Par un arrêt en date du 6 mai 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions de recevabilité du recours d’une commune à l’encontre d’une autorisation d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement située sur le territoire d’une municipalité voisine. En l’espèce, une société avait obtenu de l’autorité préfectorale un arrêté d’enregistrement pour une unité de fabrication de granulés de bois. Une commune voisine du site d’implantation a saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de cet arrêté. Par un jugement du 7 mai 2024, le tribunal a rejeté la demande comme étant irrecevable, faute pour la commune de justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir. La commune a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le projet litigieux engendrerait des nuisances sonores, olfactives et une augmentation du trafic routier sur son territoire, affectant ainsi les intérêts de ses administrés.
La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer si une commune, agissant en tant que tiers, peut justifier d’un intérêt à agir contre l’autorisation d’une installation classée implantée hors de son périmètre territorial sur la base d’allégations générales relatives aux inconvénients que cette installation présenterait pour sa population. La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant l’irrecevabilité de la demande de première instance. Elle juge que la commune requérante n’établit pas que le projet présenterait des inconvénients ou des dangers pour les intérêts visés par le code de l’environnement qui seraient « de nature à affecter par eux-mêmes sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue ». Cette décision, qui confirme une conception exigeante de l’intérêt à agir des personnes morales de droit public, mérite d’être analysée tant pour la rigueur de l’appréciation qu’elle met en œuvre (I) que pour les implications pratiques de cette solution en matière de contentieux des installations classées (II).
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I. La réaffirmation d’une appréciation stricte de l’intérêt à agir communal
La cour administrative d’appel confirme la position des premiers juges en fondant son raisonnement sur une interprétation rigoureuse des textes régissant le contentieux des installations classées. Elle exige la démonstration d’une atteinte directe aux intérêts propres de la collectivité (A), ce qui la conduit à écarter les arguments fondés sur des nuisances jugées non suffisamment établies (B).
A. L’exigence d’une atteinte directe aux compétences et intérêts communaux
Le juge rappelle qu’une personne morale de droit public ne dispose d’un intérêt à agir en tant que tiers que si les dangers ou inconvénients du projet affectent spécifiquement sa propre situation. La décision précise ainsi que l’atteinte doit toucher « par eux-mêmes sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue ». Cette formule souligne que l’intérêt général dont une commune a la charge, notamment en vertu de l’article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales, ne lui confère pas un droit de recours universel contre les projets qui pourraient, de manière diffuse, impacter ses administrés.
Le raisonnement de la cour impose donc à la collectivité de démontrer un lien de causalité direct et certain entre le projet contesté et une lésion de ses prérogatives ou des intérêts matériels et moraux dont elle a la responsabilité. Il ne suffit pas d’invoquer les nuisances potentielles pour la population locale ; encore faut-il que ces nuisances se traduisent par une charge particulière pour la commune elle-même, par exemple en entravant l’exercice de ses compétences en matière d’urbanisme, de salubrité ou de tranquillité publique. En l’absence d’une telle démonstration, l’intérêt de la commune n’est pas considéré comme suffisamment personnel et direct.
B. Le rejet des nuisances alléguées de manière générale et non circonstanciée
Faisant une application concrète de ce principe, la cour examine les différents griefs soulevés par la commune requérante. Elle écarte les allégations relatives aux nuisances sonores, olfactives et atmosphériques au motif qu’elles sont formulées « de manière très générale » et ne sont étayées par aucun élément probant. Le juge administratif exerce ici un contrôle de la matérialité des faits invoqués, refusant de se contenter d’affirmations de principe non documentées. La charge de la preuve pèse entièrement sur la collectivité, qui doit produire des éléments objectifs et circonstanciés pour justifier de la réalité des inconvénients dont elle se prévaut.
Concernant l’augmentation du trafic routier, la cour relève que la commune « ne remet pas utilement en cause les estimations résultant du dossier de demande d’enregistrement ». Cette formule montre que face aux données chiffrées fournies par l’exploitant, une simple contestation générale est inopérante. La cour note également que l’itinéraire traversant la commune n’est pas le seul possible pour les poids-lourds, ce qui relativise l’impact allégué. En procédant à cette analyse factuelle détaillée, le juge signifie qu’une commune ne saurait se fonder sur de simples craintes ou des hypothèses pour établir la recevabilité de son recours.
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II. La portée d’un contrôle rigoureux de la recevabilité
Au-delà de la solution d’espèce, cet arrêt révèle une orientation jurisprudentielle qui a des conséquences importantes sur la régulation du contentieux des installations classées. Il renforce la sécurité juridique des projets industriels (A) tout en incitant les collectivités à une plus grande technicité dans leurs actions contentieuses (B).
A. Une garantie pour la sécurité juridique des projets industriels
En fixant un seuil de recevabilité élevé pour les recours des collectivités territoriales voisines, la jurisprudence contribue à sécuriser les autorisations administratives. Cette rigueur prévient les recours dilatoires ou insuffisamment fondés qui pourraient entraver la réalisation de projets d’intérêt économique sans que les atteintes à l’environnement ou au voisinage soient véritablement caractérisées. La décision assure un équilibre entre la protection des intérêts locaux et la nécessité de ne pas paralyser l’activité industrielle par des contestations systématiques.
Pour l’exploitant, cette solution offre une prévisibilité accrue, car le périmètre des tiers susceptibles de contester l’autorisation est délimité de manière plus stricte. Seules les personnes, physiques ou morales, qui démontrent un préjudice spécial et anormal peuvent espérer voir leur recours examiné au fond. La décision commentée s’inscrit ainsi dans un mouvement plus large visant à limiter le risque contentieux pesant sur les actes d’urbanisme et les autorisations environnementales, favorisant ainsi un climat plus stable pour les investissements.
B. Une incitation à la démonstration factuelle et précise des préjudices
Cette décision ne ferme pas la porte du prétoire aux communes, mais elle les oblige à professionnaliser leur démarche. Pour voir leur recours prospérer, les collectivités doivent désormais dépasser le stade de l’affirmation politique pour entrer dans celui de la démonstration technique et juridique. Elles sont incitées à objectiver les nuisances par des études d’impact spécifiques, des mesures de bruit, des analyses de la qualité de l’air ou des comptages de trafic routier, afin de contrer efficacement les données du dossier de demande.
L’arrêt constitue donc une feuille de route pour les collectivités qui s’estiment lésées par un projet voisin. Elles doivent construire un argumentaire solide, étayé de preuves tangibles, qui démontre en quoi le projet affecte concrètement et directement les intérêts dont elles ont la charge. En définitive, cette jurisprudence renforce le caractère technique du contentieux de l’environnement, où la conviction du juge se fonde moins sur des principes généraux que sur des éléments factuels précis et contradictoirement débattus.