Cour d’appel administrative de Versailles, le 4 mars 2025, n°23VE01498

Par un arrêt en date du 4 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles s’est prononcée sur les règles de preuve applicables en matière de déductibilité des charges et de la taxe sur la valeur ajoutée afférente. En l’espèce, une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a remis en cause la déductibilité de certaines charges relatives à des prestations de référencement sur internet, ainsi que de la taxe correspondante. Ces redressements ont conduit à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de pénalités pour manquement délibéré. Le tribunal administratif de Versailles, saisi par la société, a rejeté sa demande de décharge par un jugement du 8 juin 2023. La société a alors interjeté appel de cette décision, soutenant notamment qu’elle justifiait de la réalité des prestations par la production de factures et que l’administration ne pouvait s’immiscer dans l’opportunité de ses choix de gestion. L’administration fiscale, pour sa part, concluait au rejet de la requête, arguant que le contribuable n’apportait pas la preuve de la réalité des prestations facturées. Se posait ainsi au juge d’appel la question de savoir dans quelles conditions la charge de la preuve de la non-réalité d’une prestation facturée peut être considérée comme rapportée par l’administration, et quelles conséquences en tirer tant sur la déductibilité des charges et de la taxe que sur la qualification de manquement délibéré. La cour administrative d’appel rejette le recours de la société, considérant que l’administration apportait des éléments suffisants pour faire douter de la réalité des prestations, renversant ainsi la charge de la preuve sur le contribuable, qui n’a pas fourni de justifications utiles.

I. La répartition de la charge de la preuve en matière de déductibilité fiscale

La décision de la cour administrative d’appel s’articule autour du principe selon lequel la charge de la preuve de la réalité d’une dépense incombe en premier lieu au contribuable. Ce principe s’applique de manière similaire qu’il s’agisse de la déduction d’une charge du résultat imposable (A) ou de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant cette même dépense (B).

A. Le principe de la justification des charges par le contribuable

Conformément à l’article 39 du code général des impôts, le bénéfice net s’établit sous déduction des frais généraux engagés dans l’intérêt de l’exploitation. La jurisprudence constante, rappelée par la cour, établit qu’il « appartient, dès lors, au contribuable, pour l’application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu’il entend déduire du bénéfice net […] que de la correction de leur inscription en comptabilité, c’est-à-dire du principe même de leur déductibilité ». Cette obligation implique pour l’entreprise de produire des éléments précis sur la nature de la charge et l’existence de la contrepartie obtenue. Dans le cas présent, la société requérante a échoué sur ce point pour une partie des dépenses, faute d’avoir pu simplement produire les factures correspondantes, ce qui a permis à l’administration de remettre en cause leur déductibilité de plein droit. Pour le surplus, bien que des factures aient été produites, la cour a examiné si elles suffisaient à satisfaire à l’exigence de justification.

B. L’application de règles de preuve similaires pour la taxe sur la valeur ajoutée

Le raisonnement est transposé à la question de la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Le droit à déduction, prévu par l’article 271 du code général des impôts, est conditionné à l’existence d’une opération réelle. La cour rappelle que si l’administration entend refuser ce droit pour une facture régulière en apparence, il lui appartient « d’établir qu’il s’agissait d’une facture fictive ou d’une facture de complaisance ». Cependant, cette charge probatoire qui pèse sur l’administration n’est pas absolue. Si cette dernière présente des éléments permettant de douter sérieusement que la facture correspond à une opération réelle, la charge de la preuve est alors renversée et il revient au contribuable de fournir les justifications nécessaires. La cour applique ce mécanisme en considérant que les éléments soulevés par le service vérificateur suffisaient à créer un tel doute, rendant le rejet de la déduction de la taxe inévitable en l’absence de preuves contraires apportées par la société.

II. L’appréciation souveraine du juge face aux indices de fictivité

La valeur de cet arrêt réside principalement dans l’illustration de la méthode du faisceau d’indices employée par le juge pour évaluer la réalité des prestations. Cette appréciation factuelle prime sur la simple apparence formelle des documents comptables (A) et emporte des conséquences directes sur la qualification de l’intention du contribuable (B).

A. La prééminence du faisceau d’indices sur la seule production de factures

La cour administrative d’appel ne se contente pas de l’existence matérielle des factures pour admettre la réalité des prestations de référencement. Elle se livre à une analyse détaillée des circonstances entourant ces dépenses, validant ainsi la démarche de l’administration. Le juge relève que les factures étaient « peu détaillées alors que leur montant était particulièrement élevé », représentant une part considérable du chiffre d’affaires de l’entreprise. Il prend également en compte le défaut de réponse des sociétés émettrices aux demandes de l’administration, leur objet social parfois sans rapport avec l’activité facturée, ou encore la courte durée de vie de leurs comptes bancaires. Ces éléments, cumulés au fait que la société requérante ne produisait aucun contrat ou document technique permettant d’attester de la consistance des prestations, ont convaincu la cour. L’administration est ainsi « regardée comme ayant apporté des éléments de nature à contester l’existence et l’objet des prestations facturées », justifiant le rejet de la déductibilité des charges.

B. La fictivité des prestations comme fondement du manquement délibéré

La reconnaissance du caractère fictif des opérations a une conséquence directe sur l’application des pénalités. Pour appliquer la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue à l’article 1729 du code général des impôts, l’administration doit prouver l’intention du contribuable d’éluder l’impôt. Dans cette affaire, la cour estime que cette preuve est rapportée par les faits eux-mêmes. Elle juge que le fait pour la société d’avoir « déduit de ses charges d’exploitation des dépenses correspondant à des factures de complaisance » suffit à établir sa volonté délibérée de minorer sa charge fiscale, compte tenu des montants importants et du caractère répété de cette pratique sur plusieurs exercices. La démonstration de la fictivité des prestations constitue ainsi le socle de la démonstration de l’élément intentionnel, justifiant le bien-fondé de la majoration appliquée par l’administration. La décision de la cour confirme ainsi que le recours à de tels procédés, une fois établi, emporte une quasi-présomption d’intention frauduleuse.

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Hassan KOHEN
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