Par un arrêt en date du 7 février 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la responsabilité d’une commune du fait d’un dommage subi par un usager sur un ouvrage public. En l’espèce, un particulier a été victime d’une chute dans un escalier extérieur reliant un centre commercial à son parking, lui occasionnant de graves blessures. L’intéressé a saisi la juridiction administrative d’une demande tendant à l’indemnisation de ses préjudices, estimant que l’accident avait été causé par le mauvais état de l’escalier. Le tribunal administratif de Versailles, par un jugement du 25 mai 2023, a rejeté sa demande au motif que la responsabilité de la collectivité n’était pas engagée. Le requérant a donc interjeté appel de cette décision, soutenant que le défaut d’entretien de l’ouvrage public était à l’origine de son dommage. Il se posait dès lors la question de savoir si un défaut affectant un escalier public, bien qu’ayant entraîné la chute d’un usager, est de nature à engager la responsabilité de la collectivité en charge de son entretien. Plus précisément, la collectivité peut-elle s’exonérer de sa responsabilité en prouvant que ce vice, compte tenu de ses caractéristiques et des circonstances de l’espèce, ne présentait pas un caractère de dangerosité excédant celui auquel un piéton normalement prudent doit s’attendre ? À cette question, la cour administrative d’appel répond par la négative, considérant que la commune rapporte la preuve de l’entretien normal de l’ouvrage et que le défaut n’excédait pas les risques ordinaires de la vie en société. La cour administrative d’appel, pour rejeter la requête, s’appuie sur une application classique du régime de responsabilité pour défaut d’entretien normal (I), tout en livrant une solution dont la portée est nécessairement déterminée par l’appréciation souveraine des circonstances de l’espèce (II).
I. L’application orthodoxe du régime de responsabilité pour défaut d’entretien normal
La cour administrative d’appel rappelle d’abord le régime de la présomption de faute pesant sur la collectivité en matière de dommages de travaux publics (A), avant de consacrer l’exonération de cette dernière par la preuve, qu’elle estime rapportée, d’un entretien normal de l’ouvrage (B).
A. Le rappel de la présomption de faute de la collectivité
L’arrêt attaqué s’inscrit dans le cadre juridique bien établi de la responsabilité pour les dommages causés aux usagers par un ouvrage public. En la matière, le juge administratif applique un régime de responsabilité pour faute présumée de l’administration. Il appartient en premier lieu à la victime de rapporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le dommage qu’elle a subi et l’ouvrage public en cause. Une fois ce lien établi, il pèse sur la collectivité une présomption de défaut d’entretien normal, qui est le fait générateur de sa responsabilité. La victime n’a donc pas à prouver la faute de l’administration, celle-ci étant présumée du seul fait que l’ouvrage a été l’instrument du dommage.
Cependant, cette présomption n’est pas irréfragable. La collectivité maître de l’ouvrage peut s’en exonérer en rapportant la preuve de l’entretien normal de l’ouvrage. Alternativement, elle peut également voir sa responsabilité atténuée ou totalement écartée si elle démontre l’existence d’une faute de la victime ou d’un cas de force majeure. La présente décision illustre parfaitement ce mécanisme probatoire en rappelant dans son considérant de principe qu’il appartient à l’usager de prouver le lien de cause à effet, puis à la collectivité, pour s’exonérer, d’établir que l’ouvrage « faisait l’objet d’un entretien normal ». C’est sur ce dernier terrain que se déplace le cœur du raisonnement du juge.
B. La consécration de l’exonération par la preuve d’un entretien normal
Pour écarter la responsabilité de la commune, la cour s’attache à vérifier si les caractéristiques du défaut de la voirie permettaient de conclure à l’absence de défaut d’entretien normal. Les juges du fond se livrent à une analyse concrète des faits de l’espèce. Ils reconnaissent l’existence matérielle d’une « épaufrure affectant l’arrête d’une marche », mais en minimisent aussitôt la portée en relevant que ce défaut était « suffisamment visible, d’une faible ampleur au regard de la largeur de la marche ».
La cour retient ainsi que l’anomalie de l’escalier, bien que réelle, ne constituait pas un piège pour un usager attentif. Elle en conclut que le vice de l’ouvrage « n’excédait pas les inconvénients qu’un usager normalement prudent et attentif à sa marche peut s’attendre à rencontrer sur son trajet ». Par cette formule, la juridiction administrative consacre l’idée qu’un ouvrage public n’a pas à être parfait, mais simplement entretenu de manière à ne pas présenter de danger anormal pour ses usagers. La preuve de cet entretien normal est donc rapportée, ce qui suffit à renverser la présomption de faute et à exonérer la collectivité de sa responsabilité, sans qu’il soit même nécessaire d’examiner une éventuelle faute de la victime. La solution, fondée sur une appréciation factuelle, révèle néanmoins la portée nécessairement limitée de ce type d’arrêt.
II. La portée limitée d’une solution fondée sur l’appréciation souveraine des faits
La décision commentée s’appuie sur une appréciation *in concreto* des circonstances de l’accident pour qualifier le danger (A), ce qui la cantonne au rang d’une décision d’espèce et en fait une simple illustration de la notion d’usager normalement prudent (B).
A. L’appréciation in concreto du caractère normalement prévisible du danger
L’analyse de la cour administrative d’appel est entièrement subordonnée aux circonstances factuelles de l’affaire. Pour considérer que le défaut de l’escalier ne présentait pas un caractère de dangerosité anormal, le juge ne se contente pas d’examiner la nature du vice lui-même. Il prend en compte un faisceau d’indices contextuels. Il relève ainsi que l’escalier était muni de « rambardes latérales », que la chute est survenue « en plein jour », et que l’usager connaissait les lieux pour y avoir résidé longuement par le passé.
Chacun de ces éléments concourt à forger la conviction du juge que le danger était prévisible et pouvait être évité par un comportement normalement diligent. Cette méthode d’appréciation souveraine des faits par les juges du fond est classique, mais elle prive nécessairement la décision d’une grande portée normative. Elle ne pose aucun principe nouveau et se contente d’appliquer une jurisprudence constante à une situation particulière. En ce sens, l’arrêt est davantage une décision d’espèce qu’un arrêt de principe. Sa solution dépend étroitement de la configuration des lieux et des circonstances de l’accident, et n’aurait peut-être pas été identique si la chute avait eu lieu de nuit ou si le défaut avait été masqué.
B. Une illustration de la notion d’usager normalement prudent et diligent
En exonérant la commune de sa responsabilité, la cour rappelle implicitement les obligations qui pèsent sur l’usager d’un ouvrage public. Si la collectivité a le devoir d’assurer la sécurité des voies publiques, l’usager a quant à lui un devoir de vigilance. La jurisprudence n’exige pas un entretien qui éliminerait toute aspérité ou tout risque de chute, ce qui imposerait une charge excessive aux personnes publiques. Elle recherche un équilibre en acceptant qu’un certain niveau de risque subsiste, pourvu qu’il ne soit pas anormal ou imprévisible.
L’arrêt commenté est une parfaite illustration de cette conception du « risque acceptable » de la vie en société. En jugeant que le défaut était visible et de faible ampleur, la cour considère qu’il appartenait à l’usager, faisant preuve d’une prudence ordinaire, d’adapter son comportement pour l’éviter. La décision renforce ainsi la figure de l’usager « normalement prudent et attentif », qui doit s’attendre à rencontrer des imperfections mineures sur la voie publique et prendre les précautions nécessaires. Elle confirme que la responsabilité de l’administration ne saurait être engagée pour des dommages résultant de la matérialisation d’un risque que tout un chacun est censé anticiper et maîtriser.