Cour d’appel administrative de Versailles, le 6 mai 2025, n°23VE01311

L’abrogation d’une décision administrative en cours d’instance ne suffit pas toujours à priver d’objet le recours contentieux formé à son encontre. Par un arrêt en date du 6 mai 2025, la cour administrative d’appel de Versailles a été amenée à se prononcer sur les conséquences procédurales d’une telle abrogation ainsi que sur la légalité de deux refus successifs d’admission au séjour opposés à une même personne. En l’espèce, une ressortissante étrangère, entrée sur le territoire français sans visa, avait sollicité la régularisation de sa situation au titre de sa vie privée et familiale. L’autorité préfectorale lui a opposé un premier refus de titre de séjour, assorti d’une obligation de quitter le territoire français, qu’elle a contesté devant le tribunal administratif. En cours de procédure, le préfet a abrogé cette première décision pour en prendre une nouvelle, identique dans son dispositif de refus. Par un premier jugement, le tribunal administratif a considéré que le recours contre la décision initiale était devenu sans objet. Par un second jugement, il a rejeté la requête dirigée contre la nouvelle décision. La requérante a interjeté appel de ces deux jugements, conduisant la cour à statuer conjointement sur l’ensemble du litige. Le juge d’appel devait donc déterminer si l’abrogation d’un acte administratif ayant produit des effets juridiques prive d’objet le recours en annulation intenté contre lui. Il lui appartenait également d’apprécier si le refus d’autoriser le séjour de l’intéressée portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La cour administrative d’appel répond par la négative à la première question, jugeant que le recours conserve son objet dès lors que l’acte abrogé a eu des effets. Elle annule en conséquence le premier jugement pour irrégularité, puis, usant de son pouvoir d’évocation, annule la décision initiale pour incompétence de son signataire. La cour confirme en revanche le bien-fondé du second refus de séjour, estimant que celui-ci ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans la vie privée et familiale de la requérante. La portée de la manœuvre administrative consistant à abroger un acte contesté est ainsi précisément définie par le juge (I), qui maintient néanmoins une appréciation rigoureuse des conditions de fond justifiant l’octroi d’un titre de séjour (II).

I. La neutralisation d’une abrogation à visée dilatoire

La cour administrative d’appel rappelle avec fermeté les conditions strictes qui gouvernent le non-lieu à statuer en cas d’abrogation d’un acte, sanctionnant la juridiction de première instance pour son interprétation erronée (A). Statuant par la suite au fond, elle prononce l’annulation de la décision initiale en retenant un vice de légalité externe, tout en opérant une distinction subtile quant à l’objet résiduel du litige (B).

A. La censure du non-lieu à statuer prononcé par les premiers juges

Le juge administratif rappelle que la disparition de l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, suite à l’abrogation de l’acte attaqué, est subordonnée à des exigences précises. Il énonce ainsi que cette circonstance « prive d’objet le recours formé à son encontre à la double condition que cet acte n’ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive ». En appliquant ce principe, la cour constate que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en prononçant un non-lieu. En effet, la décision de refus de séjour initiale avait nécessairement produit des effets juridiques, ne serait-ce qu’en plaçant l’intéressée dans une situation précaire et en interrompant l’examen de son droit au séjour. La cour estime donc que l’instance conservait son objet, nonobstant la décision d’abrogation. Cette solution garantit le droit du justiciable à obtenir une décision sur la légalité d’un acte qui a affecté sa situation, même si cet acte n’est plus en vigueur. Elle empêche par ailleurs l’administration de se soustraire au contrôle du juge par le biais d’une simple abrogation, lorsque sa décision a déjà eu des conséquences concrètes pour l’administré.

B. L’annulation de la décision initiale par voie d’évocation

Faisant application de son pouvoir d’évocation, la cour statue directement sur la requête de première instance. Elle analyse alors les conclusions du préfet qui persistait à demander un non-lieu à statuer. Le juge d’appel confirme que la demande d’annulation du refus de séjour n’est pas privée d’objet, puisque cette décision a produit des effets. Il opère cependant une distinction s’agissant des autres mesures contenues dans l’acte du 2 septembre 2022. La cour relève en effet qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination « aient reçu exécution ». Dès lors, l’abrogation de ces mesures étant devenue définitive, le recours dirigé contre elles est, à la date où la cour se prononce, effectivement devenu sans objet. Sur le fond, la cour annule la décision de refus de séjour en retenant un moyen de légalité externe. Elle constate que l’auteur de l’acte, une cheffe de section, « ne disposait pas, à la date de la décision du 2 septembre 2022, d’une délégation à cette fin régulièrement consentie par l’autorité préfectorale ». Ce vice d’incompétence, relevé par l’administration elle-même dans son acte d’abrogation, suffit à justifier l’annulation de la décision, sans qu’il soit nécessaire pour le juge d’examiner les autres moyens soulevés.

II. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration sur le droit au séjour

Après avoir sanctionné la légalité externe de la première décision, la cour se penche sur la légalité interne du second arrêté préfectoral. Elle procède à un contrôle concret et exigeant des preuves d’intégration fournies par la requérante (A), ce qui la conduit à valider l’appréciation du préfet au regard du critère de proportionnalité (B).

A. Une appréciation rigoureuse des éléments d’intégration personnelle et familiale

Pour contester le second refus de séjour, l’intéressée mettait en avant la durée de son séjour, sa vie de couple avec le père de ses deux enfants, et la présence de membres de sa famille en France. La cour examine chacun de ces éléments avec une grande minutie. Elle relève que la requérante « n’établit ni la date de son entrée en France, ni l’ancienneté et la continuité de son séjour ». Elle note également le caractère récent du pacte civil de solidarité conclu avec son conjoint à la date de la décision contestée. Le juge considère que les attestations familiales ne suffisent pas à établir la communauté de vie et que la production de factures ponctuelles ne saurait démontrer une présence continue sur le territoire. Cette approche factuelle souligne la charge de la preuve qui pèse sur le demandeur à un titre de séjour. Elle témoigne de la volonté du juge de ne pas se contenter d’allégations mais d’exiger des pièces probantes et concordantes pour attester de la réalité et de l’intensité des liens personnels et familiaux revendiqués. La stabilité de la situation de l’étranger demeure ainsi une condition déterminante pour l’appréciation de son insertion.

B. Un contrôle de proportionnalité favorable à la décision de refus

L’examen de la cour s’achève par une mise en balance des intérêts en présence, conformément aux exigences de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. D’un côté, la situation personnelle et familiale de la requérante, marquée par la naissance de deux enfants ; de l’autre, les motifs du refus, liés à la précarité et au manque de preuves de son intégration. La cour estime que, compte tenu du très jeune âge des enfants et de la présence de la famille proche de la requérante dans son pays d’origine, le préfet « n’a donc pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en prenant l’arrêté attaqué, ni porté atteinte à l’intérêt supérieur de ses enfants ». Cette solution confirme la jurisprudence constante selon laquelle la seule présence d’enfants sur le territoire national, même en bas âge, ne constitue pas un obstacle dirimant à une mesure d’éloignement. L’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale, mais il est apprécié au cas par cas et ne l’emporte pas de manière automatique. La décision illustre ainsi le large pouvoir d’appréciation laissé à l’administration dans la mise en œuvre du droit au séjour, dès lors que sa décision n’est pas entachée d’une erreur manifeste dans la conciliation des différents intérêts en jeu.

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Hassan KOHEN
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