Par un arrêt en date du 6 mars 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions de régularité d’une ordonnance de rejet prise sur le fondement de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, ainsi que sur l’appréciation des liens privés et familiaux et de l’insertion professionnelle d’un étranger sollicitant son admission exceptionnelle au séjour.
En l’espèce, un ressortissant pakistanais a sollicité la délivrance d’un titre de séjour auprès des services préfectoraux. Le 29 novembre 2023, le préfet du Val-d’Oise a opposé un refus à sa demande, assorti d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. L’intéressé a alors saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’une demande d’annulation de cette décision. Par une ordonnance du 29 mars 2024, le président de la formation de jugement a rejeté sa requête en application des dispositions du 7° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, qui permettent d’écarter par une procédure simplifiée les demandes manifestement mal fondées. L’étranger a interjeté appel de cette ordonnance, contestant sa régularité et réitérant au fond les moyens dirigés contre l’arrêté préfectoral.
Il convenait pour la cour administrative d’appel de déterminer, d’une part, si des moyens de légalité interne, fondés sur des faits précis mais non étayés par des pièces justificatives, pouvaient être rejetés par la voie d’une ordonnance. D’autre part, et après avoir répondu par la négative à cette première question, il lui appartenait de se demander si le refus de séjour opposé à un étranger justifiant d’une certaine intégration professionnelle mais conservant des attaches familiales dans son pays d’origine portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale ou révélait une erreur manifeste d’appréciation.
La cour annule l’ordonnance du premier juge, estimant que la procédure de rejet simplifié n’était pas applicable en l’espèce. Cependant, usant de son pouvoir d’évocation, elle statue directement sur la demande initiale et la rejette au fond, validant ainsi la légalité de la décision préfectorale. L’office du juge administratif se trouve ainsi précisé quant au contrôle des ordonnances de tri (I), tandis que l’appréciation portée sur la situation de l’étranger réaffirme une conception stricte des conditions d’admission au séjour (II).
I. La censure d’une application extensive de la procédure de rejet par ordonnance
La cour administrative d’appel rappelle les limites de l’office du juge statuant par ordonnance en réaffirmant l’exigence d’un examen concret des arguments soulevés (A), consacrant ainsi le caractère exceptionnel d’une procédure dérogatoire au droit commun (B).
A. La distinction entre un moyen non assorti de précisions et un moyen non prouvé
La décision commentée précise la portée des dispositions du 7° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative. Cet article autorise les présidents de formation de jugement à rejeter par ordonnance, après l’expiration du délai de recours, les requêtes qui ne sont « manifestement pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ». Le premier juge avait fait application de ce texte pour écarter la demande de l’administré. La cour administrative d’appel censure ce raisonnement en opérant une distinction fondamentale entre l’absence de précisions et l’absence de preuves.
Elle relève en effet que le requérant avait invoqué une résidence de plus de treize ans, une maîtrise de la langue française et une insertion professionnelle ancienne, notamment depuis 2021. Pour la cour, bien que ces allégations n’étaient pas accompagnées des pièces justificatives nécessaires, elles présentaient un degré de détail suffisant pour permettre au juge d’en apprécier la pertinence. Les moyens soulevés « ne pouvaient cependant être regardés comme n’étant pas assortis de précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé, ni comme n’étant assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ». En d’autres termes, un argument circonstancié ne devient pas manifestement infondé au seul motif qu’il n’est pas immédiatement corroboré par des documents. Cette solution préserve le caractère contradictoire de l’instruction.
B. La garantie du droit à un examen approfondi de la requête
En annulant l’ordonnance, la cour rappelle que le recours à la procédure de l’article R. 222-1 du code de justice administrative doit rester d’interprétation stricte. Cet outil, conçu pour assurer une bonne administration de la justice et traiter avec célérité les recours voués à l’échec, ne saurait priver le requérant de son droit à ce qu’un juge examine sérieusement les arguments qu’il développe. La nuance apportée par la cour est essentielle : il appartient au juge du fond, dans le cadre d’une instruction ordinaire, de vérifier la véracité des faits allégués et de statuer après avoir, le cas échéant, mis le requérant en demeure de produire les justificatifs nécessaires.
Le fait d’écarter d’emblée une requête au motif que les preuves ne sont pas jointes aux arguments reviendrait à opérer une confusion entre la recevabilité de l’argumentation et sa force probante. La cour réaffirme ainsi implicitement que le stade du tri des requêtes ne se confond pas avec celui du jugement au fond. Cette position garantit que des situations potentiellement dignes d’intérêt ne soient pas rejetées prématurément, préservant l’équilibre entre l’efficacité procédurale et le respect des droits des justiciables. Ayant ainsi annulé l’ordonnance, la cour examine elle-même la légalité de l’arrêté préfectoral.
II. La confirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration en matière d’admission au séjour
Après avoir évoqué l’affaire, la cour procède à un examen au fond de la situation du requérant. Elle valide la décision du préfet en retenant une appréciation rigoureuse des conditions d’intégration (A) et en faisant prévaloir les attaches familiales de l’intéressé dans son pays d’origine dans le cadre du contrôle de proportionnalité (B).
A. L’appréciation stricte de l’insertion professionnelle et de la durée de résidence
La cour examine les moyens tirés de la méconnaissance des articles L. 435-1 et L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ainsi que de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme. Sur le terrain de l’admission exceptionnelle au séjour, elle constate que le requérant ne parvient pas à établir une résidence habituelle en France depuis plus de dix ans. En l’absence d’une telle preuve, le préfet n’était pas tenu de saisir pour avis la commission du titre de séjour.
Concernant l’insertion professionnelle, la cour reconnaît l’existence de contrats de travail annuels entre 2010 et 2017, mais relève que leur durée « n’excèdent pas trois mois par an ». Elle minimise également la portée des revenus perçus plus récemment en 2021 et 2022, les jugeant insuffisants « pour caractériser des circonstances justifiant une admission exceptionnelle au séjour ». Ce faisant, elle confirme que la simple existence d’une activité professionnelle, lorsqu’elle est intermittente ou trop récente, ne suffit pas à constituer un motif exceptionnel au sens de la loi. L’analyse confirme la marge d’appréciation dont dispose l’autorité préfectorale pour évaluer l’intensité de l’insertion, le juge ne sanctionnant que l’erreur manifeste.
B. La prépondérance des liens avec le pays d’origine dans le bilan des intérêts
Enfin, la cour se livre au contrôle de proportionnalité pour déterminer si le refus de séjour porte une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale. Elle applique une méthode classique consistant à mettre en balance les intérêts en présence. D’un côté, elle prend en compte la situation de l’étranger en France, le qualifiant de « célibataire et sans charge de famille en France ». De l’autre, elle s’appuie sur les propres déclarations de l’intéressé pour souligner qu’il « n’est pas dépourvu d’attaches dans son pays d’origine où résident toujours, selon ses déclarations, ses parents et son enfant mineur ».
Cet élément devient déterminant dans l’appréciation de la cour. La persistance de liens familiaux forts dans le pays d’origine, notamment avec un enfant mineur, pèse de manière décisive dans la balance et conduit le juge à conclure que l’ingérence dans la vie privée du requérant n’est pas disproportionnée au regard des buts poursuivis par la décision, à savoir la maîtrise des flux migratoires. L’arrêt illustre ainsi une jurisprudence constante selon laquelle l’absence de rupture des liens avec la société d’origine constitue un obstacle majeur à la reconnaissance d’un droit au séjour fondé sur l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme.