Par un arrêt en date du 6 mai 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conditions de recevabilité d’un recours dirigé contre un refus d’abroger une obligation de quitter le territoire français.
En l’espèce, un ressortissant roumain, entré en France en 2011 et père d’un enfant né en 2020, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral en date du 27 octobre 2022. Cette décision l’obligeait à quitter le territoire français sans délai et était assortie d’une interdiction de retour pour une durée de trois ans. Le 23 décembre 2022, l’intéressé a sollicité auprès du préfet l’abrogation de cet arrêté, en se prévalant de changements dans sa situation personnelle et familiale. Face au silence gardé par l’administration, une décision implicite de rejet est née le 26 février 2023. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif de Versailles afin d’obtenir l’annulation de ce refus implicite. Par un jugement du 12 octobre 2023, les premiers juges ont rejeté sa demande. L’étranger a interjeté appel de ce jugement, en réitérant pour l’essentiel les arguments de fond liés à sa situation, notamment la naissance d’un autre enfant et la stabilité de son emploi.
La question de droit soumise à la cour était de savoir si un requérant peut utilement contester en appel un jugement ayant déclaré sa demande irrecevable, en se bornant à développer des moyens de fond sans critiquer le motif d’irrecevabilité spécifiquement retenu par les premiers juges.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que les moyens soulevés par l’appelant sont inopérants dès lors qu’ils ne contestent pas la régularité du jugement attaqué, mais visent directement la décision administrative de refus d’abrogation. La cour relève que le requérant n’a pas contesté le caractère confirmatif de la décision de refus, motif sur lequel le tribunal s’était fondé pour déclarer la demande irrecevable. En conséquence, l’argumentaire développé en appel, portant uniquement sur les circonstances de fait et de droit nouvelles, ne pouvait prospérer.
Cette décision, par une application rigoureuse des règles de la procédure contentieuse, rappelle que le succès d’un appel dépend de la critique directe du jugement de première instance (I). Elle illustre également les exigences spécifiques du contentieux de l’abrogation, qui ne saurait se confondre avec une contestation de la légalité initiale de l’acte (II).
I. Le rejet inéluctable d’une argumentation d’appel inopérante
La cour écarte les moyens du requérant en se fondant sur une application stricte de l’office du juge d’appel, qui ne peut être saisi d’arguments ne critiquant pas le jugement lui-même. Cette position se justifie d’abord par un rappel de la portée de l’effet dévolutif de l’appel (A), puis par la constatation de l’incapacité de l’argumentaire du requérant à contester le motif d’irrecevabilité retenu en première instance (B).
A. La réaffirmation de l’office du juge d’appel
La cour administrative d’appel prend soin de délimiter son office en rappelant le cadre dans lequel elle peut exercer son contrôle. Elle énonce qu’« il appartient au juge d’appel, non d’apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s’est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée ». Ce faisant, elle souligne que l’effet dévolutif de l’appel a pour conséquence de la saisir de l’entier litige, c’est-à-dire de la contestation de la décision administrative initiale.
Toutefois, cette saisine ne dispense pas le requérant de formuler une critique intelligible et pertinente du jugement attaqué. En l’absence de contestation de la régularité même du jugement, les moyens invoqués en appel doivent pouvoir être rattachés à la contestation de la décision administrative. Or, le juge d’appel ne peut examiner ces moyens que si la demande de première instance était elle-même recevable. La cour rappelle ainsi implicitement que son contrôle ne peut s’exercer si les premiers juges ont, à bon droit, opposé une fin de non-recevoir qui n’est pas remise en cause en appel.
B. La sanction de l’omission à contester le motif d’irrecevabilité
Le cœur du raisonnement de la cour réside dans le troisième considérant de l’arrêt, qui met en évidence la faille de l’argumentation du requérant. Les premiers juges avaient rejeté la demande comme irrecevable au motif que la décision de refus d’abrogation était purement confirmative de l’obligation de quitter le territoire. Une telle décision confirmative ne peut, en principe, faire l’objet d’un recours contentieux. Or, la cour constate que le requérant, en appel, « ne conteste pas en tant que tel le caractère confirmatif de la décision implicite de refus d’abrogation ».
Au lieu de s’attaquer au fondement juridique du rejet prononcé par le tribunal, l’appelant s’est contenté d’invoquer à nouveau les changements de circonstances. Ce faisant, il n’a pas critiqué la solution de droit retenue par les premiers juges, à savoir l’irrecevabilité. La cour en déduit logiquement que « l’ensemble des moyens que M. A… invoque dans sa requête, dirigés contre la décision de refus d’abrogation de l’arrêté du préfet de l’Essonne du 27 octobre 2022, sont inopérants et doivent donc être écartés ». La solution est sévère mais juridiquement fondée : en l’absence de contestation du motif d’irrecevabilité, l’argumentaire de fond ne peut être examiné.
II. La portée de la rigueur procédurale en contentieux des étrangers
Au-delà de son aspect technique, cet arrêt revêt une portée significative quant à la discipline procédurale exigée des justiciables. Il met en lumière la distinction fondamentale entre le contentieux de la légalité d’un acte et celui de son abrogation (A), tout en ayant une portée pédagogique sur la nécessaire précision des écritures en appel (B).
A. La distinction entre le contentieux de la légalité et l’invocation de circonstances nouvelles
La décision commentée illustre parfaitement la différence de nature entre une demande d’annulation et une demande d’abrogation. Le recours en annulation vise à contester la légalité d’une décision administrative au jour où elle a été prise. Le recours contre un refus d’abrogation, quant à lui, se fonde sur des changements de circonstances, de droit ou de fait, survenus postérieurement à l’édiction de l’acte et qui justifieraient sa disparition pour l’avenir.
En l’espèce, le requérant a tenté de faire valoir de tels changements, ce qui est le propre d’une demande d’abrogation. Cependant, sa stratégie procédurale a échoué car il n’a pas su franchir l’obstacle de la décision confirmative. La jurisprudence considère en effet qu’une décision qui se borne à rejeter une demande d’abrogation sans examiner de nouvelles circonstances de droit ou de fait est simplement confirmative et n’ouvre pas de nouveaux délais de recours. En ne contestant pas cette analyse du tribunal, l’appelant a rendu son action vaine. La décision rappelle donc que l’invocation de circonstances nouvelles ne suffit pas si elle n’est pas présentée dans un cadre procédural adéquat.
B. La portée pédagogique de la décision à l’égard des justiciables
Cet arrêt constitue un rappel à l’ordre quant à la technique de l’appel en contentieux administratif. Il souligne qu’une requête d’appel ne saurait être une simple répétition de l’argumentaire de première instance. Lorsque le rejet initial est fondé sur un motif d’irrecevabilité, l’appel doit impérativement s’attacher à démontrer en quoi ce motif serait erroné. Autrement, le juge d’appel ne peut que constater que sa saisine est inopérante.
La portée de cette décision est donc avant tout pédagogique. Elle démontre que la maîtrise des règles de procédure est aussi cruciale que la solidité des arguments de fond, particulièrement dans un domaine aussi technique que le droit des étrangers. Bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce, la solution qu’elle retient est l’application d’un principe bien établi et sert d’illustration des risques encourus par un justiciable dont l’argumentation ne cible pas précisément la motivation du jugement qu’il conteste. La rigueur procédurale apparaît ainsi comme la condition sine qua non de l’accès au prétoire du juge d’appel.