser explicitement dans le dispositif que l’établissement de santé devait lui rembourser les frais d’expertise. Le juge estime en effet qu’en prévoyant que ces frais sont « mis à la charge définitive » de l’établissement, « l’arrêt implique nécessairement que cette dernière doit rembourser ces frais » à la partie qui en a fait l’avance. Par cette formule, la cour signifie qu’une décision de justice n’a pas à expliciter ce qui découle logiquement et juridiquement de ses termes. Le recours en rectification d’erreur matérielle ne peut servir à obtenir une interprétation ou une clarification de ce qui est déjà jugé. Le juge considère que la portée de sa décision était suffisamment claire et que les obligations qui en découlaient étaient univoques pour un juriste. Admettre une rectification sur ce point reviendrait à ouvrir la voie à des demandes visant à pallier une lecture incertaine ou à obtenir des précisions superflues, transformant la rectification en un substitut au recours en interprétation, procédure distincte et encadrée. La décision renforce donc la stabilité des décisions de justice en refusant de les modifier pour des motifs qui relèvent de leur seule exégèse.