Cour d’appel administrative de Versailles, le 4 mars 2025, n°24VE00230

La Cour administrative d’appel de Versailles a rendu, le 4 mars 2025, un arrêt relatif au droit au respect de la vie privée et familiale. La juridiction tranche la question de l’influence de l’éligibilité au regroupement familial sur le contrôle de proportionnalité exercé par le juge de l’excès de pouvoir. Une ressortissante étrangère est entrée régulièrement en France en octobre 2019 sous couvert d’un visa de long séjour portant la mention étudiant. Elle a épousé en octobre 2020 un compatriote titulaire d’une carte de résident travaillant régulièrement pour un employeur stable depuis plusieurs années. Le couple a donné naissance à un enfant sur le territoire national en décembre 2020, consolidant ainsi leurs attaches matérielles et affectives.

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté, le 20 décembre 2023, la demande d’annulation de l’arrêté préfectoral portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire. L’intéressée soutient en appel que l’autorité administrative a commis une erreur de droit en omettant d’examiner sa situation au regard de ses attaches familiales. Elle invoque l’atteinte disproportionnée portée à sa vie privée, indépendamment de sa capacité à solliciter ultérieurement le bénéfice d’une procédure de regroupement familial. La Cour annule le jugement ainsi que l’arrêté contesté en soulignant l’intensité des liens développés par la requérante depuis son arrivée en France. L’étude de cette décision impose d’analyser l’articulation entre les catégories juridiques nationales et les exigences conventionnelles avant d’examiner la reconnaissance d’une atteinte disproportionnée.

I. L’articulation entre les catégories juridiques nationales et les exigences conventionnelles

L’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers dispose que le titre vie privée et familiale concerne l’étranger n’entrant pas dans d’autres catégories. La loi écarte expressément les personnes qui « ouvrent droit au regroupement familial » afin de préserver l’intégrité des procédures administratives de droit commun. La requérante, conjointe d’un résident étranger, relevait théoriquement de ce dispositif spécifique imposant des conditions de ressources et de logement à son époux. L’administration estimait initialement que cette éligibilité faisait obstacle à la délivrance d’une carte de séjour temporaire sur le fondement exclusif des liens personnels.

A. Le principe d’exclusion fondé sur l’éligibilité au regroupement familial

La Cour précise qu’il appartenait au préfet d’apprécier si l’atteinte portée à la vie familiale était disproportionnée par rapport aux buts de la mesure. Les juges rappellent que les stipulations de l’article 8 de la Convention européenne priment sur les restrictions posées par les dispositions législatives du code national. La circonstance qu’une personne relève du regroupement familial « ne saurait, par elle-même, intervenir dans l’appréciation portée par l’administration sur la gravité de l’atteinte ». L’autorité administrative doit systématiquement procéder à un examen global de la situation individuelle de l’étranger avant de décider d’une mesure d’éloignement du territoire.

B. La primauté du contrôle de proportionnalité issu de la Convention européenne

Le juge précise toutefois que l’administration peut tenir compte du non-respect de la procédure légale d’entrée au titre des buts poursuivis par la décision. Le texte mentionne que le préfet peut considérer que le ressortissant « ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu’au seul bénéfice du regroupement familial ». Cette nuance permet de maintenir l’objectif de régulation des flux migratoires sans pour autant vider de sa substance la protection des droits fondamentaux. La décision souligne ainsi que l’examen de la proportionnalité reste une obligation autonome dont le préfet ne peut s’affranchir sous un prétexte procédural.

II. La reconnaissance d’une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale

La Cour administrative d’appel de Versailles analyse les éléments de fait pour déterminer si l’équilibre entre l’ordre public et la vie privée est respecté. L’instruction révèle que l’intéressée séjourne de manière continue sur le sol français depuis l’année 2019, initialement sous couvert d’un titre de séjour régulier. La stabilité de la cellule familiale est démontrée par l’activité professionnelle durable de l’époux ainsi que par la naissance d’un enfant en France. La primauté du contrôle de proportionnalité conduit les magistrats à effectuer une analyse minutieuse des éléments de fait caractérisant l’insertion de l’intéressée.

A. La caractérisation souveraine d’une insertion locale ancienne et stable

Le juge note que la requérante a contracté mariage peu après son arrivée et qu’elle a bénéficié de plusieurs récépissés de demande de renouvellement. « L’intensité et la durée de ses liens familiaux en France » sont jugées suffisantes pour justifier la présence de l’intéressée aux côtés de ses proches. Le fait que les parents de la requérante résident encore dans son pays d’origine ne suffit pas à compenser l’ancrage profond de son foyer actuel. La Cour privilégie ainsi la réalité de la vie quotidienne du noyau familial composé des deux parents et de leur jeune enfant né sur place.

B. La sanction nécessaire de l’erreur d’appréciation commise par l’autorité préfectorale

L’arrêt conclut que le préfet a porté au droit au respect de la vie privée une « atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels ces mesures ont été prises ». Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est par conséquent annulé car il n’avait pas sanctionné cette erreur manifeste d’appréciation des faits. La Cour enjoint à l’autorité préfectorale de délivrer un titre de séjour dans un délai de deux mois afin de régulariser définitivement la situation. Cette solution réaffirme la prééminence du droit au respect de la vie familiale sur les simples considérations de gestion administrative des dossiers d’entrée.

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Hassan KOHEN
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